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Laurent Gbagbo se voyait comme Soundiata ou Soni Ali Ber. Il restera dans l’histoire de l’Afrique comme un dictateur psychopathe (2/2)

Publié le mardi 5 avril 2011 à 11h52min

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« Tout cela paraît illogique et irrationnel… » (cf. LDD Spécial Week-End 0482/Samedi 2-dimanche 3 avril 2011). Au lendemain des événements du 18-19 septembre 2002 et des « accords de Marcoussis », Gbagbo est sonné. Il ne comprend plus ce qui se passe. Il était dans un schéma politique classique et le voilà confronté à « l’irrationnel ».

Pour lui, le « mal » vient nécessairement d’ailleurs, des non-Ivoiriens : il montre du doigt les Burkinabè et Alassane Dramane Ouattara dont il dira qu’il a « l’intime conviction » qu’il a été « le cerveau des événements qui se déroulent en Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre » (entretien avec Francis Kpatindé, J.A./L’Intelligent du 30 mars 2003).

C’est aussi à l’occasion de cet entretien que, pour la première fois dans un interview, il est fait référence à Simone Ehivet-Gbagbo qu’un rapport de l’ONU désigne comme responsable présumé des escadrons de la mort. « Dans cette affaire, c’est moi qu’on cherche à atteindre. On veut démontrer coûte que coûte que mon pouvoir est illégitime. On a d’abord dit que j’avais usurpé le pouvoir. Puis, quand mes adversaires en ont eu marre, ils ont dit que j’étais le responsable du charnier de Yopougon, puis l’animateur d’un réseau d’enfants esclaves, alors qu’on emploie des gosses dans les plantations de cacao depuis le XIXème siècle. Puis, comme s’il fallait absolument que je sois coupable de quelque chose, les mêmes ont commencé à répandre le bruit selon lequel je vis au palais entouré de pasteurs protestants et d’un Raspoutine » (entretien avec Kpatindé, cf. supra).

Gbagbo ne se perçoit plus, dès lors, comme un homme d’Etat dont la politique est attaquée par ses adversaires. C’est « l’homme Gbagbo » qui est mis en cause, le rôle de son épouse, ses engagements religieux, ses connexions, ses réseaux… Un monde qui lui échappait jusqu’alors et qui est sous le contrôle, justement, de Simone. Qui ne manquera pas de le conforter dans cette vision qu’il a un rôle historique à jouer ; non pas au titre de l’action politique mais parce qu’il a été choisi par Dieu. La dédicace de Simone, en date du mercredi 6 décembre 2006, qui ouvre son livre (« Paroles d’honneur. La Première Dame de Côte d’Ivoire parle… ») est édifiante : « A Laurent. Salut à toi, Laurent ! Tu croyais œuvrer uniquement pour amener à l’existence une vision que Dieu a inscrite derrière tes paupières et qui ne te lâche pas. Tu ne savais pas que tu semais en chacun d’entre nous la force de se battre pour se réaliser. Tu nous as forgé une âme forte et résistante, prête, comme Sisyphe, à remonter notre Afrique depuis les abîmes du bannissement et de la déchéance ancestrale jusqu’à la lumière de la Libération et de l’épanouissement total. Merci, Laurent, pour nous tous et que Dieu te bénisse ! ».

L’explication que la « politique » stricto sensu ne lui apporte plus, Gbagbo va la rechercher dans la mythologie puis dans la religion. Il est investi d’une mission qui dépasse le seul combat pour la démocratie et le socialisme. Ce n’est plus la République de Côte d’Ivoire qui est en cause, c’est Gbagbo, l’élu de Dieu. Parce qu’il est historien, il va trouver en Afrique ces figures emblématiques auxquelles il s’identifiera. « Je me vois comme Soundjata » dira-t-il (Fraternité Matin du 5 janvier 2005), le « Lion du Mali », fondateur de l’empire mandingue (XIIIème siècle). « Sâ Kaousa malo yé » (Plutôt la mort que la honte) disait la mère de Soundjata à son fils qui s’illustrera en « constituant un royaume animé par le dynamisme d’une lutte semi-nationale contre l’impérialisme sosso ».

Gbagbo s’identifiait également à Sonni Ali, dit Ali Ber (le Grand) qui s’est illustré dans la boucle du Niger au XVème siècle. Gbagbo disait que Sonni Ali « est dépeint par les textes arabes comme un mécréant, un tueur tout simplement parce qu’il protégeait son pays contre les commerçants arabes qui voulaient mettre la main sur l’économie de son empire ». S’il vénère ces deux figures historiques de l’Afrique (*) c’est, nous dit Gbagbo, qu’elles sont connues essentiellement « en Afrique par les Africains comme de grands chefs, de grands rois » et qu’elles ne sont pas connues « dans le monde extérieur ». Il ajoutait : « Moi, ce qui m’importe, c’est ce que les Ivoiriens et les Africains pensent de moi ». Le message est évident. Il est à destination de Henri Konan Bédié et de Ouattara. Gbagbo va le marteler : « Compter sur l’extérieur pour arriver à leurs fins, c’est un peu l’histoire de leur vie à ces deux-là », dira-t-il à François Soudan (Jeune Afrique du 27 décembre 2009). Il ajoutera : « On leur en a tant fait voir aux Africains, on leur a asséné tant de mauvaises leçons qu’ils adorent aimer ce que les Blancs détestent ». Pendant la campagne présidentielle, il ira plus loin dans sa logique, les traitant de « candidats de l’étranger ».

« Quelque part, je sens que Dieu m’a confié la mission de guider la Côte d’Ivoire sur le seuil de la modernité », dira par ailleurs Gbagbo à Soudan (cf. supra). C’est que la question religieuse n’est plus taboue dans les entretiens du chef de l’Etat avec des « occidentaux » (les interviewers africains n’abordent pas cet aspect des choses). On se souvient qu’à la question de Soudan (Jeune Afrique du 17 octobre 2010) : « Dieu vote-t-il Laurent Gbagbo ? », Gbagbo aura cette réponse quelque peu absconse : « Je prie beaucoup, mais nul sauf son fils, Jésus, n’a jamais vu Dieu ».

Au fil des mois et alors que la présidentielle de 2010 se profile à l’horizon, le ton de Gbagbo est de plus en plus polémique et de moins en moins politique : il est ancré dans des certitudes qu’il assène brutalement à ses interlocuteurs : il y a, bien sûr, le « Je ne serai pas battu. J’y suis, j’y reste » dont Soudan fera le titre de son interview (cf. supra), mais aussi le « Ce n’est pas moi qui vais perdre » qui fera celui du Journal du Dimanche (31 octobre 2010 - entretien avec Antoine Malo). C’est Malo qui a ainsi interpellé Gbagbo : « Si les sondages se trompent et que vous perdiez, promettez-vous de ne pas vous accrocher au pouvoir ? » ; réponse de Gbagbo : « Mais je ne promets rien à personne. Et puis les sondages ne peuvent pas se tromper à ce point ». Dès lors qu’il perdait cette présidentielle, ce ne pouvait être que le résultat d’un « complot ». Gbagbo va le dire à Tanguy Berthemet (Le Figaro du lundi 27 décembre 2010) et à Jean-Philippe Rémy (Le Monde daté du mardi 28 décembre 2010).

La boucle est bouclée. Gbagbo a abandonné le terrain du politique depuis bien longtemps déjà. Et a été chercher ailleurs des motivations à son « combat ». Du côté de Simone. Qui écrira dans son livre : « Cette guerre a rapproché le peuple de Côte d’Ivoire de Dieu. Ils sont nombreux ceux qui aujourd’hui prient et jeûnent pour la patrie. Dans le milieu des patriotes, des initiatives de plus en plus nombreuses organisent des séances d’évangélisation, d’enseignement de la Parole, comme si l’on était convaincu que la Côte d’Ivoire avait traversé la mort et qu’elle était en train de ressusciter. Comme cela s’est passé pour Lazare dans l’évangile de Jean. Lazare est ressorti du tombeau encore dans les liens du linceul. Il a fallu le délier pour qu’il puisse recommencer à aller et venir » (page 444 de « Paroles d’honneur. La Première Dame de Côte d’Ivoire parle… », éditions Ramsay, Paris 2007). Reste à savoir jusqu’à quand la folie de Gbagbo va imposer sa loi aux Ivoiriens. « Plutôt la mort que la honte » ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

(*) Ce que je sais de Soundjata et de Sonni Ali, je le tiens bien sûr du Burkinabè Joseph Ki-Zerbo qui est à l’histoire de l’Afrique et au combat politique des Africains pour une société plus juste tout ce que Gbagbo n’a pas été, quoi qu’il en pense, ni pour l’une ni pour l’autre.

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