La situation de troubles sociaux que vit le Burkina Faso depuis le décès de l’élève Justin ZONGO nous en donne de parfaites illustrations. Entre la colère de ses camarades de Koudougou qui ont cru devoir jouer du muscle pour se faire entendre dès le lendemain du décès il y a tout juste un mois, et les manifestations violentes de ces derniers jours, il y a comme un gouffre, tant la spontanéité de l’une tranche avec le caractère prémédité, concerté et planifié des autres. Il en est de même tant de leur légitimité que des excuses qu’on peut leur trouver même s’il est une constante que nul ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes et que nul n’est censé ignorer la loi ou ne peut se rendre justice lui-même.

Même si on accorde du crédit à la colère qu’on nous brandit pour légitimer la haine morbide qui anime les manifestants, on ne peut pas ne pas s’étonner devant la barbarie et les conséquences dramatiques des manifestations.

Qu’est-ce qui peut justifier autant de pertes en vies humaines ? 6 au total. N’avait-on pas d’autres alternatives ? Fallait-il forcément ces sacrifices pour se faire entendre ou faire prévaloir ses points de vues ? On peut en douter et même sérieusement. Se poser ces questions c’est reconnaître implicitement qu’on est allé un peu trop loin ; pour ne pas dire plus. A cela, il faut ajouter les destructions de biens matériels qu’on pourrait facilement estimer à une dizaine de milliards de FCFA. Les Burkinabè sont-ils tombés sur la tête ou sont-ils en train d’expérimenter une autre manière de vivre ensemble ? Il faut espérer que ce ne soit ni l’un ni l’autre et que les différents acteurs vont se ressaisir pour remettre les valeurs qui les ont toujours caractérisés au centre de leurs actions et de leurs conduites.

C’est pourquoi il ne faut pas faire de concession à tout ce qui peut directement et ou indirectement favoriser les dérives actuelles.
Au premier plan, ces analyses pour le moins légères qui cultivent les confusions de genres et participent à aiguillonner les ressentiments et à absoudre sans frais certains acteurs de leurs responsabilités.

Que l’Opposition crie par exemple à « l’accusation facile » devant la Majorité qui l’accuse de récupérer le mouvement, peut se comprendre comme participant du jeu politique ; mais que des analystes embouchent la même trompette avec une dextérité suspecte qui confine à une insouciance toute aussi suspecte pour ne pas dire suscitée nous parait pour le moins irresponsable. Surtout que dans le même temps et sans en apporter la moindre preuve on tombe à bras raccourcis sur le Pouvoir qu’on accuse de tous les péchés d’Israël. Si le sujet n’était pas sérieux, on aurait ri devant tant d’infantilisme et d’hypocrisie qui refusent de voir les faits alors que ceux-ci sont têtus.

Pour parler de récupération, faut-il le rappeler, ce sont les étudiants eux-mêmes qui l’ont dénoncée en retirant et en détruisant des tracts de partis politiques. Ont-ils réussi à extirper de leurs rangs ceux qui les ont apportés ? De toute évidence non puisqu’au nombre des vandales arrêtés figurent peu d’étudiants. Et puis, n’est-ce pas un parti de l’Opposition qui a initié une organisation destinée à prendre en charge les revendications des étudiants ?

C’est vrai qu’on ne peut pas réveiller quelqu’un qui ne dort pas ; mais tout de même ! Que gagne-t-on à vouloir être plus royaliste que le roi ? Rien sinon que de se ridiculiser parce que, pendant qu’on absout gratuitement l’Opposition, son chef de file endosse les manifestations et les assimile à une révolte du peuple à l’image de ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte. Il va jusqu’à dire que « le peuple burkinabè n’est pas différent de ces peuples arabes » ; ce qui est discutable ! Mais une autre réalité est qu’il ne viendrait même pas à l’esprit de nos analystes d’oser soutenir que la démocratie dans notre pays est au même niveau que dans ces pays arabes.

Mais qu’à cela ne tienne ; pourquoi s’inviter dans un débat sur le sexe des anges alors qu’on a bien mieux à faire : faire tout simplement son travail en toute responsabilité ; ni plus, ni moins ? Cela d’autant plus qu’en agissant avec autant de légèreté, on participe à décrédibiliser le combat des opposants politiques en lui prêtant un air de conspiration aux origines douteuses. Vraiment ils n’en avaient pas besoin et se seraient bien passés des services de ces avocats du diable.

Cheick Ahmed (ilingani2000@yahoo.fr)

L’Opinion