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Situation nationale : Leçons d’une gouvernance en panne

Publié le mercredi 13 avril 2011 à 02h57min

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Il a donc fallu une longue semaine de crépitements de kalashs pour réveiller le Docteur Honoré de son habituel sommeil. Même si les soldats insurgés n’ont pas eu suffisamment de c... pour se rapprocher du palais de Kosyam, ils ont fait suffisamment de bruits et de dégâts pour amener le Blaiso à concocter une adresse spéciale à la nationale le 30 mars dernier. Il ne s’est pas contenté d’un simple speech radiotélévisé, mais aussi d’une série de rencontres avec les protagonistes de la crise. D’abord, les coutumiers et les religieux, puis les acteurs du monde judiciaire et enfin les militaires.

Les derniers développements des manifestations des élèves de Tenkodogo ont probablement provoqué les médiations de rattrapage ouvertes au monde de l’éducation au début de cette semaine. Mais s’il faut se réjouir de ce retour de l’enfant terrible de Ziniaré à ses oignons domestiques, il ne reste pas moins que la prise en main de tous les dossiers par le magistrat suprême, chef suprême des Armées et président du Conseil des ministres, est plutôt le signe d’une gouvernance en peine et en panne. Décryptage en 3 leçons.

1- Le pouvoir ne comprend que le langage de la force

Malgré les apparences de grande écoute dont le Blaiso national fait montre ces derniers jours, sa prompte réaction suite à la mutinerie de la soldatesque apporte de l’eau au moulin de ceux qui pensent que son pouvoir ne comprendrait que le langage de la force. Ce sentiment est d’autant plus ancré dans les esprits que la culture de « la force de l’argument » a fichu le camp au profit de celle de « l’argument de la force ». Quand on sait aussi que les espaces de débat ont disparu des médias publics, des institutions et organisations publiques, on ne devrait pas s’étonner de la propension de certaines couches sociales à vouloir se rendre justice en dehors de tous les cadres constitutionnellement organisés à cet effet.
À qui la faute, si les militaires préfèrent prendre les armes pour faire connaître leurs problèmes sociaux au lieu d’engager un dialogue avec leur hiérarchie ? Pourquoi les élèves et les étudiants sont plus prompts à faire des débrayages actifs (au point d’incendier des édifices publics) plutôt que de recourir à la justice ou à la discussion avec les structures d’encadrement de l’éducation ? Le régime ne donne-t-il pas l’impression de ne réagir véritablement que lorsque les situations sont pourries ? Telles sont les questions qui devraient amener à une véritable introspection au lieu de ces concertations qui se contentent plus de recoller spectaculairement les morceaux au lieu de mettre le doigt sur la source des malaises du Faso.

2- Un monde judiciaire qui a mal à son pouvoir

S’il y a bien un dénominateur commun aux malaises des scolaires et des militaires, c’est bien celui de la justice. C’est parce que les premiers n’ont pas confiance en la justice qu’ils étaient toujours en grève à Koudougou, la ville d’où est partie une folie incendiaire des commissariats, gouvernorats et autres édifices publics et qui s’est poursuivie jusqu’au 31 mars à Tenkodogo. Quant aux bidasses, ils justifient leur mouvement d’humeur par la sévérité de la décision judiciaire condamnant 5 de leurs collègues à des peines de 12 et 15 mois de prison ferme dans une affaire de mœurs à Ouaga.

A Fada N’Gourma, des soldats de la garnison sont aussi allés libérer un des leurs détenu pour le viol d’une mineure et ont tiré deux obus sur le palais de justice. Un acte de défiance qui est intervenu au moment même où magistrats, greffiers et avocats étaient en grève de procédure pour exiger la réincarcération des soldats libérés dans la capitale. Une exigence qui risque de ne jamais être satisfaite. La libération sans condition des militaires en question semble avoir été la monnaie d’échange pour le retour au calme dans la caserne du camp Général-Sangoulé-Lamizana d’où est partie la mutinerie dans la nuit du 22 au 23 mars. Que peut le monde judiciaire pour amener le gouvernement et l’Armée à respecter le verdict prononcé à l’encontre de ces militaires ? Presque rien.

Pour n’avoir pas su défendre son indépendance jusque-là, le pouvoir judiciaire s’est tellement mis aux ordres de l’exécutif qu’il a fini par s’affaiblir au point de ne plus inspirer confiance. Ce n’est donc pas par hasard que les élèves le mettent sous une forte pression tandis que les militaires foulent ses sentences aux pieds. Lorsqu’un appareil judiciaire traîne des casseroles pleines de dossiers pendants, on n’est pas étonné qu’il soit aussi mis à mal. Ce qui manque le plus au Faso, c’est bien la restauration de l’image d’une justice indépendante, autonome et prompte à se mouvoir avec sérénité et célérité.

3- L’instrumentalisation des chefs coutumiers et religieux

Quoique les chefs coutumiers et religieux ne bénéficient d’aucun statut institutionnel, la république ne s’embarrasse pas de les utiliser pour éteindre les incendies sociaux au propre comme au figuré. Mais que représentent encore ces hommes qui, à force de s’acoquiner avec les puissants et les nantis du moment, ont fini par ne plus pouvoir leur dire la vérité ? Que valent les paroles d’un Mogho Naba qui, au lieu d’être concerté dans son palais comme le veulent les coutumes, se transportent lui-même au Palais de la présidence et de surcroît répond directement au micro des journalistes ? Pourquoi les présenter comme les représentants des coutumiers et religieux de l’ensemble du pays, alors que ceux qui étaient conviés le 31 mars à Kosyam n’avaient rien de représentatifs ? Tout au plus, certaines communautés et certaines religions.

Si le Blaiso national avait vraiment besoin de tenir compte des conseils de ces gardiens des traditions et des valeurs religieuses, comment comprendre que les recommandations du Collège des sages - composés à l’époque des mêmes coutumiers et religieux - dorment toujours dans les tiroirs depuis 1999 ? Quel sort avait-il réservé aux inquiétudes des premiers responsables de l’Eglise catholique sur la résurgence des velléités de modification de l’article 37 de la Constitution ? Curieusement, ces chefs de service semblent aussi se plaire à ce jeu malsain qui a fini par faire d’eux les complices d’une gouvernance en panne d’inspiration.

F. Quophy

Journal du Jeudi

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