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Journée internationale de la femme : Quand les femmes du monde entier se mobilisent pour dénoncer « l’utilisation » des Congolaises comme arme de guerre (2/2)

Publié le mercredi 9 mars 2011 à 00h53min

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En République démocratique du Congo (RDC), la Mission de l’ONU au Congo (Monuc) a dénombré 200.000 femmes violées depuis 1996. Ce chiffre ne prend en compte, bien sûr, que les victimes déclarées ; mais combien de femmes violées qui ne diront rien ? Pour certaines d’entre elles, ces femmes ont été violées et torturées par des soldats devant leurs époux, leur enfants, parfois même devant le village.

Plus grave encore, des fils ont été obligés de violer leur mère et des pères leur fille. Ce ne sont pas là des spéculations mais des faits avérés dont des femmes ont témoigné, mêlant larmes et colère. Elles l’ont fait à visage découvert depuis une tribune, avec un courage immense, souvent en présence d’hommes en treillis. C’était un des objectifs visés par l’organisation de la troisième action mondiale de la Marche mondiale des femmes : offrir l’opportunité aux femmes congolaises de crier à la face du monde toutes leurs souffrances, et celles de leur famille, et aussi d’exposer leurs revendications devant le gouvernement congolais, la « communauté internationale », les forces étrangères postées dans leur pays. Cette action a été menée du 13 au 17 octobre 2010 dans le Sud-Kivu, à Bukavu. Cette province de la RDC a été ainsi le point de ralliement de milliers de femmes venues exprimer leur solidarité et leur soutien au combat des femmes congolaises pour une paix durable et pour une démilitarisation de la RDC et plaider, aussi, pour une exploitation transparente et plus juste des richesses du pays.

C’est que la situation des femmes congolaises, dans ce contexte post-conflit, est alarmante. Dans une communication présentée lors de cet événement, Mathilde Muhindo, militante congolaise des droits de la femme et membre du comité d’organisation, nous en a donné un aperçu : « La présence de groupes armés, de militaires incontrôlés ou indisciplinés, tous profitant de l’impunité, explique que des viols massifs ont été commis ; les plus récents en février de cette année [2010] à Mulombozi, dans la région de Mwenga [à une centaine de kilomètres au Sud-Ouest de Bukavu], où une douzaine de femmes qui se rendaient aux champs ont été enlevées, torturées et certaines décapitées. En juillet de cette année [2010], nous avons également enregistré des viols massifs dans le Nord-Kivu, du côté de Walikale [à 200 km au Nord de Bukavu] où plus de 180 femmes ont été victimes d’abus sexuels pendant plusieurs jours. Cette semaine, encore, ce mardi 13 octobre 2010, le jour de l’ouverture de la troisième action mondiale, des viols ont été perpétrés dans cette même ville ».

Hormis les viols, les femmes de l’Est de la RDC sont l’objet de nombreux actes cruels et inhumains. Ces violences faites aux femmes sont constatées partout au Nord-Kivu, au Sud-Kivu et dans la province de l’Ituri où la guerre a fait rage plus longtemps qu’ailleurs. Au-delà des conséquences physiques de ces actes barbares (déchirure des organes génitaux, fistules vaginales, etc.), les femmes qui en sont les victimes subissent aussi un ostracisme social (rejets, humiliations, discriminations), économique (dépendance), psychique (jusqu’à la folie), sanitaire (infections notamment par le VIH-Sida)…

Au regard de cet état des lieux, il s’est avéré impérieux pour la Marche mondiale des femmes, ONG multinationale existant formellement depuis 2000, d’organiser une manifestation d’envergure internationale pour un plaidoyer et un lobbying en faveur de la femme congolaise et du peuple congolais tout entier. Ainsi, pendant quatre jours, les femmes se sont retrouvées au centre Ibanda de Bukavu pour débattre et proposer des perspectives d’avenir à travers des panels et des témoignages. Les panels portaient sur les thèmes suivants : Paix et démilitarisation, Biens communs et services publics, Violence envers les femmes, Autonomie économique des femmes. La journée du 16 octobre 2010 a été celle du recueillement, à Mwenga, devant la fosse commune où quinze femmes ont été enterrées vivantes.

Ces femmes, accusées de soutenir les guerriers Maï-Maï, avaient été enlevées, violées, torturées pendant plusieurs jours et, finalement, enterrées vivantes en octobre 1999. Cette visite sur ce lieu macabre a été un moment fort en émotion ; aucun mot ne peut en exprimer l’intensité. Toutes les femmes présentes ont réclamé, à l’unisson, justice pour ces victimes dont les bourreaux n’ont jamais été inquiétés. En la mémoire de ces femmes,une stèle a été érigée sur ce lieu de barbarie. Les femmes de Mwenga et des environs, touchées par cette visite « internationale », ont marché pendant plusieurs jours pour accueillir la délégation de la Marche mondiale des femmes. C’est dire que les blessures sont profondes mais que l’espérance est grande.

Il est plus que temps que le gouvernement congolais et la « communauté internationale » prennent à cœur le besoin légitime de justice de toutes ces femmes victimes d’une guerre qui ne dit pas son nom ; mais aussi des hommes et des enfants. Aussi, ces acteurs-clés doivent veiller au démantèlement de toutes les forces armées opérant encore sur le territoire congolais, afin d’aboutir à une paix définitive. Une des revendications majeures a été que l’Etat congolais révise les accords d’exploitation des minerais et des ressources forestières afin de parvenir à une gestion transparente de ces ressources naturelles. Il est temps que les puissances économiques étrangères, et aussi la faible minorité des Congolais qui en profitent actuellement, se retirent pour que les filles et les fils de ce pays puissent jouir des richesses qui sont les leurs. Il a été évoqué également la création d’un tribunal pénal spécial pour la RDC afin de rechercher et de punir tous les auteurs de viols et autres crimes sexuels. Les femmes présentes à Bukavu ont appelé au retrait progressif des troupes et de la Mission de l’ONU pour la stabilisation du Congo (Monusco) - qui a pris la suite de la Monuc - qui se seraient rendus coupables d’atteintes aux droits humains et dont la forte présence menacerait la souveraineté de l’Etat congolais.

La Marche mondiale des femmes est convaincue que l’instauration d’une paix véritable en RDC est la condition sine qua non d’une paix durable dans la région des Grands-Lacs dès lors que tous les pays qui la composent sont impliqués dans le conflit. Il s’avère important également d’impliquer beaucoup plus les femmes dans le processus de négociation de la paix mais aussi de faciliter leur intégration dans les « corps habillés » (police, gendarmerie, armée nationale). Cette troisième action mondiale de la Marche mondiale des femmes a eu un retentissement international et les autorités congolaises ont suivi les travaux avec un regard attentif. La présence à Bukavu de milliers de femmes de toutes les nations a redonné de l’espoir aux Congolaises qui, depuis une quinzaine d’années, subissent les pires formes de violence sous le regard du monde entier mais dans un silence mortel.

Bukavu - 13-17 octobre 2010

Sheila Sandrine Sanouidi
La Dépêche Diplomatique

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