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Réincarcération des militaires : “Si rien n’est fait, d’autres hommes de tenue se feront entendre” (René Bagoro, SG du SBM)

Publié le lundi 4 avril 2011 à 11h14min

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Les militaires condamnés sont toujours en liberté, renforçant la conviction de plus d’un que l’Etat burkinabè est incapable de faire respecter la loi. Pour le secrétaire général du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM), René Bagoro, si rien n’est fait, d’autres hommes de tenue se feront entendre.

Pourquoi l’affaire des cinq militaires condamnés n’a pas été jugée par un tribunal militaire ?

• Avant tout propos, permettez-moi de dire merci à votre organe pour l’opportunité qu’il offre aux organisations syndicales et associatives du monde judiciaire, à travers ma personne d’en parler.

En effet, la situation actuelle mérite que les acteurs communiquent et se fassent comprendre. Pour revenir à votre question, il convient de préciser que, dans l’organisation judiciaire, il y a ce qu’on appelle les juridictions de droit commun et les juridictions d’exception : ainsi, le tribunal militaire est une juridiction d’exception ;

il n’a pas de monopole pour connaître des infractions commises par des éléments des forces armées, car il y a un partage de compétences entre ce Tribunal et les juridictions de droit commun selon trois hypothèses : le Tribunal militaire est exclusivement compétent pour les infractions militaires légalement définies comme telles et pour les infractions commises dans un établissement militaire.

Par contre, les juridictions de droit commun sont compétentes pour connaître des infractions de droit commun commises par les militaires en dehors d’un établissement militaire. Les infractions d’outrage public à la pudeur, de vol, de complicité d’outrage public à la pudeur et de complicité de vol, pour lesquelles les cinq citoyens ont été condamnés, sont des infractions de droit commun.

Le tribunal de grande instance en sa composition correctionnelle était donc la juridiction compétente pour les juger et non le tribunal militaire. Pour certains, c’est la sévérité de la peine qui est à l’origine du courroux des soldats. Selon le code pénal, quelle est la sanction prévue dans ces genres de situation ?

• Je disais tantôt qu’ils ont été poursuivis pour outrage public à la pudeur et pour vol. En définitive, l’un d’entre eux a été condamné pour outrage public à la pudeur et vol et les quatre autres pour complicité d’outrage public à la pudeur et complicité de vol.

Lorsqu’une personne est poursuivie pour plusieurs infractions, il peut être déclaré coupable de l’ensemble des infractions, mais pour la peine, seule celle applicable à l’infraction la plus sévèrement punie lui sera appliquée en vertu de l’article du code pénal qui exclut le cumul des peines. En l’espèce, ils ont tous été déclarés coupables de deux infractions.

Au nombre de ces infractions, le vol et la complicité de vol sont les plus sévèrement punis. En effet, ces deux infractions sont punies de peines allant de 1 à 5 ans et d’une amende de 300 000 à 1 500 000 francs ou de l’une de ces deux peines seulement. En clair, le juge avait la possibilité de les condamner à des peines comprises entre 12 et 60 mois et à une amende de 300 000 à 1500 000 francs. Il pouvait aussi opter pour la peine d’emprisonnement ou l’amende.

Là, il a opté pour la peine d’emprisonnement et s’est contenté de donner le minimum aux quatre complices et le minimum majoré de 3 mois à celui qu’il a considéré comme auteur principal. Vous savez, pour qu’un juge condamne une personne à moins du minimum, il faut que, des débats, il ressorte des circonstances atténuantes. Rappelez-vous que les cinq citoyens ont conclu en disant que leurs actes consistaient en une correction de leur vis-à-vis du jour.

En définitive, les peines prononcées par le tribunal ne sont pas sévères, puisque c’est juste le minimum qu’il a appliqué dans la plupart des cas, alors qu’il avait la possibilité d’y ajouter des peines d’amende. Je sais que vous allez me demander pourquoi il n’a pas opté pour les amendes, puisqu’il avait cette possibilité. Je dois dire que la peine est du domaine de l’appréciation du tribunal et que quand il statuait, il a considéré les cinq militaires comme des citoyens burkinabè conformément à l’article 1er de notre Loi fondamentale.

Quelles ont été les conditions de libération des militaires ? Qui l’a ordonnée ? Le commandement ? Le ministre de la Justice ou le ministre de la Défense ?

• Je n’en sais vraiment rien. Sur cette question, aucune des autorités que vous avez citées ne communique. La certitude est que le mandat de dépôt, décerné à l’audience du 22 mars 2011, n’est pas exécuté et que les cinq citoyens condamnés sont libres de leur mouvement. Dans tous les cas, je vous invite à relire les différents communiqués de la hiérarchie militaire et vous serez certainement situé sur la réponse à cette question.

Jusque-là, vous refusez de reprendre le travail si vous n’avez pas de réponses concrètes à vos revendications. Pourtant le Président du Faso a fait des promesses dans ce sens.

• C’est vous qui me l’apprenez. Sinon, selon le Chef de l’Etat, l’objectif de la rencontre du jeudi 31 mars 2011 était de recueillir nos sentiments et nos attentes de l’Exécutif dans la situation actuelle. Nous sommes revenus sur les grandes conclusions de notre assemblée générale et sur les conditions de reprise du travail.

Il a juste dit qu’une rencontre avec une délégation gouvernementale s’avère nécessaire et qu’un Conseil supérieur de la magistrature serait convoqué dans les jours à venir. Pour nous, ce sont les conclusions de ces deux rencontres qui sont déterminantes et pourront nous ramener sur le chemin des palais. Pour l’instant, le mot d’ordre de suspension des activités juridictionnelles sur toute l’étendue du territoire dans son entièreté est maintenu.

Vous avez aussi exigé qu’on présente des excuses publiques au pouvoir judiciaire.

• Oui. Notre revendication précise, la voici : « la présentation d’excuses publiques au pouvoir judiciaire ». La lettre d’excuses a été adressée au ministre de la Justice qui est une autorité de l’Exécutif. Cette lettre devrait être adressée au Premier Président de la Cour de cassation avec éventuellement ampliation au ministre de la justice. Qu’à cela ne tienne, cette lettre est datée du lundi 28 mars 2011.

C’est ce même lundi matin que les évènements de Fada ont éclaté avec l’attaque du palais et de la maison d’arrêt et de correction de cette ville, tout cela couronné par la libération irrégulière d’un citoyen militaire inculpé et détenu pour viol sur une mineure de 13 ans. Pire, le lendemain, on assistera à des tirs à la roquette sur le palais de justice. Comme si le palais était devenu un établissement militaire ennemi

Selon le Ministre de la Justice, le Président du Faso a dit que la réincarcération des militaires était une question complexe. Pensez-vous que vous serez entendus sur cette question ?

• Je voudrais d’abord dire que ce n’est pas exactement ce que le Chef de l’Etat a dit au cours de la rencontre. Il a plutôt fait référence à la situation nationale dans son ensemble, qui serait complexe. Dans tous les cas, nous devons être entendus parce que c’est la loi. Nous ne pensons pas que l’Exécutif va faillir jusqu’à ce point à sa mission. En effet, c’est sur la base d’une loi votée par l’Assemblée nationale qu’un Tribunal a tranché un conflit.

Vous voyez déjà que les deux pouvoirs ont été mis en branle. Il reste le troisième, qui est l’Exécutif, lequel doit tout faire pour que les décisions de justice soient exécutées. Le contraire confirmera de la plus belle et expresse manière la théorie de la justice à double vitesse : une justice pour les forts et une justice pour les faibles. En clair, la réincarcération des cinq citoyens burkinabé condamnés par une juridiction qui en a reçu le pouvoir de par l’article 124 de la Constitution constitue une obligation.

Il s’agit d’appliquer et de faire respecter les lois du Faso, c’est-à-dire de la République. Tout refus de réincarcération entraînera trois conclusions : d’abord, il s’agira d’une atteinte gravissime à l’Etat de droit, notamment par la remise en cause de l’indépendance du pouvoir judiciaire, dont le Président du Faso est le garant de par l’article 131, et de l’égalité entre les citoyens consacrée par l’article 1er de la Constitution du 2 juin 1991. Celui-ci dispose que : « Les Burkinabè naissent libres et égaux en droit. Tous ont une égale vocation à jouir de tous les droits et de toutes les libertés garantis par la Constitution.

Les discriminations de toutes sortes… sont prohibées ». La non-réincarcération des cinq citoyens condamnés constituera une discrimination fondée sur l’appartenance socioprofessionnelle ; ensuite, cela traduirait l’incapacité de l’Etat du Burkina à faire respecter les lois du pays par certains citoyens, en violation de l’article 63 de la Constitution alors qu’il se montre impitoyable envers d’autres.

Dans ce cas, l’Etat perdra son autorité aux yeux des citoyens. Enfin, les forces de défense perdront toute légitimité et toute autorité morale à intervenir en cas de troubles à l’ordre public pour faire respecter les lois de la République, dans la mesure où elles-mêmes se seraient mises en travers de ces lois, en refusant d’exécuter une décision de justice. Vous savez, nous travaillons moins avec les militaires bérets rouges que quotidiennement avec la police nationale, la gendarmerie et la garde de sécurité pénitentiaire.

Ils ont certains de leurs collègues qui sont inculpés ou condamnés, et vous le savez. Si rien n’est fait dans le présent dossier, soyez assuré que des voix pourraient se faire entendre dans ces rangs aussi. Et tenez-vous bien, si tous ces gens doivent s’inscrire en dehors de la loi ou se croire la loi, ils peuvent faire pire, sans faire crépiter les armes ni libérer qui que ce soit. Juste un sabotage de l’œuvre de justice suffit.

Laquelle justice est pourtant l’un des piliers fondamentaux de l’Etat de droit. A chacun de méditer cela. Je rappelle que si des étudiants, des commerçants avaient simplement tenté ce que les militaires ont fait, ils seraient recherchés pour être sanctionnés. En définitive, force doit rester à la loi quel que soit le statut du citoyen concerné.

A supposer qu’aucune de vos revendications ne trouve satisfaction. Vous faites quoi ? L’arrêt de travail que vous observez sera-t-il illimité ?

• Vous avez bien dit aucune ? Si aucune ne marche cela signifie tout simplement que la justice ne compte vraiment pas dans l’Etat de droit. Et pour cela, à quoi bon aller condamner d’autres citoyens burkinabè ? Notre conscience professionnelle ne le permettra pas.

Je rappelle que nous observons l’arrêt de travail pour deux raisons majeures : l’insécurité ambiante qui prévaut dans les palais en ces temps et les atteintes à l’indépendance de la justice.

Ce sont ces deux raisons qui nous ont amenés à formuler trois revendications fondamentales, sans la satisfaction desquelles nous pensons que toute reprise de travail est suicidaire. Ce sont :

• La réintégration immédiate de la prison et sans condition par les cinq citoyens condamnés et libérés en violation de la loi ;

• La prise de mesures sécuritaires pour les acteurs de la justice ;

• La convocation urgente d’un Conseil Supérieur de la Magistrature extraordinaire élargi pour se pencher sur la situation et le renforcement de l’indépendance de la justice.

Ne craignez-vous pas des défections dans vos rangs ?

Des défections ? Nous pensons que si elles adviennent, elles feront partie de l’ordre normal des choses. Je vous informe que, dès le début du mouvement, des supérieurs hiérarchiques, au nombre de cinq, soit deux procureurs généraux, deux procureurs du Faso et un président de tribunal, ont tenté de démobiliser les magistrats sans succès.

Cela démontre que les acteurs de la justice sont aujourd’hui conscients de la nécessité de défendre l’indépendance de leurs corps et qu’ils ne sont pas prêts à se laisser diviser par des supérieurs dont l’unique souci est la préservation de leur poste ou celui d’avoir d’autres promotions.

Du reste, au cours de l’assemblée générale du 29 mars dernier, les acteurs présents ont été unanimes sur la justesse du mouvement actuel. Au jour d’aujourd’hui, c’est l’ensemble des acteurs de la justice qui soutiennent le mouvement à travers leurs structures.

C’est ainsi que l’ordre des notaires et la chambre des huissiers ont apporté leur soutien au mouvement, et que le syndicat de la garde de sécurité pénitentiaire a manifesté son intention de s’y joindre. Mais je dois reconnaître qu’il y a des pressions et que tout le monde n’y résiste pas de la même manière. En conséquence, nous travaillons à garder l’unité d’action enclenchée, donc à éviter les défections.

L’essentiel à éviter ce sont les défections de structures et non celles d’individus. A l’heure actuelle, je pense qu’aucune structure ne voudra ramer à contre-courant du mouvement d’ensemble des acteurs de la justice.

Certains estiment que vous devez mettre un peu d’eau dans votre vin pour calmer la situation.

• Parce que l’objectif, c’est de calmer la situation ? Quelle situation ? Pourquoi n’est-ce pas aux autres de prendre des mesures pour nous permettre d’avoir de l’eau dans notre verre et non du vin dans lequel il faut mettre de l’eau ? Juste pour dire qu’ici, nous pensons que notre combat est celui de la légalité, celui de la restauration de l’autorité de l’Etat.

En effet, il nous a été donné d’apprendre en droit constitutionnel qu’un Etat se compose : d’un territoire, d’une population et d’un pouvoir de contrainte, dont le rôle est d’édicter les lois et règlements et de les faire respecter. C’est cette dernière composante que nous voulons aider à restaurer. Si donc il nous faut mettre de l’eau dans notre vin pour permettre la violation de la loi, on peut se demander si l’Etat existe au Burkina dans ce dernier élément constitutif.

Que pensez-vous de l’assertion selon laquelle cette affaire est une occasion pour certaines personnes de régler leurs problèmes politiques avec Blaise Compaoré ?

• Vous savez que les magistrats sont en dehors de la sphère politique. Il ne reste donc que les greffiers et les avocats. Mais en ma qualité de citoyen, je sais que toutes les situations sont bien à exploiter politiquement. Pour dire autrement que nous n’allons pas sceller notre lutte sur l’autel de cette assertion. Et comme dit précédemment, notre action aide plutôt à restaurer l’autorité de la justice et partant l’autorité de l’Etat.

Cela me permet en même temps de relever qu’à mon avis, il n’y a pas de nuage entre l’armée et la justice, encore moins entre les acteurs de la justice (magistrats, avocats, greffiers, notaires, huissiers) et les militaires. Il y a simplement qu’une décision de justice concernant des citoyens militaires souffre à être exécutée et cela porte atteinte à l’autorité de la justice et de l’Etat dans son entièreté. Nous demandons donc à ceux qui sont investis du pouvoir de restaurer l’autorité de l’Etat de le faire. Et ce sera que justice.

Entretien réalisé par Adama Ouédraogo Damiss

L’Observateur Paalga

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