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Desmond Tutu et Graçia Machel portent un coup fatal à la crédibilité dont Laurent Gbagbo pensait encore bénéficier en Afrique noire.

Publié le vendredi 1er avril 2011 à 03h37min

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C’est fini. Vous pouvez retirer le couvercle de la poubelle de l’Histoire et y balancer Laurent Gbagbo. Ceux qui pensaient qu’il avait encore une once de crédibilité en Afrique noire vont être profondément déçus. Ce matin (mercredi 30 mars 2011), Le Figaro a publié une tribune de Desmond Tutu et de Graça Machel - le Prix Nobel de la paix 1984 et l’épouse de Nelson Mandela (par ailleurs, ni l’un ni l’autre francophones) - dans laquelle ces deux personnalités africaines majeures disent ce qu’il faut dire au sujet de Gbagbo et de sa clique.

1 - C’est « le refus de Laurent Gbagbo de se retirer du pouvoir [qui] risque d’aboutir à la reprise de la guerre civile ».
2 - « Ce refus risque également d’encourager d’autres dirigeants désavoués par les urnes à ignorer la volonté de leurs concitoyens ».
3 - La présidentielle était « un élément clé de l’accord de paix négocié par l’Union africaine avec le soutien des Nations unies ».
4 - « Le scrutin s’est déroulé dans de bonnes conditions et […] il a indiscutablement été remporté par Alassane Ouattara », victoire « largement reconnue par la communauté internationale ».
5 - Gbagbo, qui refuse d’accepter le résultat, « utilise désormais la peur et la violence pour se maintenir au pouvoir ».
6 - Il accroît ainsi « les tensions ethniques » et « utilise, à fin de mobiliser les foules, une inquiétante manipulation de la rhétorique religieuse dans un conflit qui est essentiellement politique ».

Tout est dit. Tutu et Machel, après avoir dressé des lieux actuels en Côte d’Ivoire (« après avoir enduré près d’une décennie d’instabilité, le pays se trouve aujourd’hui au bord de la guerre civile ») et souligné que le pays faisait face à « une grave crise humanitaire », « exhortent l’ancien président Gbagbo a respecter les résultats de l’élection » et appellent la « communauté internationale » à « exiger [son] retrait » sous la « direction » de la Cédéao et de l’Union africaine. Dans ce texte, il n’y a trace qu’aucune complaisance à l’égard du comportement de Gbagbo ; pas de porte ouverte, pas de négociation, pas de tergiversation. Rien ; c’est clair et net : Gbagbo a perdu, n’accepte pas sa défaite, et c’est par « la peur et la violence » qu’il entend, envers et contre tous, se maintenir au pouvoir ; une seule issue pour lui : son « retrait ». On est bien loin de « ces ronds de jambe » pratiqués à l’égard de Gbagbo par trop de chefs d’Etat africains, ce souci permanent de « ménager la chèvre et le chou », ces mots sans consistance employés par les différentes médiations.

Or, ceux qui s’expriment ainsi ne sont pas de quelconques Africains. Plus encore, ils s’expriment, font-ils remarquer, en tant que membres de The Elders. Un groupe d’influence dont ils disent qu’il n’a « aucun pouvoir politique », certes, mais qui n’est quand même pas qu’un « club du troisième âge » même s’il est composé de vieilles gloires de la politique mondiale.

C’est Nelson Mandela, figure emblématique de l’Afrique en lutte contre l’injustice et l’oppression, qui a créé The Elders en 2007 (à l’occasion de son 89ème anniversaire) sur une idée de Richard Branson, PDG de Virgin, et de Peter Gabriel, le « protest songer ». Il s’agissait de réunir un groupe indépendant de dix personnalités mondiales afin que leur influence serve à renforcer la paix, résoudre les « principales causes de la souffrance humaine » et « promouvoir les intérêts communs de l’humanité ».

Il y a là des Africains bien sûr : le Sud -Africain Desmond Tutu, président de The Elders, prêtre anglican, lutteur infatigable contre l’apartheid, Prix Nobel de la paix 1984 ; la Mozambicaine Graça Machel, ancienne combattante pour l’indépendance du Mozambique, ex-première dame (épouse du président Samora Machel, assassiné en 1986, compagne puis épouse de Mandela) ; l’Algérien Lakdar Brahimi, ancien combattant nationaliste, diplomate de carrière, ancien ministre des Affaires étrangères de l’Algérie, médiateur qualifié de « super-pompier » de l’ONU (il a été notamment en mission en Irak), engagé aujourd’hui dans la lutte contre les violences faites aux chrétiens dans les pays musulmans ; le Ghanéen Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU qu’il n’est plus nécessaire de présenter. Les Américains sont deux anciens présidents : Fernando Henrique Cardoso, président du Brésil (1995-2002) qui a ouvert la voie au succès électoral de Luiz Inàcio Lula da Silva (Cardoso est engagé aujourd’hui dans la lutte contre les violences liées à la drogue), et Jimmy Carter, président des Etats-Unis (1977-1981), Prix Nobel de la paix en 2002. L’Asie est représentée par l’Indienne Ela Bhatt, syndicaliste pionnière du combat pour les femmes et la micro-finance (elle a notamment présidé la Women’s World Banking).

Les Européens sont au nombre de trois : le Finlandais Martti Ahtisaari, diplomate de carrière, ancien président de Finlande, Prix Nobel de la paix 2008 et Prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix (cf. LDD Finlande 03 et 04/Jeudi 25 et Vendredi 26 septembre 2008) ; l’Irlandaise Mary Robinson, juriste, militante du parti travailliste, ancienne présidente de l’Irlande (1990-1997) et ancien haut-commissaire des Nations unies pour les droits de l’homme (1997-2002) ; la Norvégienne Gro Harlem Brundtand, docteur en médecine, ministre, premier ministre, directrice générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), également femme de gauche. Mandela et l’opposante birmane Aung San Suu Kyi, l’un et l’autre Prix Nobel de la paix, sont tous deux membres honoraires de The Elders.

Du très beau monde ! Pas d’affreux réactionnaires ; des progressistes. C’est dire que le « papier » signé de Desmond Tutu et Graça Machel en tant que membres de The Elders, interdit de dire que ce sont les « impérialistes » et les « multinationales » qui réclament le départ d’un Gbagbo qui serait le plus beau fleuron du nationalisme africain. Il est publié dans un contexte difficile pour Gbagbo : l’asphyxie économique se fait de plus en plus sentir et, surtout, son isolement diplomatique est désormais total depuis que l’Afrique du Sud a officiellement basculé dans le « camp Ouattara ». Enfin, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI), récemment constituées par le regroupement des « rebelles » des Forces nouvelles et des éléments armés des ex-FANCI qui ont fait défection, avancent sur tout le territoire. Duékoué, dans l’Ouest, Daloa au centre, Bondoukou dans l’Est sont tombées entre les mains des forces pro-Ouattara et les prochains objectifs sont Yamoussoukro, la capitale politique, et le port de San Pedro. Jean-Philippe Rémy écrit aujourd’hui dans Le Monde (daté du jeudi 31 mars 2011) que « les forces de Laurent Gbagbo se sont dématérialisées dans les heures écoulées ».

Reste à « dématérialiser » Gbagbo qui, une fois encore, cherche à gagner du temps en appelant, le mardi 29 mars 2011, à un « cessez-le-feu immédiat ». Ses jours seront comptés dès lors que les « gbagboïstes » auront pris conscience qu’une page politique se tourne en Côte d’Ivoire et que la négociation vaudra mieux pour tout le monde qu’un affrontement stérile qui a déjà fait trop de morts, trop de victimes, trop de drames. La reconstruction du pays prendra bien plus de temps que sa destruction. Bravo Gbagbo !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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