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A un an de la présidentielle 2012, Abdoulaye Wade entend réaffirmer sa « souveraineté politique » sur l’ensemble du territoire sénégalais (2/2)

Publié le vendredi 11 mars 2011 à 09h44min

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Il n’est plus personne, aujourd’hui, pour penser que le MFDC est un mouvement indépendantiste dont l’action a un quelconque fondement historique, social, idéologique ou politique. Belle histoire (qui remonte à 1947) mais dépassée aujourd’hui. Et, surtout, une histoire dont les « acteurs » ont désormais perdu toute crédibilité.

Voilà quatre ans (c’était le 14 janvier 2007) que l’abbé Augustin Diamacoune Senghor est mort ; et son mouvement - dans sa composante politique - ne se portait pas mieux que lui. Il ne reste plus du MFDC que quelques « chefs de bande » qui jouent les « mules » ou les agents de sécurité des mouvements « mafieux » de la sous-région en s’appuyant, pour les uns sur la Gambie, pour les autres sur la Guinée Bissau. Les « indépendantistes » casamançais sont au Sénégal ce que les « indépendantistes » corses du FNLC sont à la France et les « indépendantistes » basques d’ETA à l’Espagne. Des tumeurs cancéreuses ! Il n’empêche que leur capacité de nuisance est considérable dans les populations dont ils entendent pourtant se proclamer le porte-parole.

A l’instar de la Guinée Bissau, la Casamance tend à devenir un pôle d’ancrage pour les narco-trafiquants qui trouvent là des zones de stockage intermédiaires entre la côte et le triangle d’or de AQMI, mis en place au Mali, au Nord de la ville de Gao. La guerre des gangs qui sévit à Bissau incite les promoteurs sud-américains de la « ligne de coke » à trouver des ancrages moins aléatoires et le territoire casamançais se prête admirablement bien à cela compte tenu de sa configuration géographique. Les montées en puissance du MFDC sur le terrain sont, sans doute, en connexion avec les « arrivages » de cette cocaïne. Si « la géographie, ça sert d’abord, à faire la guerre » (affirmation du géographie Yves Lacoste, père de la « géopolitique » en France, en 1976), elle sert aussi, désormais, à organiser le trafic de drogue ! Ziguinchor et Banjul deviendraient ainsi, selon certains observateurs, les nouvelles places fortes des trafiquants (en connexion avec AQMI) qui, jusqu’à présent, avaient fait leur trou à Bissau. C’est ce que pourraient laisser penser les récentes attaques massives du MFDC du côté de Bignona, au Nord de Ziguinchor, sur la route qui mène à Banjul, et du côté de Sédhiou, en amont de Ziguinchor, à mis chemin entre « Zig » et Kolda. Des attaques au cours desquelles de nouveaux armements seraient apparus sur le terrain entre les mains des « rebelles ».

Il ne faut pas oublier, non plus, qu’à l’issue de son coup d’Etat manqué à Bissau, en août 2008, « l’amiral de la coke », le chef de la marine guinéenne, José Américo Bubo Na Tchuto, qui été longtemps un rouage essentiel dans le trafic de trafic, s’était enfui en… Gambie avant de revenir clandestinement à Bissau où, après s’être réfugié dans les bureaux des Nations unies, il en sera « exfiltré » par des soldats de l’armée régulière avant d’être rétabli dans ses fonctions, de régler quelques comptes et de faire fermer définitivement son dossier. C’est dire que « l’argent de la coke » permet, à Bissau comme ailleurs, de tisser des liens qui pour n’être pas d’amitié n’en manquent pas moins de fondement.

Mais la Casamance, quels que soient les problèmes qu’elle pose à Dakar, ne saurait résumer le Sénégal, sa réalité géographique et sa réalité sociale, l’une et l’autre particulièrement complexes. Abdoulaye Wade a toujours pensé le Sénégal en termes d’infrastructures, de décentralisation, de développement local, d’aménagement et de continuité du territoire (une politique qui est un des « cinq leviers » de son programme 2007-2012). Même s’il a sans doute mal exprimé cette vision des choses tant il y avait à faire pour « désenclaver » Dakar et la presqu’île du Cap-Vert. Il est vrai que près de 70 % de la population sénégalaise vit sur moins de 20 % du territoire national. C’est pourquoi, aussi, Wade entend, prochainement, aller à la rencontre du Sénégal des paysans, des pasteurs et des pêcheurs là où ils se trouvent, là où ils vivent : Kaolack (capitale historique de l’arachide) au Sud-Est de Dakar, sur le fleuve Saloum ; Linguère (activités sylvo-pastorales) dans le Nord du pays sur la route Ouest-Est qui conduit de Dakar à Matam ; Saint-Louis (pêche côtière) à l’embouchure du fleuve Sénégal ; Dagana (activités agricoles et pêche fluviale) sur le fleuve, ancienne capitale de la traite de la gomme arabique.

Ces villes - qui appartiennent toutes à l’Histoire du Sénégal - devraient ainsi accueillir prochainement le chef de l’Etat. C’est rappeler aux Sénégalais que le pays s’est construit là, socialement et économiquement, dans son hinterland, entre le fleuve Sénégal et le fleuve Casamance, bien plus qu’à Dakar, une ville sortie du néant à la fin du XIXème siècle alors que Dagana, sur le fleuve Sénégal, était déjà un centre commercial sous-régional important au XIVème siècle tandis que Linguère s’affirmait comme un pôle politique significatif dès le XVème siècle et que la création de Saint-Louis (son nom est un hommage à Louis XIV), à l’embouchure du fleuve, remonte au XVIIIème siècle.

S’agit-il de reconquérir au sein des populations les voix des électeurs perdues à l’occasion des élections municipales du 22 mars 2009 ? L’opposition sénégalaise ne manquera pas de l’affirmer. Dakar, Kaolack, Saint-Louis sont tombées dans l’escarcelle de l’opposition. Linguère est restée un bastion « sopiste » sous l’autorité de Habib Sy, ancien ministre d’Etat, directeur de cabinet de Wade (je rappelle que Linguère est, aussi, la ville natale de Djibo Leyti Kâ, homme politique significatif) ; même chose pour Dagana dont le maire, Oumar Sarr, est également une personnalité politique majeure (il est ministre d’Etat). Wade veut donc aller à la rencontre du « Sénégal profond ».

Au fil des années passées, il s’était forgé l’image d’un homme de la « modernité », des « grands projets », des ambitions internationales d’une Afrique émergente, etc. C’était un président « national », « continental », « international ». Mais qui semblait éloigné de ce qui, pourtant, était le fondement même de sa personnalité : « le Sénégal profond ». Lors de la campagne présidentielle 2007, un journaliste sénégalais avait ainsi déclaré au quotidien français Les Echos (23-24 février 2007) : « Pour la première fois, les Sénégalais ont un président qui leur ressemble et leur parle wolof, Senghor était un toubab noir ; Diouf, un piètre communicant. Wade, lui, a ouvert le Palais aux Sénégalais ». Mais depuis 2007, Wade, qui entendait achever les chantiers qu’il n’avait pas pu terminer au cours de son septennat, n’a pas donné l’impression d’être revenu aux fondamentaux sénégalais : trop de tensions politiques dans le pays, de tensions diplomatiques sur le continent et de tensions internationales retenaient son… attention ailleurs que dans le « Sénégal profond » tandis que Dakar avait, dans son agenda, quelques grandes manifestations « mondiales » à ne pas rater (Fesman III, FSM, etc.)

Nous le retrouvons donc aujourd’hui, alors qu’il entame la dernière année de son deuxième mandat présidentiel (un quinquennat cette fois) prêt à boucler ses valises pour aller écouter ce que les « Sénégalais de l’intérieur » ont à dire. Les paysans, les pasteurs, les pêcheurs et, par la suite, les ouvriers de Dakar. Cela tombe bien : la jeunesse sénégalaise - à l’instar de toutes les jeunesses mais avec une acuité particulière en ce qui concerne les jeunesses africaines -se pose des questions et voudrait d’autres réponses que l’exode rural, l’embarquement pour les rives européennes ou le désespoir urbain. Les réponses sont attendues d’urgence.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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