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Editorial de Sidwaya : Indispensable dialogue !

Publié le lundi 11 avril 2011 à 02h36min

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Ibrahiman Sakandé, DG des Editions Sidwaya

« Au commencement, était le Verbe … », peut-on lire dans la sainte bible. Notre compréhension de profane de ce passage est qu’au début de l’humanité était la communication toute-puissante et salvatrice, la parole divine donnée aux hommes comme tremplin vers leur salut, vers un certain bien-être détaché de toute nature avilissante, marquant la frontière entre humanité et bestialité. Aujourd’hui, peut-on dire que nous parlons plus, que nous dialoguons ? Au regard de la situation nationale et de celle, par exemple, de nos voisins ivoiriens, pour ne citer qu’eux ; l’on pourrait croire que la concertation raisonnée des avis et des doléances de chacun, l’écoute et la compréhension des demandes « de nos frères et sœurs », tendent parfois à se substituer au profit des cris, des larmes, des pneus brûlés et des coups de feu, tirés en l’air ou non…

Ce dialogue, ce verbe, notre bien commun qui nous permet de vivre ensemble, notre capital-confiance, que devient-il ?

Pourtant, les moyens de communication dont nous disposons aujourd’hui sont impressionnants, en nombre et en qualité. Dans un Etat qui a fait son chemin dans le droit comme le Burkina, le nombre de journaux, de stations de radio, de télévisions libres étonne déjà l’étranger qui arrive au Burkina pour la première fois, avec comme connaissance que le pays est classé parmi les plus « pauvres (?) » de la planète.

Il faut ajouter que l’espace public est bourré à craquer de messages écrits et oraux dirigés vers le monde entier ; et ceux venant des populations les plus modestes comme des plus huppées de notre société. Le téléphone portable, par exemple, fait partie des « produits impérialistes » que nous avons vite adoptés sans perdre le temps à faire au « colon véreux », le procès classique de l’identité culturelle. La possession de cet outil magique est allée tellement vite que toutes les concessions, aujourd’hui au Burkina, même des plus reculées et les plus démunies de la capitale, peuvent en disposer au moins d’un.

À travers les satellites de télécommunication, les câbles de fibre optique acheminant l’Internet et « les veines » des antennes paraboliques, le sang de la vie palpitante des cinq continents coule jusqu’à nous. C’est ainsi qu’un but marqué à Barcelone fait hurler, à l’unisson, les jeunes de Bobo-Dioulasso en même temps que leurs frères supporters inconnus de Guadalajara, Vladikavkaz, Sidney, Hanoi et d’ailleurs : la même fièvre, la même folie du football les envoûte et les unit aussi promptement et qualitativement que le permettent ces nouvelles technologies .

Cette facilité de communiquer signifie-t-elle que le dialogue dont nous faisons montre dans les relations nationales et internationales, aujourd’hui, est de qualité ? De même qu’il nous arrive, adeptes de la langue de bois que nous sommes, de parler beaucoup pour ne pas communiquer, ne communiquons-nous pas aujourd’hui au-delà ou en deçà de ce qu’il faut pour dialoguer ? L’actualité nationale et internationale, encore une fois, dévoile la faiblesse et les limites du journal, de la radio, de la télévision, de la table ronde censée favoriser le dialogue. Le Chef de Tenkodogo, lors d’une rencontre a posé cette interrogation qui reste à méditer : « On dit que l’écrit ne ment pas. Et si l’écrit est d’un menteur ? »

A flots d’encre, de sueur et même de sang, le monde dit libre a exigé la liberté d’expression. Aujourd’hui, nous déchantons parfois à la manière de Paul Valéry qui a un jour déchanté de la notion de « devoir » et qui a écrit : « Devoirs, vous aussi, vous êtes suspects ». L’écrivain français parlait des soldats nazis qui ont décimé le monde et l’Europe au nom de leurs devoirs donnés pour sacrés.

Libertés d’expression, moyens de communication perfectionnés, Internet et réseaux sociaux, radios et télévisions, n’êtes-vous pas aussi suspects, dirions-nous ? C’est bien parce que le père pérore à l’intention de son enfant sans pouvoir entrer en dialogue avec lui ; c’est parce que le soldat du rang préfère présenter ses hommages au téléphone à son supérieur hiérarchique plutôt que de subir un contraignant tête-à-tête ; c’est parce que le professeur aime mieux afficher ses conseils et directives pédagogiques que d’entrer en dialogue avec ses étudiants ; c’est aussi parce que l’électeur préfère enfourcher le cheval de dame rumeur et se promener dans les airs que de parler « gbè » à son élu ; c’est parce que dans l’espace public, les « paraît-il » sont plus crédibles que les décrets ministériels… que nous avons eu les sueurs froides de ces dernières semaines.

La vérité, c’est que malheureusement, le dialogue n’est plus vraiment de notre temps. Le dialogue suppose ouverture, loyauté, dépassement de soi au bénéfice d’autrui. Aujourd’hui, il arrive que l’ouverture nous dépanne, et nous nous y soumettons à contrecœur. Ce qui nous arrange vraiment, c’est le calcul… Ne sommes-nous pas tous en train de devenir de fins, froids et redoutables calculateurs exclusivement motivés par nos insignifiants comptes d’apothicaire, des individualistes régis par le profit maximal et l’enrichissement personnel ?

La loyauté : nous pensons de plus en plus qu’il s’agit d’un conseil enfantin et puéril bon à être jeté, le moment venu, à la poubelle avec les poupées. Un homme de notre temps, averti de la concurrence et de la dure loi de la vie et du pouvoir, préfère être roi dans un trou et s’y maintenir par le mensonge que d’être loyal et perdre son trône. Qui est fou ? Et comment ne pas renchérir : et qu’est-ce que la folie ? Par les temps qui courent, quand il y a dépassement, il s’agit plus vraisemblablement d’un dépassement vers soi ou tout au plus vers les siens. Il est de moins en moins question de se dépasser pour autrui.

Pour toutes ces raisons, le dialogue se meurt, il ne nous reste que la communication, l’information, les séminaires, les colloques et les tables rondes. C’est là où nous tous, nous trompons la vérité en y prononçant de brillants discours, grugeons notre audience en la contraignant à avaler nos ânonnements sans lui donner la possibilité d’y répondre.

Dans ce contexte, on comprend bien pourquoi le Chef de l’Etat, sentant venir la nécessité d’un dialogue national, s’est adressé, à raison, aux responsables traditionnels et religieux. Car le dialogue, comme décrit dans les lignes ci-dessus, a quitté l’espace public pour se terrer dans les lieux saints : mosquées, temples et églises. Cela est très inquiétant, bien que compréhensible. Ce qui fait le tissu intime de notre alliance sociale, ce ne sont ni les textes institutionnels, ni les moyens de communication, ni l’ensemble de nos projets de développement, ni l’aide internationale, mais cette valeur archaïque et universelle : l’Homme. Et ce rêve utopique non moins archaïque : le bonheur d’être ensemble, de se forger un avenir commun et radieux.

Si la Cité burkinabè que nous construisons dans la fièvre et le dévouement ne peut pas, dès maintenant, être une cité de dialogue, que faut-il faire ? Renoncer à la parole et remonter au singe, ou nous cacher chacun dans son bunker, entouré de femme, enfants et pasteurs ? Ni l’un ni l’autre. Mais le dialogue franc et vrai tel que nous le préconisions déjà avec prémonition dans notre éditorial du 29 mars 2011

Par Ibrahiman SAKANDE ( sakandeibrahiman@yahoo.fr)

Sidwaya

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