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Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

Publié le mercredi 13 avril 2011 à 02h56min

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Le 11 avril 2011 sera une date mémorable pour la Côte d’Ivoire, la sous-région et même au-delà. Comment est-on arrivé à un feuilleton aussi sensationnel, plein de rebondissements malheureux à n’en pas finir ? Tentons de remonter le cours de l’histoire à la rencontre du pays et de certains des acteurs.

La Côte d’Ivoire ancienne colonie française a toujours eu des relations privilégiées avec la francophonie. Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire avait un charisme certain, une puissance financière enviable. Et la Côte d’Ivoire était vite devenue une métropole où convergeaient plusieurs nationalités. En bon politicien pragmatique doublé d’un concept de sagesse africaine il a accueilli tout le monde dans son pays. La Côte d’Ivoire est devenue l’épouse préférée de la France. Dans la sous-région, le Président Houphouët devient très vite le « vieux », le « sage ». Son pays prend rendez-vous avec son « miracle ».

Dans les années 1970, pour les jeunes gens des villages du Burkina, aller en côte d’Ivoire c’est déjà réussir. La forte personnalité du vieux Houphouët jointe aux ressources naturelles et une relative stabilité politique font de la Cote d’Ivoire la locomotive de l’Afrique occidentale française. Mais le pays est dirigé sans partage par un parti unique le PDCI-RDA. Le temps avance et une génération d’intellectuels apparaît, composée de professeurs, médecins chercheurs, agronomes, la plupart formés en France, au Canada et aux Etats-Unis. Le débat des idéologies est à la mode surtout la bipolarisation entre le monde capitaliste avec les Etats-Unis en tête et le socialisme tiré par l’URSS et la Chine. Les jeunes formés par l’Etat reviennent au pays ; ils n’ont pas seulement des diplômes et des connaissances, mais ils ont aussi des relations à travers le monde. Dans le pays le « vieux » ménage le monde des finances.

Les industries et le commerce sont aux mains des expatriés de France et du Liban ou de la Syrie. Les immigrants venus du Burkina, du Mali, du Niger, du Sénégal, du Nigeria et des pays voisins trouvent leur compte dans les plantations et les petits boulots urbains et toute la Côte d’Ivoire avance en chantant « djamo djamo ! Travaillons en musique ».
Mais hélas dans les années 80 le « vieux est fatigué, son système de gouvernement est dépassé et rouillé. La locomotive s’essouffle sous la charge d’une population grandissante d’une fonction publique pléthorique, une dette extérieure exorbitante. La malgouvernance ronge l’administration ivoirienne. Il s’agit du favoritisme, de la magouille et de l’affairisme.

Les intellectuels refusent désormais d’être confinés dans une politique unilatérale nourrie à la propagande du parti unique
Dans l’arène politique un homme pointe à l’horizon avec un parti d’opposition appelé Front populaire ivoirien. Cet homme est Laurent Gbagbo, tribun et orateur hors pair.
Il recrute ses premiers militants dans le monde des universitaires et des étudiants. Comme tous les pays, la Côte d’Ivoire commence à connaître les grèves et les marches.
En 1990, le sommet de la Baule contraint tous les dirigeants africains au multipartisme. Le vieux cède et doit gérer désormais le FPI et les fougues de son fondateur. Le monde du travail et les étudiants affrontent le pouvoir du vieux.

Face aux nouvelles politiques financières comme le PAS imposées par les institutions de Bretton Wood il fait appel à un éminent économiste Alassane Dramane Ouattarra d’ethnie dioula originaire du Nord de la Côte d’Ivoire qui a fait ses études secondaires au Burkina Faso. Brillant économiste, il a gravi pratiquement toutes les étapes de responsabilité à la BCEAO et au FMI. C’est ce dernier qui fut le seul Premier ministre du président Houphouët. Il s’emploiera à redresser l’économie ivoirienne par des méthodes de rigueur appréciées par les nationaux et les bailleurs de fonds dont il semble bénéficier de la confiance absolue. Mais le grand mal du Président Houphouët c’est d’avoir personnalisé son pouvoir et de n’avoir pas pensé à préparer sa succession.

Après sa mort les divisions sont vite apparues dans son entourage. Dès l’annonce de son décès, à pas de course, le président Konan Bédié s’installe dans le fauteuil et travaille à écarter le Premier ministre Alassane Ouattara sous le couvert de l’ivoirité. La Côte d’Ivoire vient d’avoir un autre mal qui va le ronger. La scène politique est alors minée par plusieurs clans : le clan de Bédié, le clan de Ouattara et l’opposant historique Laurent Gbagbo. Le pays s’enfonce dans l’ambiance destructrice de la xénophobie jusqu’en 1999 où la Côte d’Ivoire a connu son premier coup d’Etat. Robert Gueï s’installe, il veut balayer la maison, mais il a gardé la saleté de l’ivoirité qui l’arrange. L’ivoirité devient un thème de campagne lorsque Ouattara tente de se présenter en 2000. Sa candidature est écartée au motif de nationalité douteuse. L’élection s’est tenue tout de même.

C’est dans un imbroglio que Laurent Gbagbo prête précipitamment serment alors que les résultats sont contestés. C’était les premiers signes de la boulimie du pouvoir. Une fois au pouvoir, le monde entier va connaître l’homme, non plus comme le défenseur des libertés et de la démocratie mais celui des grandes stratégies pour rester au pouvoir vaille que vaille. Il s’active à neutraliser les proches de Robert Gueï et les héritiers de Houphouët. Mais son ennemi le plus redoutable et le plus actif reste Alassane Ouattara. Celui-ci va devenir très vite la victime politique du clivage Nord-Sud.

Ainsi en 2002, les frustrations, les exclusions, l’absence de politique de réconciliation donnent des ingrédients qui débouchent sur une rébellion. Les Forces nouvelles depuis le Nord prennent les armes et s’emparent de la grande partie du pays pendant que le Chef de l’Etat était en mission à Rome.
Son régime est sauvé grâce à l’intervention de la France qui s’interpose. Mais le pays est coupé en deux, ne laissant à Gbagbo que les 40 %, mais avec l’avantage d’avoir Abidjan et les ports.

En 2007, une tentative de rapprochement entre le pouvoir et les Forces nouvelles est négociée et le Secrétaire général des Forces nouvelles, Guillaume Soro est nommé Premier ministre, alors que Gbagbo avait usé sans réussir deux Premiers ministres que sont Seydou Diarra et Charles Konan Bani.

Avec beaucoup de difficultés, Gbagbo finit par comprendre qu’il faut des élections débarrassées des termes d’exclusion comme l’ivoirité. Au premier tour, Laurent Gbagbo ne passe pas. Il est condamné à affronter Alassane au deuxième. Bédié appelle à voter Alassane. Le morceau est devenu gros pour le boulanger, mais il croit pouvoir l’avaler.
Au soir du 28 novembre 2010, il est battu à plate-couture par Alassane. Alors Gbagbo est vaincu et devient enragé. Il révèle au monde sa vraie nature, tel qu’il était et tel qu’il est. Sur la base d’une jurisprudence très curieuse, par un jeu de calculette, le Président du Conseil constitutionnel de Côte d’Ivoire annule plus de 500 000 voix des bureaux de vote du Nord et proclame Laurent Gbagbo président, sans honte !
Gbagbo se révèle au monde entier comme le plus têtu et teigneux des politiciens. Battu par les urnes de manière claire, transparente et sans appel, Gbagbo se réfugie derrière une légalité tordue pour s’accrocher au pouvoir. « On gagne ou on gagne », il applique ce slogan à la lettre au prix de la vie de milliers et de milliers de personnes. Il prend en otage toute la démocratie de son pays.

Le monde entier se met en branle pour le raisonner, mais peine perdue. La CEDEAO l’invite à remettre le pouvoir, il la boude ; l’UA le supplie de céder son fauteuil, il la nargue ; les Nations unies le somment de se plier au verdict des urnes, il les ridiculise. Des commissions, des panels et des rencontres de haut niveau lui proposent une sortie honorable, asile ou exil, il baille et envoie tout le monde paître.

Face à l’intransigeance hitlérienne de Gbagbo les forces républicaines de Côte d’Ivoire engagent une épreuve de force.
Et le 11 avril 2011 vers 11heures, après 11 ans de pouvoir (le 11 ne doit pas être le chiffre de Gbagbo), Gbagbo est extrait de son bunker avec toute sa famille et ses partisans. Il est conduit devant son adversaire qui l’héberge à l’hôtel du Golfe.

C’est la fin du feuilleton d’un homme qui confondait sa propre personne avec toute une nation. Comme quoi quelle que soit la taille d’une marmite, elle a toujours son couvercle. En tout cas une page sombre est tournée. Une autre est ouverte.

Augustin KABORE

L’Express du Faso

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Vos commentaires

  • Le 13 avril 2011 à 09:56, par Le loup En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    Bel article, qui retrace bien toute l’histoire.

  • Le 13 avril 2011 à 09:58, par Saga En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    C’est ce qui arrive quand un prof d’université accède au pouvoir. Avec leur sois disant Doctorat il se croit plus intelligent que les autres et prennent leur bêtise pour des vérités

  • Le 13 avril 2011 à 11:13 En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    Combattant redoutable ? Ce que fait Gbagbo tout le monde peut le faire. Les gens ne le font pas parce qu’ils ne veulent pas la honte. Tout le monde peut faire l’idiot. Seulement ça ne va pas loin. La preuve.

  • Le 13 avril 2011 à 11:46, par Tano depuis la Russie En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    Non, je dirais plutot que c’est la fin logique et pitoyante d’un historien qui n’a rien su tirer de l’Histoire.
    Toutes mes condoleances aux familles des malheureuses vies humaines et innocentes qu’il a traine dans sa folie. une enieme page tragique de l’histoire de l’Afrique s’ouvre sous nos yeux.
    Il est grand temps que les dirigents politiques qui utilisent toutes les 1000 et une ruse pour se maintenir dans le fauteuil supreme que les peuples ne vont plus se laisser faire. A bon entendeur, salut !

  • Le 13 avril 2011 à 12:12 En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    Bel article M. kaboré mais une faiblesse majeure à rélever : Alassane ouattara n’est pas de l’ethnie Dioula comme vous le le mentionner.Verifier votre source il doit etre Sénoufo. D’ailleurs, l’ethnie Dioula n’existe pas......Le dioula est une langue...

    • Le 13 avril 2011 à 13:24, par Barosmota En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

      Cher ami, vous avez raison sur un point : Alassane Ouattara n’est pas "Dioula", il est Sénoufo. Ici il s’agit de l’ethnie Sénoufo, ceux qui parle la langue qu’on appelle le "sénoufo". Je dit ça, car il ya aussi le "groupe ethnique" des sénoufo, dans lequel on trouve les sénoufo (les vrais (rire)), les turka, toussian, karaboro, goin,... , bref, les gens de la region de banfora

      Quant à l’ethinie "Dioula", elle existe bel et bien ! On en trouve quelques uns dans le Sud-Ouest du Faso et beaucoup du Centre au Nord de la Côte d’Ivoire.

  • Le 13 avril 2011 à 12:51, par yeral dicko En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    Très bel article,toutes mes félicitations !!

  • Le 13 avril 2011 à 13:23, par Paix En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    Merci Mr. Malheureusement on ne vous demande pas de donner le cours d’éthnologie ici. Si vous êtes spécialiste en éthnologie, il sera peut-être mieux de le conserver pour d’autres interventions. Merci.

  • Le 13 avril 2011 à 15:34, par MAHAOUA KONATÉ En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    Alassane est dioula de Kong . Il ya la langue dioula que parlent les dioulas de kong et certaines personnes.

    Mahaoua KONATÉ

  • Le 13 avril 2011 à 16:07, par Lucien En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    Bel article cher journaliste et j’avoue que vos analyses sont claires et limpides.
    La côte d’ivoire a connu beaucoup de retard du fait de ses fils qui pour le pouvoir, se sont divisés et ont divisé tout le peuple.
    Souhaitons que Allassane qui a été mon candidat puisse panser nos plaies et ramener la sérénité au pays afin que la côte d’ivoire puisse retrouver sa place d’antan.

    L’homme qui est bien placé pour ce redressement est bien le Docteur Allassane Ouattara qui est de l’ethnie Sénoufo et non dioula.
    Une fois encore merci à vous !!!

  • Le 13 avril 2011 à 16:49, par Joukov En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    Ce Mr Koudou ce sont les intellectuels dans les salons feutrés en afrique et en france qui ne le connaissaient sinon en CI, surtout par rapport au groupe ethnique auquel il appartient, personne ne l’aurait laisser arriver au pouvoir car l’experience Kragbé Gnangbé aidant, tout le monde savait ce qui allait arriver. ç’est à dire rien de bon. En cas d’élection normale en 2000, il n’aurait même pas franchit le premier tour si le PDCI avait eut un candidat.

  • Le 13 avril 2011 à 16:58 En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    M KABORE, n’oublie surtout pas de postuler aux Prix Galian 2011 avec cet article. Félicitation ! Ca ne depasse pas ça, il ne s’agit pas de réinventer la roue tout est disponible. Journalistes sportifs inspirez vous.

  • Le 13 avril 2011 à 19:45, par Jeune Intègre 2050 En réponse à : Autant le dire… : Triste fin d’un combattant politique redoutable

    TRES BEL ARTICLE !!!

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