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La monarchie marocaine résistera-t-elle mieux au « youthquake » que les « républiques » d’Afrique du Nord et les monarchies pétrolières du Golfe ?

Publié le jeudi 17 mars 2011 à 00h24min

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Au lendemain de ce qui se passe au Japon (et qui va durablement formater l’évolution économique et sociale du monde contemporain), l’expression prend un tout autre sens mais conserve son caractère magique : « youthquake » (« tremblement de jeunesse »). C’est, nous racontaient hier soir dans Le Monde (daté du mardi 15 mars 2011) Antoine Reverchon et Adrien de Tricornot, à un professeur d’université omanais, Najma Al-Zidjaly, que l’on doit cette caractérisation de ce qui se passe actuellement dans le monde arabe. Tunisie (17 décembre 2010), Égypte (25 janvier 2011), Libye (15 février 2011), Yémen (16 février 2011), Bahreïn (18 février 2011), Oman (27 février 2011)…

La « révolte arabe » qui est tout autant un « youthquake » qu’un « womenquake » tant les jeunes femmes y sont, partout, omniprésentes -, partie du Maghreb pour enflammer l’Afrique du Nord, s’étend vers l’Est et frappe plus notablement les pays pétroliers que les pays arabes les plus démunis et les monarchies pétrolières bien plus que les « républiques dictatoriales » si tant est que l’on puisse utiliser cet oxymoron qui différencie mal ce qui n’est qu’une seule et même réalité : la gestion patrimoniale des ressources d’un pays par le « clan » au pouvoir. J’ai expliqué récemment (cf. LDD Algérie 029/Vendredi 11 mars 2011) les raisons qui, selon moi, faisaient que l’Algérie « résistait » jusqu’à présent à cette « révolte arabe » alors que le pays a une bien plus longue expérience des « guerres civiles » et des « mouvements de contestation » que la Tunisie et l’Egypte où les caïds en place ont rapidement sombré.

On constate aujourd’hui que le Maroc non seulement « résiste » mais parvient à « endiguer » la vague de contestation qui a submergé une partie de l’Afrique du Nord avant de déferler sur les pays du Golfe. Deux poids lourds « africains », « arabes » et « mondiaux » ont ainsi été emportés : Ben Ali et Moubarak. Un autre poids lourd y perd son aura de « leader de la révolution » avant de perdre, sans doute, bien autre chose : Kadhafi. L’Algérie est si peu celle de Bouteflika que le départ de celui-ci ne saurait être autre chose qu’un solde de tout compte façon « bureaucratie stalinienne ». Reste donc debout, en Afrique du Nord, le royaume du Maroc de Mohammed VI. Belle performance dès lors que ce pays est souvent présenté comme bien plus archaïque, socialement (monarchie oblige), que les « Etats » voisins : Algérie, Tunisie, Libye, Égypte ; et qu’il est incontestablement le plus « pauvre ».

Mais c’est une pauvreté bien plus financière qu’humaine : la crédibilité « entrepreneuriale » et intellectuelle du Maroc n’a rien à envier, bien au contraire, à celle de ses voisins. Une « monarchie » authentique (et ancienne) vaudrait-elle mieux qu’une « république » de pacotille (et récente) ?
Le soutien aux révoltes tunisienne et égyptienne a servi de catalyseur et de prétexte aux Marocains pour descendre dans la rue. Mais au désordre des manifestations tunisiennes et égyptiennes, spontanées, improvisées, déstructurées, les Marocains ont, à l’opposé, présenté l’image de manifestations pensées et organisées (il suffit d’observer la qualité de la réalisation des calicots lors des manifestations qui ont rassemblé 60.000 personnes le 20 février 2011 pour s’en convaincre) ; rien d’une « révolte », mais l’expression d’une revendication politique !

Quelles que soient les limites (elles ne manquent pas) de la démocratie marocaine selon les critères « occidentaux », cette monarchie est moins dictatoriale que les « républiques » voisines. Et plus légitime pour la population. Diplomatiquement et économiquement, le Maroc a su devenir un partenaire pour l’Union européenne et pour l’Union africaine, ce qui n’est le cas d’aucune autre capitale d’Afrique du Nord. On me rétorquera que Rabat a choisi, Sahara occidental oblige, de quitter l’Union africaine quand elle n’était encore que l’OUA. Il n’empêche que le Maroc est, en Afrique du Nord et dans le monde arabe, le meilleur partenaire des pays d’Afrique noire : pas seulement au niveau des déclarations mais aussi au plan des réalisations (cf. à ce sujet ma série de « Dépêches » sur la première édition du forum Afrique Développement de Casablanca organisé par Attijariwafa bank - AWB 001 à 007/Mardi 4 à Mercredi 12 mai 2010).

En matière d’infrastructures économiques et sociales, Mohammed VI n’a pas lésiné sur les « grands chantiers » (Tanger-Med est devenu le plus grand port d’Afrique et taille des croupières à des ports européens, dont Marseille). Même si on peut s’insurger contre la prééminence oligopolistique du trône et de son entourage dans le business.
Si le Maroc va bien, les Marocains ne sont pas au mieux de leur forme. Et la « modernité » extravertie du pays s’oppose à une « pauvreté » introvertie. L’illusion tient au fait que ses élites maîtrisent le « bling-bling » (M6 conduit lui-même son… Aston Martin) et qu’ils trouvent dans le monde des relais pour « griotiser » l’art de vivre à la marocaine. Le royaume « frime » mais son PNB par habitant le situe toujours dans les pays « relativement pauvres » (les pauvres y sont donc dans la misère), pas même dans le Top Ten de l’Afrique.

La « fracture sociale » est ici d’autant plus insupportable que la « modernité » du royaume et sa « proximité » géographique et culturelle avec l’Europe la rendent visible et lisible : trop peu en ont trop quand beaucoup d’autres n’ont rien. « Si le principe de la monarchie n’est pas remis en cause, il fait désormais l’objet de critiques », écrivait Florence Beaugé dans Le Monde (daté du 2 mars 2011). Elle ajoutait : « Certes, le Maroc n’est pas une dictature, mais le pays n’est toujours pas une démocratie. Les disparités demeurent, la corruption règne, le mécontentement grandit ».

C’est ce que les manifestants ont exprimé ces jours derniers ; et Mohammed VI dit les avoir entendu (avec sa propre perception des choses, ce qui ne signifie pas que l’entendement soit total). En onze minutes, le mercredi 9 mars 2011, il a présenté sept points visant à « bâtir un compromis historique ayant la force d’un nouveau pacte entre le trône et le peuple ». Ce matin (mardi 15 mars 2011), dans Les Echos, Daniel Bastien évoquait une « révolution de velours » (avec, cependant, un point d’interrogation) : « Sous la pression de la rue, mais pas seulement, le roi Mohammed VI a annoncé une « réforme constitutionnelle », qui peut faire du Maroc le pays le plus démocratique du monde arabe. Il n’est pas sûr qu’elle suffise à apaiser le mécontentement social ».

Illustration des contradictions du royaume. A Rabat, se trouve l’Ecole de gouvernance et d’économie (EGE). Elle a été créée en 2008 par la Fondation pour l’enseignement des sciences économiques, politiques et sociales dont le président est Faiçal Laraichi, ex-PDG de la Société nationale de radio et de télévision (SNRT) et aujourd’hui ambassadeur à Washington. L’EGE est une belle machine intellectuelle (partenaire de Sciences Po Paris) qui ambitionne d’être « l’école des sciences politiques du Maroc et de la région ». La gouvernance, dit-elle, c’est « l’explication des enjeux, l’ouverture du dialogue et le contrôle des résultats » ; autrement dit une « approche nouvelle des projets publics et des pratiques » en vue de « changer les relations entre les responsables, les experts et les usagers ».

De mon temps, on disait : politiques publiques. Au sein de l’EGE a été créé (octobre 2010) le Centre de recherche sur l’Afrique et la Méditerranée (CERAM), très pointu sur ce qui se passe actuellement dans le monde arabe : de l’Algérie au Golfe persique. Aura-t-il la même intransigeance intellectuelle en ce qui concerne le Maroc et sa « gouvernance » ? A cela on pourra juger le « compromis historique » proposé par le roi.

Jean-Pierre Béjot

La Dépêche Diplomatique

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