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Côte d’Ivoire-Burkina : Le professeur Abdou Touré comme ambassadeur de Côte d’Ivoire à Ouagadougou.

Publié le mardi 19 avril 2011 à 19h30min

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Ce n’est pas la plus prestigieuse des ambassades, ni la plus « géopolitique » ; mais c’est la plus significative. Les relations diplomatiques entre Yamoussoukro (compte tenu de la situation à Abidjan, il est probable que l’installation du gouvernement ivoirien, toujours annoncée, va y être accélérée) et Ouagadougou influent sur la vie politique et économique « intérieure » des deux pays.

Les Burkinabè de Côte d’Ivoire étaient environ 4 millions au début du XXIème siècle ; et si les Ivoiriens installés au Burkina Faso sont considérablement moins nombreux (on les estime à environ 5.000), nul ne peut nier l’étroite connexion qui existe entre les deux pays. Connexion économique et sociale qui leur commande d’être dans les meilleures relations diplomatiques possibles ; le possible ayant été, parfois, impossible. Mais même dans l’affrontement (on l’a vu au temps de Gbagbo), les relations ivoiro-burkinabè ne sauraient être banalisées.

Laurent Gbagbo avait nommé à Ouaga, en 2001, son vieil ami de vingt ans Richard Kodjo. Docteur d’Etat en médecine, chirurgien-obstétricien tout juste quinquagénaire (il est né le 16 mars 1949 à Grand Lahou, sur la côte, à l’Ouest du fleuve Bandama), Kodjo avait été agréé comme ambassadeur (avec attribution pour le Niger) le mercredi 27 juillet 2001, tout juste un an avant l’assassinat, à Ouaga, de Balla Keïta, personnalité politique ivoirienne majeure des années « Houphouët », un pro-Ouattara qui avait basculé dans le camp de Robert Gueï (dont il voulait faire le « général De Gaulle » de la Côte d’Ivoire), après avoir servi Henri Konan Bédié. L’assassinat de Balla, jamais officiellement élucidé, avait été pour moi le premier signe d’une volonté de donner une ampleur sous-régionale à la crise politique ivoirienne (cf. LDD Côte d’Ivoire 030/Mercredi 7 août 2002) ; quelques semaines plus tard se dérouleront les événements du 18-19 septembre 2002 qui vont « gâter » la relation - déjà bien détériorée - entre Blaise Compaoré et Laurent Gbagbo et, surtout, entre les Burkinabè et les Ivoiriens. « A l’époque, dira Kodjo, on a vite fait d’attribuer les tensions qui régnaient à Abidjan à la xénophobie des Ivoiriens envers les Burkinabè. A Ouagadougou, ma priorité absolue était de ne pas verser dans la surenchère, en évitant notamment la chasse à l’Ivoirien que l’on pressentait dans certains quartiers ». Pas de surenchère à Ouaga ; mais à Abidjan, et en Côte d’Ivoire, la chasse aux « porteurs de boubou » va être organisée (le « Rapport sur les violations des droits humains à l’encontre des Burkinabè en Côte d’Ivoire » a été publié par le Burkina Faso dès mars 2003 - cf. LDD Burkina Faso 025/Vendredi 23 mai 2003).

C’est en pleine « crise ivoiro-ivoirienne » post-électorale, dès le 13 décembre 2010, que Kodjo a fait partie de la « fournée » des ambassadeurs ivoiriens limogés par Alassane Ouatttara. Il a été remplacé par Abdou Touré dont l’agrément a été accordé lors du dernier conseil des ministres burkinabè (mercredi 13 avril 2011). Pas plus que Kodjo, Touré n’est un diplomate de carrière. C’est lui aussi un universitaire, professeur de sociologie, et tout autant proche de Ouattara que Kodjo l’a été de Gbagbo. Dès l’accession de Ouattara à la primature, en 1990, Touré se retrouvera dans les coulisses du pouvoir, conseiller technique du ministre de l’Education nationale, Vamoussa Bamba.

Touré se présente alors, dans les années 1990, comme sociologue, chercheur, membre du Synares, le syndicat des enseignants du supérieur qui a été en pointe dans la contestation du régime de Félix Houphouët-Boigny et sera le relais syndical (et la pépinière) du FPI, le parti de Gbagbo quand le multipartisme sera officiellement reconnu. Il y a tout juste 21 ans, le 28 avril 1990 (dix jours après la nomination de Ouattara comme président du « Comité interministériel chargé de l’élaboration et de la mise en application du programme de stabilisation et de relance économique »), Touré s’était fait remarqué lors d’un passage à la télévision nationale. Il y avait reconnu « le bien-fondé des révoltes des jeunes » mais avait blâmé le mode d’action : « la violence verbale et la casse » ; il recommandait « aux jeunes de hiérarchiser leurs doléances en privilégiant la reprise sans conditions des cours », demandait « au pouvoir de dialoguer avec les jeunes et de tenir compte de leurs revendications » et souhaitait que son syndicat, le Synares, « abandonne son attitude paternaliste pour faire confiance aux étudiants ».

Au cours de la décennie 1980, Touré a été un auteur prolixe : il a trois ouvrages de sociologie à son actif, publiés en 1981 (« La civilisation quotidienne en Côte d’Ivoire. Procès d’occidentalisation »), 1985 (« Les petits métiers à Abidjan. L’imagination au secours de la conjoncture ») et 1990 (« Sacrifices dans la ville. Le citadin chez le devin en Côte d’Ivoire »). Au sein du PDCI, il rejoindra très vite les rangs des « rénovateurs » animés par Djeny Kobina et quand celui-ci créera le RDR, le 27 septembre 1994, il en deviendra un des responsables politiques. Secrétaire national du parti de Ouattara (qui en a pris la présidence le 1er août 1999), Touré va se faire le chantre de son leader, « symbole de la force et de la puissance. Non pas d’une force maléfique, mais d’une force positive et d’une puissance constructive ».

Membre du cabinet du président du RDR, Touré va être chargé par Ouattara du travail de synthèse et de mise en forme qui donnera naissance au projet de société du RDR intitulé : « Vivre ensemble ». Fin 2008, il rédigera un petit ouvrage (126 pages) aux éditions Sépia intitulé : « Alassane Dramane Ouattara. Destin et liberté ». Dans cet ouvrage, il s’attache plus à l’individu (et notamment à son éducation) qu’à l’homme politique. « Il n’est pas exagéré de dire qu’Alassane est l’humilité faite homme […] Tous ceux qui l’approchent, touchent du doigt un homme humble dans ses moindres faits et gestes, jusque dans le timbre de la voix… qui traduisent le respect de l’autre transmis par le père et la mère et soutenus par les bénédictions ».

C’est sans doute une facette non négligeable de Ouattara (Gbagbo dirait, à coup sûr, son « côté mossi ») ; ce n’est pas la plus intéressante chez le président de la République de Côte d’Ivoire dont l’extrême « civilité » ne doit pas cacher qu’il est aussi un homme d’actions (le pluriel signifiant que ce n’est pas, pour autant, un « homme d’action », un « activiste » façon Gbagbo) : pour l’avoir observé sur le terrain, jour après jour, du 28 novembre 1988 au 21 mars 1994, je sais que l’important pour lui est de se donner les moyens de sa politique ; et celle-ci ne manque jamais d’être « raisonnablement ambitieuse » si je puis me permettre cet oxymore. Le jeudi 21 juin 1990, ADO m’avait accordé son premier entretien en tant que président du Comité interministériel. J’avais écrit alors : « Sûr de lui et dominateur. Il y a quelques années, on aurait, sans doute, employé ce qualificatif historique pour parler d’Alassane Ouattara, gouverneur de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest et en charge actuellement de la mise en œuvre du plan de stabilisation ivoirien. Mais la tranquille assurance qu’il affiche, alliée à une capacité naturelle au commandement, si elles peuvent agacer, n’entament pas pour autant l’extrême gentillesse de cet homme. Ni même sa disponibilité ». C’est, plus que cet homme-là, son programme du « Vivre ensemble » que Touré va représenter à Ouagadougou.

Dans la capitale burkinabè, le départ de Gbagbo et l’accession à la présidence de Ouattara sont deux événements majeurs. Politiquement et socialement. ADO sait ce que son pays et son combat doivent aux Burkinabè qui ont payé le prix fort au cours de la dernière décennie. C’est dire que « le pays des hommes intègres » est dans l’attente et dans l’espérance. Et que ni l’une ni l’autre ne devront être déçues. Il faut que Touré le sache.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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