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Abdoulaye Wade appelle les intellectuels du monde entier à se pencher sur les moyens « d’arrêter les dérives qui menacent l’humanité » (1/2)

Publié le vendredi 18 mars 2011 à 02h03min

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Concordance des temps. Enfin, presque. A Dakar, les 18 et 19 février 2011 a été organisé un séminaire sur la gouvernance mondiale. Thème de cette rencontre : « L’homme est-il capable d’arrêter les dérives qui menacent l’humanité ? ». Bonne question alors que, justement, l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord connaissent en ce moment des « bouleversements » écologiques, économiques, politiques et sociaux qui, justement, « menacent l’humanité ».

« Catastrophes naturelles ou provoquées du fait de l’homme, de dimensions jamais connues, inondations fréquentes et d’une ampleur exceptionnelle en divers endroits du globe, pollutions progressives des terres nourricières, des sous-sols et des mers dépassant tout ce que l’on a connu jusqu’ici, crise rampante de l’eau potable ; sous-nutrition persistante et famines affectant des millions d’hommes et de femmes dans le monde, crise économique et financière dont la maîtrise échappe à la clairvoyance ou à la volonté des spécialistes, économistes, financiers et des décideurs politiques ; menaces de faillites touchant aussi bien les grandes banques que les grandes et petites entreprises ; absence de progrès dans la dénucléarisation et, en même temps, prolifération des armes de destructions massives, armes chimiques et biologiques, dont le nombre de possesseurs augmente et gagne le Sud.

L’homme est-il incapable de surmonter les nombreux déséquilibres qui affectent la marche du monde ? ».
Ce sont là les premières lignes du document de présentation du séminaire de Dakar. On y retrouve tous les maux dont souffre « l’humanité » aujourd’hui (hormis ceux qui sont du domaine du politique) ; « l’humanité » : un mot que l’on emploie plus depuis que la « mondialisation » a affirmé que l’économique l’emportait sur le social et le culturel. Le drame qui se déroule depuis quelques jours au Japon avec le séisme de magnitude 8.9 qui a rudement secoué la côte orientale du Japon, la destruction de la région de Sendai par un tsunami et la catastrophe nucléaire de la centrale de Fukushima replace « l’humanité » sur le devant de la scène mondiale. Sans que personne note que le séisme du vendredi 11 mars se situe, jour pour jour, à six mois du dixième anniversaire du « 11 septembre 2001 » et, toujours jour pour jour, sept ans après l’attentat meurtrier (191 morts et 1.824 blessés) de Madrid le 11 mars 2004. Catastrophes naturelles et catastrophes humaines s’enchevêtrent désormais. Magie des nombres !

Il y a quelques années, Wade me disait, à Dakar, qu’il était « un chasseur d’idées » ; le temps a passé, mais il est resté le « chasseur » qu’il était. Certes, ses idées n’ont pas toutes été concrétisées ; et, surtout, elles bénéficient rarement du « suivi » nécessaire. Mais nul ne peut contester que, depuis le 1er avril 2000 (date de sa prise de fonction officielle à la présidence de la République à la suite de sa victoire électorale du 19 mars 2000), la « boîte à idées » de Wade n’a cessé de se remplir. Il serait bon qu’il structure tout cela dans une « fondation » ou une « institution » spécialisée afin que le « wadisme » ne soit pas submergé, le moment venu, par le « sopisme ». Autrement dit : il convient de laisser durablement la trace de l’homme qu’il est ; ce n’est pas une affaire de « bilan de mandat » mais d’abord de parcours « d’homme africain ».

Considérant que « le sort de l’humanité est une chose trop sérieuse pour qu’on le laisse entre les mains des seuls politiques », Wade, vieil habitué des réunions internationales au cours desquelles il est urgent de décider de ne rien décider, a souhaité rassembler « en un organe permanent » une soixantaine d’intellectuels, parmi les plus connus du monde entier, toutes disciplines confondues, pour « donner des éclairages » et « indiquer les voies pour trouver des solutions » afin de permettre à « l’homme [de] redresser la barre d’un monde à la dérive ». Autour du président Wade une soixantaine de personnalités ont donc été invitées à une « réflexion » sur ce que devrait être la « gouvernance mondiale » pour « arrêter les dérives qui menacent l’humanité ». La « première étape » de cette initiative s’est donc déroulée à Dakar le vendredi 18 février 2011 dans la cadre de l’hôtel Méridien-Président ; une rencontre internationale « plus large » doit être organisée, toujours à Dakar, en octobre 2011.

« Première étape » : c’est dire que les objectifs initiaux (personnalités présentes et vision globale des problèmes) n’ont pas tous été atteints. Il est vrai qu’ils ne manquaient pas d’ambition et que Dakar n’est toujours pas la destination aérienne la mieux desservie dans le monde (mais la vidéo-conférence a permis de pallier à certaines défections). Moins d’intellectuels « mondiaux » et, du même coup, plus d’intellectuels « africains » (j’entends par là non seulement les Africains stricto sensu mais également les intellectuels occidentaux dont l’activité est consacrée à l’Afrique). Le « Groupe de Dakar » (dont on ne sait toujours pas s’il sera un 3 G : « Groupe sur la Gouvernance Globale » , ou un 4 G : « Groupe de Gorée sur la Gouvernance Globale ») a décidé, « compte tenu de la difficulté de proposer des solutions nouvelles et crédibles sur l’ensemble [des] questions [abordées] », d’établir une échelle des priorités qui « devrait aider l’Afrique à se hisser au rang de participant légitime à la prise de décisions collectives en matières de réduction des tensions mondiales, de redressement des déséquilibres et de régulation des flux divers ».

C’est à Patrick Guillaumont que Wade a confié la mise en place de la structure thématique de cette « première étape ». Guillaumont s’est illustré, dans les années 1980, par la publication, dans la prestigieuse collection Thémis des Presses universitaires de France (PUF), des trois tomes de son « Economie du développement ». Il était alors professeur à l’Université de Clermont I (aujourd’hui Université d’Auvergne) et directeur du Centre d’études et de recherches sur le développement international (CERDI). Professeur émérite, président de la Fondation pour les études et recherches sur le développement international (FERDI), directeur de la Revue d’économie du développement, il est aussi l’époux de Sylviane Guillaumont-Jeanneney (elle aussi membre du « Groupe de Dakar »), également professeur émérite à l’Université d’Auvergne, administrateur de l’Agence française de développement (AFD), et fille de l’économiste, diplomate (il a été le premier ambassadeur de France auprès de l’Algérie indépendante) et homme politique Jean-Marcel Jeanneney, mort à l’automne 2010 (cf. LDD Spécial Week-End 0455/Samedi 18-dimanche 19 septembre 2010).

Wade a souhaité « une réflexion sans pesanteurs politiques ni convenances diplomatiques habituelles, sur des questions existentielles qui hantent le quotidien des peuples, préoccupent les gouvernants et interpellent le monde dans son ensemble », revenant sur une de ses revendications majeures : « les pays africains subissent les effets des décisions prises ailleurs sans leur consentement », constatant par ailleurs « que la mondialisation, qui devrait permettre à des millions d’hommes et de femmes de bénéficier de ces opportunités n’a pas atteint ses objectifs » et dénonçant les « penchants destructeurs » de l’homme, incapable de s’élever « au-dessus d’un matérialisme outrancier » alors que son « cadre de vie » et « la continuité de l’histoire du genre humain » sont en péril.

Le président de la République du Sénégal, qui n’aime rien tant que d’endosser la toge du professeur qu’il a été et de l’intellectuel africain qu’il n’a jamais cessé d’être, a ainsi déblayé le terrain sur lequel les intervenants étaient, dès lors, appelés à construire.

La Dépêche Diplomatique

Jean-Pierre Béjot

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