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« L’affaire Kadhafi » empoisonne l’Union africaine qui ne sait plus à quel saint se vouer

Publié le mercredi 23 mars 2011 à 03h51min

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C’est un imbroglio diplomatique dans le dénouement duquel l’Union africaine va jouer non seulement sa crédibilité (en a-t-elle encore une après les errements de sa gestion de la « crise ivoiro-ivoirienne » ?) mais plus encore sa survie en tant qu’institution panafricaine. Personne ne peut penser que l’opération « l’aube de l’Odyssée » (cf. LDD Spécial Week-End 0480/Samedi 19-dimanche 20 mars 2011) va apporter une solution rapide à la « crise libyenne ».

Bien au contraire. Des tensions apparaissent déjà sur la scène diplomatique internationale, du côté de Moscou comme d’Ankara, de New Delhi, de Brasilia… mais aussi dans les pays arabes, au sein de l’OTAN, de l’Union européenne et de la « coalition ». Et la « résolution 1973 » du Conseil de sécurité de l’ONU limitant (théoriquement) l’action militaire des coalisés à la sauvegarde des populations civiles libyennes, le « leader de la révolution » a tout intérêt à laisser de côté la Cyrénaïque (où se trouve Benghazi et où sont concentrés les « rebelles ») pour regrouper ses forces sur la Tripolitaine et les installations pétrolières qui s’échelonnent de Syrte à Ajdabiyah.

Passant d’une phase offensive à une phase défensive, il apparaîtra comme l’agressé (par des puissances « occidentales ») et non plus comme l’agresseur. Il sera difficile alors à la « coalition » d’apporter son soutien aux « rebelles » de Cyrénaïque sans contrevenir aux directives de la résolution de l’ONU. Mouammar Kadhafi pourra résister longtemps dans son « réduit » tripolitain et faire preuve d’une capacité de nuisance maximale. Et demeurer, aux yeux de l’UA, le « patron » de la Libye. Il ne le serait plus que l’UA et bien des pays membres de l’UA connaîtraient des difficultés de « fin de mois » (plus encore compte tenu de ce qui se passe ailleurs en Afrique du Nord et en Afrique noire et ce n’est sans doute pas fini). Il n’est pas dit, d’ailleurs, que, à l’instar du Royaume du Maroc, un certain nombre de pays n’en viennent à considérer que la gestion par l’UA des crises que traverse actuellement le continent ne soit pas à la hauteur de ce qu’on peut attendre d’une organisation panafricaine : ceux qui ont fait tomber Ben Ali à Tunis et Moubarak au Caire, mais aussi ceux qui se battent actuellement à Benghazi (et pourraient, un jour, l’emporter), pourront penser, une fois au pouvoir, que l’Union africaine est celle des « dictateurs de l’Afrique » pas des peuples du continent.

Il est bien évident, par contre, que « l’aube de l’odyssée » est propice à faire de la Libye un cancer dont les métastases vont s’étendre jusqu’aux pays voisins : la Libye a des frontières avec l’Egypte, le Soudan, le Tchad, le Niger, l’Algérie et la Tunisie. Et des centaines, voire des milliers, de « combattants » vont être armés dans cette nébuleuse sahélo-saharienne par le « guide de la révolution » avec le risque de voir émerger partout des mouvements rebelles qui vont revendiquer la partition de territoires parmi les plus vastes du continent africain qu’il s’agisse du Soudan, du Tchad, du Niger ou de l’Algérie et ne manqueront pas de faire leur jonction avec AQMI d’une part et les Touareg d’autre part dans la zone sahélienne ainsi que les clans mafieux qui pullulent sur la côte ouest-africaine. Financer, armer et motiver, Kadhafi sait faire. Et il trouvera dans cette action une nouvelle raison d’être. N’oublions pas que ce n’est pas la première fois qu’il se retrouve dans le collimateur des « occidentaux ».

Il y a quelques années (Jeune Afrique - 5 octobre 2008), Luis Martinez, directeur de recherche au CERI-Sciences Po et directeur du Centre de recherche sur l’Afrique et la Méditerranée (CERAM) de l’Ecole de la gouvernance et d’économie (EGE) de Rabat, rappelait que Kadhafi « sait ce qu’il doit à l’Afrique ». Il précisait : « Pour les nostalgiques de la révolution, pour la vieille garde, la politique africaine de la Libye - hier militaire, aujourd’hui financière - doit demeurer une priorité absolue, car elle seule permet au pays d’exister sur l’échiquier international par rapport aux Occidentaux. Pour les réformateurs [chef de file : le fils du « guide » : Seif el-Islam], au contraire, l’Afrique est une source de problèmes, d’émigration incontrôlée et un gouffre financier ». Philippe Bernard, dans Le Monde (mardi 22 mars 2011), chiffre à 1 milliard d’euros par an les investissements libyens en Afrique subsaharienne (hors « valises »). Kadhafi entend bien bénéficier d’un retour sur investissement.

Au Conseil de sécurité de l’ONU, les pays africains qui y siègent ont voté en faveur de la « résolution 1973 » : Afrique du Sud, Nigeria, Gabon. De la part de Pretoria, c’est un revirement alors que Jacob Zuma n’a cessé, ces dernières années, d’être sur une ligne « anti-impérialiste » (d’où son soutien à Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire jusqu’à ces derniers jours). Le Nigeria était hésitant mais a fini par basculer dans le camp occidental plus par détestation personnelle de Kadhafi que par conviction diplomatique. Le Gabon, médiateur dans le conflit Libye-Tchad au temps de Hissène Habré, est dans une position délicate : Libreville a voté pour la résolution alors que Jean Ping, président de la Commission de l’UA, est un ancien ministre des Affaires étrangères du… Gabon et avait été annoncé à Paris, le samedi 19 mars 2011, comme participant à « l’aube de l’odyssée » alors qu’à Nouakchott, le dimanche 20 mars 2011, le Comité de l’UA sur la Libye appelait « à la cessation immédiate de toutes les hostilités ». Or le « panel » comprend, outre la Mauritanie, le Congo, le Mali, l’Ouganda mais aussi… l’Afrique du Sud.

Entre le 10 mars 2011, où a été constitué le comité ad hoc de l’UA sur la crise en Libye, et le 20 mars 2011, où ce comité se retrouve exclu du jeu « occidental » en Libye, il n’a fallu que dix jours pour déglinguer l’action diplomatique de l’UA concernant un de ses membres (plus encore le pays fondateur). Les présidents Zuma (Afrique du Sud) et Yoweri Museveni (Ouaganda) n’ont pas jugé nécessaire de faire le déplacement en Mauritanie où les trois présidents francophones (Mohamed Ould Abdel Aziz de Mauritanie, Amadou Toumani Touré du Mali et Denis Sassou Nguesso du Congo) se sont retrouvés isolés.

Comprenne qui pourra. Ajoutons que le secrétaire de la Ligue arabe est un Égyptien (Amr Moussa) - l’Egypte est membre de l’UA - qui tergiverse sans cesse entre le soutien à « l’aube de l’odyssée » et la dénonciation de ses dérives. Mais cet imbroglio n’est que l’expression des contradictions qui sont le fonds de commerce de l’UA. On me rétorquera que l’ONU, l’Union européenne, l’OTAN, la Ligue arabe, etc. ne sont pas, non plus, des institutions cohérentes et que la « désintégration » de l’UA à la suite de « l’aube de l’odyssée » (cf. LDD Spécial Week-End 0480/Samedi 19-dimanche 20 mars 2011) est la meilleure chose qui soit arrivée à l’organisation panafricaine : exclue de l’opération, elle se positionne « contre » et, malgré l’anti-kadhafisme de nombre de chefs d’Etat, l’unanimité se fait autour de la recherche d’une solution négociée plutôt que d’un affrontement armé soutenu par « l’occident ».

L’UA se refait donc une virginité. Incongrue à l’âge qui est le sien. Il serait bon que sur des questions qui concernent l’Afrique les réponses soient africaines. Et les solutions aussi. Que « l’occident » brûle ce qu’il a adoré, passe encore ; mais le continent africain pourrait avoir plus de cohérence dans l’action comme dans la réflexion. On en est loin ; il faudrait auparavant faire du ménage parmi ces régimes qui s’offusquent de ce qui se fait chez les autres et laissent faire chez eux. Que serait « l’Afrique des présidents » aujourd’hui sans les extravagances financières de Kadhafi ! Des extravagances qui nourrissent bien d’autres extravagances. L’UA devrait jouer un peu moins les pleureuses et un peu plus les gendarmes. Pour le bien des Africains.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 24 mars 2011 à 01:15, par dolfus En réponse à : « L’affaire Kadhafi » empoisonne l’Union africaine qui ne sait plus à quel saint se vouer

    l’union africaine est un véritable désastre pour les dirigeants africains.la preuve visible nous montre l’Afrique en grand caractère dans un imbroglio qui nous laisse perplexe le dossier ivoirien est laissé à la traine pour celle de la Libye pendant que nos pauvres civils sont entrain de souffrir dignement dans la peur et la terreur.laissons à coté les pressions extérieures qui nous poussent à nous livrés dans d’ignobles décisions qui minent la vie la vie de nos honnêtes citoyens.si vous ne pouvez rien faire ne dites rien qui pourrait aller a l’encontre du développement humain

  • Le 26 mars 2011 à 15:34 En réponse à : « L’affaire Kadhafi » empoisonne l’Union africaine qui ne sait plus à quel saint se vouer

    Je ne comprend pas ce que veut l’U.A. Certes les frappes occidentales sur la Libye sont condamnables ; mais quelles actions concrètes l’U.A a initié pour mettre fin à la boucherie et à la rivière de sang promises et débutées par le Guide libyen. Face au génocide qui profilait à l’horizon à Benghazi, quelle mesure préventive l’U.A a eu à initier.
    Mon intime conviction est que sans ces frappes occidentales, Kadhafi aurait réalisé avec la bénédiction de ses fils la rivière de sang promise. Heureusement que cela est entrain d’être évité. La suite nous verrons

  • Le 24 décembre 2011 à 18:45, par BEN En réponse à : « L’affaire Kadhafi » empoisonne l’Union africaine qui ne sait plus à quel saint se vouer

    Elle ne peut rien faire,car elle est incapable.Elle n’est que figurente.
    On ne peut pas compter eternellement sur le soutien de l’occident pour résoudre les problèmes de l’Afrique.Toute famille divisée ne peut pas se développer.Le linge sal se lave en famille.Le voisin ne résoudra jaimais notre incapacité à diriger notre foyer ;il en profitera plutot.Si j’avais le pouvoir sur l’Afrique...

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