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An 2 de la rebellion en Côte d’Ivoire : en train pour Bouaké

Publié le lundi 27 septembre 2004 à 07h24min

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Comme indiqué dans notre édition du vendredi 24 septembre dernier, une équipe de l’Observateur paalga, composée de San Evariste Barro et de D. Evariste Ouédraogo s’est rendue en Côte d’Ivoire du 16 au 21 septembre 2004. Cela dans le cadre du deuxième anniversaire du déclenchement de la rébellion qui secoue le pays d’Houphouët Boigny depuis le 19 septembre 2002. Un voyage aux multiples péripéties, qui nous a conduits au cœur du mouvement des Forces nouvelles et dont nous proposons à partir de cette livraison le carnet.

En 1994, lorsque nous nous rendions pour la toute première fois à Bouaké, nous étions animés par un sentiment de curiosité. La curiosité de découvrir une contrée dont on disait beaucoup de bien. Dix ans après, lorsqu’il s’est agi d’aller vivre les réalités de la crise sociopolitique au pays d’Houphouët, c’est presque angoissés que nous avons pris le train, vu que par ces temps qui courent, les journalistes font les frais de l’intolérance dans certains endroits chauds du globe, dont la Côte d’Ivoire.

L’affaire Guy André Kiffer, ce journaliste franco-canadien disparu depuis plusieurs mois à Abidjan pour s’être intéressé de trop près à la manne cacaoyère, nous hantait l’esprit. Nous étions cependant rassurés à l’idée de savoir qu’en zone "ex-assiégée" (pour reprendre le vocable en vogue actuellement en Côte d’Ivoire), selon certaines personnes qui en sont revenues, le problème ne se pose pas tellement pour les étrangers.

C’est forts de cette confiance, et armés de notre seul intérêt professionnel, que nous avons quitté Ouagadougou le jeudi 16 septembre aux environs de 8h, à bord d’un train de SITARAIL affrété par l’Union des transporteurs SOCOCIB-COBOF (U.T.S.C., voir encadré) en même temps que de nombreux passagers de tous âges. L’ambiance était bon enfant dans ce convoi, qui roulait à son rythme, et d’un wagon à l’autre, les discussions allaient… bon train. C’est dans cet environnement que nous avons commencé notre aventure, et nous n’avons pas tardé à recevoir la visite du contrôleur, flanqué d’un policier, pour dissuader et démasquer les éventuels risquilleurs.

Parce que nous avons fait des prises de vue dans le train sans crier gare, le policier a exigé de nous des explications. Nous avons montré patte blanche en exhibant notre ordre de mission et un laissez-passer attestant que nous sommes deux journalistes de l’Observateur paalga. Dès lors, nous voici dans ses bonnes grâces, objet de tous les égards, ce qui nous rassuraient davantage. Un voyageur, après contrôle, a par contre été contraint de transférer dans un emballage banalisé, ses affaires auparavant rangées dans un sac militaire. Pour quelqu’un qui se rend dans un pays en guerre, cela s’apparentait à une provocation à domicile, et pour sa propre sécurité, il fallait bien procéder ainsi pour parer à toute éventualité.

Vos papiers s’il vous plaît messieurs !

Pour tous, le voyage ne faisait que commencer, vu la distance à avaler jusqu’à Bouaké, mais aussi la vitesse de la locomotive, un vrai tortillard, qui s’arrête un certain temps aux principales gares comme pour reprendre son souffle. A Béréba, le train s’est même immobilisé pendant longtemps, parce qu’un autre, qui l’avait devancé, venait de démarrer et il lui fallait garder une certaine distance, pour éviter toute collision. Beaucoup sont donc descendus, qui pour se soulager, qui pour griller une clope ou encore pour sacrifier à ses devoirs envers Allah.

Partis de Ouagadougou à 8 h 30, c’est finalement à 16 h 49 que nous sommes arrivés à Bobo-Dioulasso, la capitale de Sya. Arrêt obligatoire pour les différentes formalités et l’embarquement d’autres passagers. L’occasion était belle pour faire des photos dans cette gare pittoresque aux allures soudaniennes, qui grouillait de monde, ce à quoi nous nous sommes attelés tout de suite en descendant du train.

A peine avons-nous eu le temps d’ajuster notre appareil numérique que nous avons été interpellés par un quidam, qui nous intima l’ordre de cesser nos prises de vue dans la gare, et de lui montrer nos papiers. Il s’agissait en fait d’un inspecteur de SITARAIL, qui, sous prétexte que les passagers de son train sont tous sous sa responsabilité civile, a exigé que des explications lui soient fournies.

Au vue de nos justificatifs, il promis de s’en référer à ses supérieurs, au siège à Abidjan, pour la conduite à tenir. Résultat : plus de 30 minutes de retard, avant que le train ne reprenne sa course lente vers la Côte d’Ivoire. L’inspecteur a donc passé un coup de fil à Abidjan, depuis son bureau, et les choses sont rentrées dans l’ordre. On avait dès lors « l’accord de Hong Kong » comme qui dirait, pour accomplir notre mission ; mieux, notre ami inspecteur nous a confiés au chef de train, qui était chargé de nous recommander à une autre équipe au poste de Niangoloko. L’incident était clos, mais avouons que nous avons quand même eu des sueurs froides.

Premier contact avec les rebelles

Après Bobo-Dioulasso, le tortillard a repris donc, dans la nuit naissante, sa lente descente vers la Côte d’Ivoire. La fatigue se lisait déjà sur les visages, et à l’ennui s’ajoutait l’angoisse, l’incertitude de ce qui nous attendait au pays d’Houphouët Boigny. Tout s’est vite passé, et après un énième contrôle de routine à Niangoloko, nous avons franchi la frontière. Le convoi venait donc d’arriver à Ouangolodougou, la première ville ivoirienne après le Burkina Faso. Il était exactement 22 h 56, et un silence de cimetière enveloppa subitement les wagons.

Peu de temps après l’arrêt de la rame, un monsieur en tenue militaire, accompagné de ses subalternes, pénétra dans notre compartiment. Leur présence eu pour effet d’alourdir davantage l’atmosphère déjà tendue. « Je suis le commissaire Koné des Forces nouvelles de Ouangolo. Nous ne prenons pas d’argent avec quelqu’un, mais ceux qui ont volé pour entrer dans le train se verront obligés de payer un double tarif. Vous êtes nos ambassadeurs pour témoigner réellement de ce qui se passe chez nous. Je le répète, nous ne prenons pas d’argent ».

Après avoir livré son message aux passagers, le commissaire et ses hommes disparurent dans la nuit. D’autres militaires débouchèrent après eux, pour le contrôle d’identité et le retrait, pour visa, des fiches d’embarquement, remis à chaque passager au départ de Ouagadougou, Koudougou ou Bobo-Dioulasso. Ce document est en vigueur depuis avril 2004, et chaque voyageur est tenu de l’avoir sur lui depuis le départ jusqu’à l’arrivée en territoire ivoirien. Il y est fait mention, en plus de son identité, de sa profession, de son domicile habituel, de son adresse, du motif de son voyage, de sa destination…

Comme l’avait recommandé l’inspecteur de SITARAIL à Bobo, nous avons été conduits au poste de police par le chef et le contrôleur du train, pour être présentés au maître des lieux, le même commissaire Koné, qui était monté dans le train quelques minutes auparavant. Après avoir visé nos papiers, il nous a conduits à son tour chez son supérieur, le commandant de zone ou « com zone » si vous préférez. Accompagné de ses nombreux gardes du corps, il effectuait un contrôle de routine des wagons-marchandises.

Il voulait bien nous recevoir, mais semblait plutôt préoccupé par le chargement de marchandises, qui était devant lui. Avec la reprise du trafic ferroviaire, nous a-t-il confié, il se trouve de petits malins pour se livrer à la fraude. Cela occasionne un manque à gagner pour l’opérateur qui a loué le train, et aussi pour les Forces nouvelles, qui n’arrivent pas à percevoir directement les taxes. Le « com zone » a menacé de bloquer un train un de ces quatre matins si certains commerçants persistaient dans leurs malversations.

Prévu pour durer une quarantaine de minutes, le contrôle a finalement pris un peu plus d’une heure, avant que le train ne s’ébranle vers Bouaké, avec à son bord des éléments de la rébellion, armés jusqu’aux dents, amulettes et autres bagues bien en relief, destinées à leur assurer une certaine sécurité, à défaut d’une sécurité certaine. Le « wack » ou ce qui s’y apparente, ainsi que nous l’avons constaté, fait recette chez les rebelles, et c’est fièrement qu’ils en arborent les signes visibles. Jusque-là, le contact avec eux a été sans anicroche et cela nous a confortés dans notre optimisme pour la suite.

La nuit était très avancée, et dans le train qui ahanait à poursuivre son trajet, le sommeil avait eu raison de beaucoup de passagers, surtout les bébés, qui, dans les bras de leurs mamans, roupillaient proprement. Sans plus jamais s’arrêter, la locomotive avalait lentement les kilomètres, et c’est finalement le matin du 17 septembre 2004 aux environs de 8 h, que nous avons atteint Bouaké, le foyer incandescent de la rébellion, comme on disait de Pô sous la révolution burkinabè. Commençait alors pour nous une autre aventure pleine de rebondissements, une odyssée que vous vivrez avec nous à partir de demain.

D. Evariste Ouédraogo et San Evariste Barro
L’Observateur Paalga

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