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Mali : A un an de la prochaine présidentielle, Amadou Toumani Touré confie le gouvernement à Cissé Mariam Kaïdama Sidibé

Publié le vendredi 8 avril 2011 à 02h49min

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Sidibé (Modibo) s’en est allé ; Sidibé (Cissé Mariam Kaïdama) débarque. Alors que Amadou Toumani Touré va, dans quelques semaines, entamer sa dernière année au pouvoir (il est en fonction jusqu’au 8 juin 2012), le changement de premier ministre est l’occasion de frapper symboliquement les esprits. C’est donc une femme, Cissé Mariam Kaïdama Sidibé qui est nommée à la tête d’un gouvernement.

C’est une « première » ; jusqu’alors, aucune femme n’avait eu ce privilège au Mali (rare encore en Afrique ; à ma connaissance, six pays seulement ont franchi le pas : Burundi, Centrafrique, Mozambique, Rwanda, Sao Tomé, Sénégal, Mozambique - mais il est vrai que la France, qui se vante d’être une démocratie où la parité est la règle, n’a connu qu’une seule femme chef de gouvernement : Edith Cresson !). L’info fait, bien sûr, le tour de la planète web.

La promotion de la femme, au Mali, n’est pas une nouveauté ; d’abord, parce qu’elles « assurent » très bien, elles-mêmes, dans tous les domaines ; ensuite parce que, en septembre 2010, deux femmes médecins militaires ont été promues au grade de général de brigade. Mais, dès lors que madame Cissé Sidibé va être le dernier des premiers ministres de ATT (après deux mandats il ne peut pas se représenter ; mais il n’a pas tenté de forcer le passage), l’information prend une dimension politique particulière alors que le chef de l’Etat entend, avant son départ, faire aboutir sa réforme du code de la famille (qui vise, dit-on, à « l’égalité » homme-femme alors que la structure sociale malienne revendique une « complémentarité » homme-femme).

L’arrivée sur le devant de la scène politique de madame Cissé Sidibé résulte du départ de Modibo Sidibé. Sidibé, qui a quitté la primature le 30 mars 2011, avait été nommé le 28 septembre 2007 au lendemain de la réélection de ATT à la présidence ; ambitionnant d’être candidat à la présidentielle 2012, il lui fallait prendre du champ vis-à-vis de l’activité gouvernementale. C’était une nécessité pour lui ; une obligation selon ATT qui ne veut pas, aujourd’hui, d’un premier ministre présidentiable. Madame Cissé née Sidibé ne le sera pas.

Née le 4 janvier 1948 à Tombouctou, cet administrateur civil diplômée de l’ENA de Bamako, mère de quatre enfants, s’est passionnée pour la gestion et la management. C’est au sein du ministère de tutelle des sociétés et entreprises d’Etat puis du ministère du Plan qu’elle va mener sa carrière de 1974 à 1991. Elle sera chargée de mission à la présidence de la République en 1989-1991 (sous Moussa Traoré) avant d’être « récupérée », toujours à la présidence, mais cette fois par ATT, président du Conseil de réconciliation nationale, puis d’être nommée ministre du Plan et de la Coopération internationale (août 1991-juin 1992 ; + l’Agriculture-Environnement en mai-juin 1992, cumulativement avec le Plan).

Alpha Oumar Konaré ayant été élu président au printemps 1992, Madame Cissé Sidibé va dès lors avoir à suivre le dossier des privatisations des entreprises publiques comme directrice du Bureau des entreprises publiques (BEP) avant d’être nommée secrétaire exécutif du Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse au Sahel (CILSS) en août 1993. Elle va rester sept ans à Ouagadougou, où se trouve le siège du CILSS, avant de revenir à Bamako, en août 2001, en tant que conseiller technique à la présidence (sous Konaré donc) et sera, l’espace de quelques mois (mars-juin 2002) ministre du Développement rural.

L’accession de ATT à la présidence de la République va mettre un terme à son activité gouvernementale et madame Sidibé Cissé va connaître une période de flottement dans sa vie professionnelle. En novembre 2003, elle va reprendre du service dans le monde de l’entreprise : elle est promue président du conseil d’administration de la Société nationale des tabacs et allumettes du Mali (Sonatam), poste qu’elle occupera jusqu’à sa nomination à la primature.

La Sonatam est l’ancienne fabrique de cigarettes Djoliba réalisée avec l’assistance de la République populaire de Chine dans les années 1960 et dont la gestion a été confiée à une société d’Etat, la Sonatam, en 1969. A la fin des années 1990, la privatisation de la Sonatam a été à l’ordre du jour, l’objectif étant d’avoir un partenaire gestionnaire minoritaire aux côtés des actionnaires nationaux, des travailleurs et de l’Etat qui entendait rester majoritaire. C’est le groupe britannique Imperial Tobacco (auquel le groupe Bolloré a cédé son pôle « tabac » en 2001) qui a été le partenaire de l’Etat au sein de la Sonatam, mais la situation de l’entreprise n’a jamais été assainie et les Libyens ont dû injecter 70 millions d’euros pour la sauver de la faillite et relancer son activité.

Madame Sidibé Cissé devient ainsi le quatrième PM de ATT après Ahmed Mohamed Ag Hamani (2002-2004), Ousmane Issoufi Maïga (2004-2007) et Modibo Sidibé (2007-2011). Et a un an devant elle pour faire la preuve qu’elle peut être, aussi, une femme politique ; et qu’une femme politique peut être chef du gouvernement à Bamako. Dans un contexte difficile. D’abord parce que la prochaine présidentielle est ouverte et que tous les coups seront permis, le chef de l’Etat sortant ne se représentant pas et aucune personnalité « historique » n’étant en lice (en 2002, ATT n’a pas eu à affronter Konaré mais ayant été l’homme de la transition en 1991, son image était particulièrement prégnante dans l’opinion malienne). Ensuite, parce que la conjoncture malienne est délicate du fait, notamment, des « effets collatéraux » des crises qui bouleversent la sous-région.

Premier défi : AQMI. Si les bouleversements que connaît l’Afrique du Nord a quelque peu estompé le problème du « terrorisme islamique » dans la zone sahélo-saharienne et l’affaire des otages d’AREVA, le dossier reste pendant. Deuxième défi : la montée en puissance (souvent en lien avec les agissements de AQMI) des réseaux de trafics de cocaïne et autres drogues qui ont fait du Mali leur plaque tournante entre la côte atlantique et l’Afrique du Nord. Troisième défi : l’évolution de la relation Bamako-Tripoli. Les investissements libyens publics et privés ont été considérables au Mali ces dernières années dans le secteur de l’hôtellerie, des banques mais également de l’industrie. Sans oublier le projet agricole initié par Bachir Saleh, le directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi, qui visait à faire du Mali le grenier agricole de l’Afrique de l’Ouest.

En 2008, 100.000 hectares de terres rizicoles irrigables du delta intérieur du fleuve Niger ont été « offerts » au fonds souverain Libya Africa Investment Portfolio (LAP). Ce projet doit être mis en œuvre dans le cadre de la société Malibya (une raison sociale explicite) mais ne rencontre pas l’assentiment des populations locales qui dénoncent un contrat léonin allant à l’encontre des intérêts des paysans et du pays. La situation de Kadhafi à Tripoli a radicalisé les comportements de ceux qui s’opposent à cette opération « coloniale » (les terres sélectionnées sont celles de l’ancien Office du Niger créé dans l’entre-deux guerres par la France et à laquelle les populations ouest-africaines « déportées » - notamment les Voltaïques - ont été appelées à apporter leur force de travail).

Bien sûr, il ne faut pas oublier la situation de la Côte d’Ivoire post-Gbagbo ! Mais le grand chantier de Madame Sidibé Cissé va être la mise en œuvre d’un code des personnes et de la famille plus favorable aux femmes ; un dossier vieux de plus de dix ans mais que ATT n’est pas parvenu à faire promulguer compte tenu de la résistance de la société civile. Il n’est pas certain d’ailleurs que le fait que le chef du gouvernement soit une femme change grand-chose à l’affaire. Sauf à dédouaner les hommes !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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