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BURKINA FASO : Le nouveau Premier ministre aura-t-il les coudées franches ?

Publié le mercredi 20 avril 2011 à 02h14min

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Reconnu dans les milieux professionnels comme étant un homme compétent et de principes, le journaliste Luc Adolphe Tiao (LAT), est depuis lundi dernier le tout nouveau chef du gouvernement burkinabè. Mais, en le rappelant de son poste d’ambassadeur à Paris pour l’assister dans la gestion de la crise sociopolitique et militaire, Blaise Compaoré lui laissera-t-il les coudées franches pour mener la barque à bon port ?

On se demandait dans quel sens agirait le chef de l’Etat reconduit en novembre dernier avec plus de 80% des suffrages. L’image de son régime ayant été écornée dans l’opinion par les derniers troubles, Blaise Compaoré, de bonne guerre, a donné sa préférence à un professionnel des médias parmi les mieux écoutés du pays. Homme du sérail, Luc Adolphe Tiao n’en est pas moins reconnu "propre" et ouvert d’esprit. Ainsi, il n’avait pas hésité, il y a quelques années, à démissionner du parti majoritaire, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), pour occuper le poste de président du Conseil supérieur de la communication (CSC). Que vise le chef de l’Etat en réalité ?

Et quelle mouche a-t-il bien pu le pousser à nommer un journaliste à ce poste réservé de par le passé aux économistes ? Car c’est la première fois qu’un journaliste est appelé à un tel niveau de responsabilité. Il est vrai qu’en plus de la communication, LAT a aussi suivi des études en sciences politiques, notamment en stratégie. Elles pourront lui être utiles car une crise de confiance et des problèmes de communication semblent miner l’entourage du chef de l’Etat.

En tant qu’homme de consensus, LAT peut être d’un grand apport. Sa nomination intervient dans un contexte de crise exacerbée. S’agissant de la crise militaire, officiellement, elle serait en voie d’être résolue. La crise sociopolitique qui mine le Burkina Faso est si profonde et la médiocratie si ancrée dans les habitudes que le besoin de perles rares se fait sentir. LAT sera-t-il à la hauteur de la tâche ? Les craintes perdurent en effet, s’agissant de la question de l’article 37 de la Constitution sur la limitation du mandat présidentiel. Dans son choix, Blaise Compaoré a-t-il tenu compte de l’équilibre régional ? D’aucuns pensent qu’il a voulu éviter des frustrations au niveau du Sanguié, également province d’origine du précédent Premier ministre Tertius Zongo, qui a eu son mandat écourté. La région de Koudougou, d’où ils viennent, est celle du premier président du pays, feu Maurice Yaméogo. Longtemps, elle a été dans l’œil du cyclone. Considérée comme source de la crise actuelle, elle aspire à un meilleur développement.

Contrairement à Tertius Zongo, plusieurs fois ministre, et donc plus connu, LAT est parmi les plus discrets et les moins mouillés du système aujourd’hui gangréné par l’affairisme. Les dossiers que cet homme de talent va hériter de son « frère » de région, ne seront pas faciles à traiter. Blaise Compaoré, apparemment à la recherche de quelqu’un de propre, avait besoin de cet homme qu’il connaît bien. Homme de principes, peut-être aussi homme de la situation, LAT a des qualités personnelles : probité et rigueur, homme d’écoute, de consensus, naguère militant modéré du parti majoritaire. Des atouts sérieux susceptibles de l’aider, vu l’immensité de la tâche. En effet, la situation nationale est devenue subitement très complexe. Certes, au sein de la Grande muette, quelques signes de satisfaction ont émergé de la troupe. Nul n’ignore cependant la profondeur de la crise qui a nécessité récemment un sérieux coup de balai au sein de la hiérarchie. Reste à attendre la composition du nouveau gouvernement pour savoir comment sera géré l’ensemble des dossiers.

Le front social lui, n’incite guère à l’optimisme : en proie à la vie chère, les Burkinabè sont ulcérés ; élèves, étudiants et enseignants grognent et désertent les salles de classe. Le Burkina Faso semble avoir renoué avec les manifestations. A la veille de la traditionnelle fête du 1er-Mai, les travailleurs semblent déterminés à faire entendre raison au gouvernement, leur plateforme revendicative étant reconduite d’année en année. Satisfaction ayant été rapidement accordée à la troupe, toute négligence de la part des autorités pourrait donc être considérée comme une politique de deux poids deux mesures. Sur un autre plan, la classe politique reste divisée en raison du report incessant de certains dossiers épineux.

Sont de ceux-là le sempiternel dossier Norbert Zongo, du nom de ce journaliste d’investigation assassiné en 1998, mais aussi le contentieux, au-delà des apparences, mettant aux prises le camp de la majorité présidentielle et l’opposition à propos de la structuration et du fonctionnement de la Commission électorale nationale indépendante (CENI). Le fait est que les consultations électorales prévues en 2012 seront couplées : il faudra donc batailler fort pour arracher le maximum de sièges tant au Parlement que dans les municipalités.

Homme de principes mais pas dogmatique, LAT est ouvert d’esprit. Jamais il n’a renié son corps d’origine. Il peut se révéler rassembleur, mais il faut attendre de voir. Pourra-t-il ramener du beau monde à la table des négociations ? Sa virginité politique dans ce genre de situation est sans aucun doute un facteur déterminant. Alors, LAT fera-t-il meilleur pompier ? En tout état de cause, son prédécesseur Tertius Zongo n’a pas démérité. Il aura à sa façon apporté sa pierre à l’édifice national. Il a fait ce qu’il pouvait dans les limites de ses possibilités dans un contexte national qui était suffisamment miné. Le chef du gouvernement nommé, reste à savoir si le CDP est satisfait. Ses gourous se laisseront-ils faire ? Le passé a montré que cela n’est pas si évident. Le poste a échappé à beaucoup de prétendants. Ce constat d’impuissance pourrait conduire le parti à se refermer sur lui-même. Beaucoup sont peut-être amers devant cette nomination qui désoriente.

D’autres peuvent redouter un toilettage qui apparaît pourtant fort difficile à éviter si le président du Faso tient à préserver son image et à mener à bien son mandat. Sans doute LAT devra-t-il se méfier davantage de ses anciens camarades du parti majoritaire que de ses adversaires ou ennemis de dehors. LAT se laissera-t-il faire ? Combien seront-ils alors à craindre de faire les frais d’éventuelles investigations, eu égard aux critiques qui fusent de partout ? Quid de la nouvelle équipe ? Reconduira-t-on les mêmes hommes ?

A LAT d’éviter d’être un Premier ministre de paille. Pour ce faire, il devra pouvoir compter sur un ancrage sociopolitique fort afin de ne pas sombrer dans les difficultés. Dans les milieux de la presse nationale, on touche du bois afin qu’il réussisse sa mission. Une fois de plus, Blaise Compaoré a surpris car d’autres noms avaient été avancés. Mais au nombre des défis qui attendent le nouveau chef du gouvernement burkinabè, figurent outre le dénouement de l’affaire Norbert Zongo, les approches à adopter à l’égard de la presse burkinabè en particulier. En effet, celle-ci se fait de moins entendre à l’égard d’un régime accusé à tort ou à raison de clientélisme, de népotisme, de clanisme, de corruption et d’impunité. Luc Adolphe Tiao parviendra-t-il à lui préserver ses espaces de liberté, à défaut de lui en accorder davantage ? Jusqu’où pourra donc aller le journaliste-chef du gouvernement dans la défense de la vérité recommandée par Joseph Pulitzer : « Prendre parti sans parti pris » ?That is the question.

"Le Pays"

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Vos commentaires

  • Le 20 avril 2011 à 08:20, par Obama En réponse à : BURKINA FASO : Le nouveau Premier ministre aura-t-il les coudées franches ?

    Pour une première bonne impression, LAT devra pouvoir faire un gouvernement LAT et non FEDAP. Ce type de gouvernement donne difficilement les coudés franches. Et c’est sûrement ce qui a inhibé les bonnes intentions de Tertius.

  • Le 20 avril 2011 à 08:54, par Obama En réponse à : BURKINA FASO : Le nouveau Premier ministre aura-t-il les coudées franches ?

    Pour une première bonne impression, LAT devra pouvoir faire un gouvernement LAT et non FEDAP. Ce type de gouvernement donne difficilement les coudés franches. Et c’est sûrement ce qui a inhibé les bonnes intentions de Tertius.

  • Le 20 avril 2011 à 10:24, par Samba En réponse à : BURKINA FASO : Le nouveau Premier ministre aura-t-il les coudées franches ?

    Une tres bonne analyse. Merci. Dieu merci que Blaise n’a pas choisi Salif Diallo, se homme rompu dans le langue et de bois et le mensonge.

    • Le 20 avril 2011 à 12:07, par le gesa En réponse à : BURKINA FASO : Le nouveau Premier ministre aura-t-il les coudées franches ?

      Félicitations à LAT. Que Dieu l’assiste dans sa mission. Pour sa démission dans le temps au CSI, c’est en fait l’incompatibilité du poste avec sa position politique. Mme DAMIBA a aussi démissionné. Mais n’oublions pas que cette crise est d’abord politique. Et à mon avis, s’il est politiquement fort, il réussira.Sinon Salif n’est pas le seul pour des situations comme celles ci mais il a les moyens et les capacités d’aider Blaise à la résoudre parce que lui au moins il ne pompe pas l’air au PF. Il lui dit la vérité. Mais aussi sa santé lui permet-il de foncer comme avant ? LAT aura besoin de lui, de moi et de tous les Burkinabè,ne vous en faites pas. NB : La famille doit être mise à côté dans la gestion de l’Etat. Toutefois il y a une revendication essentielle des soldats du RSP que le PF n’a pas satisfait, le départ de Golf (Gilbert). A quand ? ou bien, on meurt ensemble. Bonne journée

  • Le 20 avril 2011 à 11:02, par Le Néant En réponse à : BURKINA FASO : Le nouveau Premier ministre aura-t-il les coudées franches ?

    Bonjour,

    Je crois qu’ici, il ne s’agit pas d’avoir les coudées franches ou pas. Il faut une reforme globale de l’ensemble du système politique du BF. Et en premier, il faut arriver à maîriser l’armée je ne sais pas comment mais c’est ce qui est urgent car si nous retombons dans le temps où les militaires pouvaient bastonner les civils sans que rien n’en résulte, le problème de l’insécurité est un grand défit pour l’Etat burkinabé. Il faut que arrive à faire partir toutes les anciennes têtes qui composaient son gouvernement car à force d’être tjrs là et pendans longtemps certains commencent à devenir zellés au point de croire qu’ils sont indispensables pour la construction du pays. Je souhaite que LAT trouve les bons hommes pour faire avancer ce pays.

  • Le 20 avril 2011 à 15:33 En réponse à : BURKINA FASO : Le nouveau Premier ministre aura-t-il les coudées franches ?

    Bel article. Encore félicitations à Tertus pour son boulot, ses principes s’insrivaient dans les aspirations d’un Burkina emmergent bien que confrontés aux gouroux du CDP et aux différents dirigeants gourmands.
    Je souhaite que LAT ait vraiment le courage d’asseoir un gouvernement responsable, qu’il continue dans la même lancée que Tertus dans la gestion des finances et des biens publics, S’il fléchit à ce niveau, adieu l’emmergence et bonjour le déluge

  • Le 20 avril 2011 à 20:10 En réponse à : BURKINA FASO : Le nouveau Premier ministre aura-t-il les coudées franches ?

    Un premier conseil pour faire une bonne entrée en scène : pas de gouvernement plétorique : 20 membres suffisent largement.
    Bonne chance.

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