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CHEFFERIE TRADITIONNELLE : Boulkon gagné par le syndrome du bicéphalisme

Publié le mercredi 23 mars 2011 à 03h51min

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Boulkon, village situé à 45 km de Yako, dans la commune de Arbollé et dans le canton de Tollia, province du Passoré, vit depuis le mois de septembre 2010 au rythme de tractations pour le contrôle du pouvoir traditionnel. "Deux chefs" s’affrontent par partisans interposés pour, non seulement affirmer leur légalité, mais aussi leur légitimité à l’intérieur et à l’extérieur de la contrée peuplée de plus de 6 000 habitants. Comment en est-on arrivé à cette division du trône ? Pourquoi ces populations issues d’une même famille venue de Kokologho dans le Boulkiemdé, sont–elles parvenues à ne plus s’entendre ? Pour mieux comprendre les dessous de cette tumultueuse affaire, nous nous sommes rendus dans cette localité le samedi 19 mars 2011.

Contrairement à toutes les rumeurs qui ont pu circuler dans le village de Boulkon, ces dernières semaines, la localité présente en ce jour une physionomie plutôt tranquille. Lorsque nous y arrivons autour de 8h16 mn du matin, dès l’entrée du village, les habitants vaquaient normalement à leurs occupations. Jusqu’au marché où nous sommes arrivés, tout était calme. Nous ne tarderons pas à nous situer puisque notre premier interlocuteur est le conseiller municipal Hamado Dianda. Il se refuse à tout commentaire profond, se contentant de nous expliquer la procédure d’intronisation puis de nous conduire chez le patriarche, par ailleurs responsable coutumier de Boulkon, seule personne habilitée à nous entretenir sur la chefferie.

Les points communs aux deux camps

Nous voilà donc devant la concession du patriarche, dans le quartier Signoghin à 9h17. Assis sur une natte de prière, sous un manguier, le vieux Boukaré Kimsé Dianda, scrute tranquillement l’horizon, donnant l’air d’être préoccupé par les derniers évènements qui divisent sa famille. Lorsqu’il prend la parole, non sans avoir été rejoint par quatre autres sages en l’espace de 5 minutes, nous aurions compris que la raison de notre visite n’était nullement un sujet fâcheux pour cet octogénaire. A 84 ans, le patriarche de Boulkon, le seul détenteur et gardien des « fétiches royaux », a toujours la mémoire vivace et le verbe précis pour nous plonger dans l’histoire de sa lignée depuis Kokologho d’où sont venus leurs ancêtres. « Nous sommes des princes de Kokologho. Pour avoir perdu le trône que l’on a confié au petit frère de notre ancêtre, nous avons décidé d’aller voir ailleurs. Ce qui va nous conduire au village de Kagsdin, territoire appartenant au royaume de Sitenga.

C’est lors de notre escale, près d’un puits pour nous désaltérer, que nos hôtes nous ont accueilli dans le plus grand respect de la tradition moaga et nous sommes restés finalement dans les parages du puits (boulga en moore). Pour nos hôtes, nous leur avons été offerts (kon en moore) par le puits, d’où le nom "Boulkon". Une fois installés, il fallait que nous nous conformions aux coutumes du propriétaire des lieux. Trois fois successivement, nos chefs seront intronisés par le chef de Sitenga à 5 km de Boulkon. Malheureusement, aucun d’eux ne vivra plus d’une semaine. Ainsi, la décision fut prise de nous laisser choisir notre chef qui fera allégeance au chef de Sitenga par une cérémonie de salutations.

Depuis lors, notre chef, sous le nom de Rassamb Naba ou responsable des jeunes, est identifié par un collège de six sages représentant les différents quartiers du village. Tous les trois ans, son mandat est apprécié. S’il est positif, le détenteur est reconduit et les rituels sont organisés. Mais si son bilan est négatif, le collège peut en toute responsabilité désigner un autre frère pour la gestion des affaires, toujours en collaboration avec le patriarche. Tout le village est alors convoqué après deux conciliabules des membres du collège. Le 3e est consacré à la proclamation du nom du chef devant toute la population sortie à cet effet ».

Précision importante, nos cinq interlocuteurs insistent sur le fait que tous les chefs reçus à Yako dans l’histoire de la chefferie ont été choisis par le collège d’abord, une insistance pour trancher définitivement en soutenant que personne ne se fera introniser ailleurs pour régner à Boulkon. "Le collège des sages est le seul garant de l’authenticité du trône sous le voile de nos coutumes et us", affirme, le vieux Ousmane Nobila.

Le début des divergences

Selon le conseil, "il n’y a qu’un chef à Boulkon, en la personne de Yacouba Dianda, désigné sous le nom de Naba Karfo, intronisé le 25 septembre 2010". "Il n’a pas fait de campagne, c’est le patriarche qui lui a confié le trône. Nous sommes là pour lui et nous le défendrons comme tel. Il est le symbole de la pureté ancestrale et la force de l’unicité des dignes fils de nos ancêtres. Il n’est pas question de tolérer une quelconque profanation du trône, un bicéphalisme destructeur et inopportun", clame Ousmane Nobila, aidé par l’approbation tacite de ses quatre autres compagnons. Appréciant la démarche de l’autre proclamé, Souleymane Dianda, Naba Koom intronisé à Yako le 28 août 2010, le patriarche nous dira que ce dernier a refusé de patienter.

"Je lui ai dit de se calmer, le temps que moi-même finisse mes rituels puisque je venais aussi de succéder au défunt gardien des fétiches. Mais il a préféré aller se faire chef à Yako dans la totale ignorance de nos traditions. Pour autant, le collège et moi ne pouvons nullement le reconnaître comme tel, aucune légalité traditionnelle n’ayant drapé cette identification. Ici, il n’y a que la coutume qui prévaut et rien d’autre", explique-t-il. Pour nos interlocuteurs donc, "Souleymane est le bienvenu à Boulkon mais Naba Koom est personna non grata". Cent mètres plus loin et nous voilà sous l’arbre d’un oncle paternel de Naba Koom, Salfo Kanré Dianda. "Pas question, dit-il, de me prononcer sur quoi que ce soit en ce moment".

Sur notre insistance et surtout après avoir expliqué que nous sommes là pour les deux camps et non pour l’un ou pour l’autre, nous finirons par entendre sa version, mais en présence de l’autre conseiller du village, Pierre Dianda et l’imam du village, Rasmané Dianda. Si d’entrée de jeu, ils sont d’accord sur l’histoire du village et le processus d’intronisation du Rassamb Naba, ces derniers vont réfuter catégoriquement la version selon laquelle leur chef n’a aucune légalité ni légitimité. "Son grand père a été intronisé à Yako, son frère l’a aussi été, pourquoi pas lui ?", s’interroge Pierre en guise de réprobation du choix du collège. Pour ce camp, "Naba Yemdé, grand père de Naba Koom fut le 1er chef à avoir régné jusqu’à sa mort et il n’est plus question de rabaisser leur trône à une histoire de régulation triennale".

"Nous sommes des princes de Kokologho et en temps normal, nous aurions dû nous présenter chez le Mogho Naba pour nous introniser comme nos frères de Kokologho", lâche le conseiller. Pour l’imam, "le désigné du collège n’est pas un chef puisqu’il n’a pas de pouvoir de décision, le patriarche étant le dépositaire de tout pouvoir". Ensuite, poursuit-il, "la succession a une seule logique, du père au fils. Le pouvoir se prend chez un monarque supérieur à soi et c’est ce qui explique leur démarche à Yako. Enfin, il n’y a pas de raison que le pouvoir change de concession". Pour les partisans de Naba Koom, il n’y a aucune incompatibilité entre le chef du village qui est le leur et le Rassamb Naba. Le problème pour eux, c’est lorsque le camp adverse récuse le leur.

Parlant de leur légitimité, le conseiller revient sur l’épisode du 27 février 2011 comme la preuve de popularité de leur chef. Ce dimanche 27 février a été la journée au cours de laquelle, la tension a atteint son pic. Tous les deux camps reconnaissent qu’il a fallu beaucoup de sagesse de part et d’autre pour éviter l’irréparable. En effet, ce jour a été retenu par Naba Koom pour la célébration de son Napoussoum (fête du nouvel an). Refus total des partisans de Naba Karfo qui vont ainsi bloquer l’accès au centre du village. Après moultes tractations avec les autorités locales dont le maire, le préfet et le commissaire de police de Arbollé, le chef parviendra à rentrer chez lui avec la condition de se confiner dans son quartier.

Quelques actes de violence ont été perpétrés : des tee-shirts brûlés, à la suite d’altercations physiques sur fond d’interdiction formelle d’accès au marché pour certains partisans de Naba Koom. Toutefois, l’ensemble de nos interlocuteurs reconnaît que, la tension est retombée ces derniers jours, même si la méfiance et la partition de fait du village sont perceptibles. Le couperet de Naba Ligdi de Sitenga

Face à ces positions inconciliables des deux camps, nous optons de faire un tour à Sitenga, le royaume ayant concédé une partie de ses terres aux hôtes venus de Kokologho. Naba Ligdi ne fera pas dans la dentelle en donnant sa part de vérité. Au trône pendant 58 ans, ses décisions ne seraient pas discutées du fait de sa longévité au pouvoir et de sa grande maîtrise de l’histoire des peuples qui habitent son royaume, au marché de Boulkon. Accueil parfait, verdict tonitruant : "Je ne peux rien contre l’intronisation de Naba Koom par Naba Sigri de Yako mais il n’est pas le bienvenu dans mon royaume".

Puis il embouche la même trompette que le patriarche de Boulkon sur l’histoire du peuplement de Boulkon et le choix du Rassamb Naba. "Il n’y a aucun autre chef en dehors du Rassamb Naba élu par le collège de sages et entériné par le Sitenga que je suis. Toute autre démarche relève de l’arbitraire et de l’influence des pouvoirs financiers", martèle-t-il. "J’ai fait le nécessaire avec Naba Karfo et pour ma part, le débat est clos", conclut-il. Si traditionnellement, les choses semblent se préciser, dans les faits, rien ou presque n’indique les prémices d’un règlement consensuel et définitif de la crise. Naba Koom, selon ses partisans, mène actuellement une tournée de reconnaissance de son pouvoir par d’autres chefs.

Difficile de vérifier cette information d’ailleurs récusée par le camp adverse, même si l’intéressé a été aperçu dans certaines cérémonies à caractère officiel, paré de ses attributs de chef. Le groupe de Naba Karfo ne dort pas non plus sur ses lauriers. Après la fête du nouvel an qu’il a organisée avec brio selon ses soutiens, sa reconnaissance par le Sitenga, l’heure serait à la lutte pour l’annulation de l’intronisation de son adversaire. Dans une lettre du 9 novembre 2010, avec ampliation au haut-commissaire du Passoré, au préfet et au maire de Arbollé, le responsable coutumier rappelait au Dima de Yako, Sa Majesté Naba Sigri, qu’"il n’existe pas de rapport de suzeraineté entre son village et le royaume de Yako" et que "coutumièrement parlant, Boulkon s’administre de façon autonome sans ingérence extérieure aucune".

Après avoir fait l’historique des différents chefs dont le règne est à vie désormais depuis 1953, la note stipule plus loin que "la prétendue nomination à Souleymane Dianda menace la paix sociale et la cohésion à Boulkon". Fort de ceci, le patriarche prie, dans la même adresse, Sa Majesté de "reconsidérer son acte en procédant à l’annulation pure et simple de cette nomination…" Quelle sera la suite réservée à cette requête par le monarque de Yako ? Cette question est suspendue à toutes les lèvres à Boulkon et ses environnants. Notons enfin qu’en l’absence des deux chefs vivant tous à Ouagadougou, ce sont leurs partisans, représentés de part et d’autre par des octogénaires, qui se sont exprimés en leur nom. Chaque groupe invoquant par moment les mêmes noms de grands pères pour défendre leurs positions.

Abdoulaye DIANDA (Collaborateur)

Le Pays

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