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SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

Publié le vendredi 4 mars 2011 à 03h55min

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Devant la Société burkinabè d’équipements (SBE) et la société burkinabè de crédit automobile (SOBCA), ils sont toujours présents à leur "bureau", prêts à vous proposer leurs services. Une fois le marché conclu, ils effectuent le travail en un laps de temps. Eux, ce sont les intermédiaires entre les fonctionnaires et les institutions financières. Communément appelés à tort ou à raison les "margouillats", leur travail consiste à aider les fonctionnaires à avoir le plus rapidement possible la signature de leurs attestations de non-engagement. Comment travaillent-ils ? Les revenus qu’ils en tirent leur permettent-ils de subvenir aux besoins de leur famille ? Sont-ils reconnus par les institutions financières ? Quelques réponses dans les lignes qui suivent.

A notre arrivée dans la matinée du 1er février 2011 devant la Société burkinabè de crédit automobile (SOBCA), c’est une foule de personnes que nous avons trouvées. Assises sur des tables-bancs par groupe de cinq à 10 , ces personnes n’attendent que des clients pour commencer leur travail. Nous avons approché un des groupes composés en majorité de jeunes pour expliquer la raison de notre visite. "Allez-y voir le monsieur qui est arrêté un peu devant, c’est lui notre président", nous a répondu un d’entre eux. Un monsieur du nom de Mahamadi Ilboudo, nous indique un autre groupe de personnes un peu plus âgées. "Il faut les voir, ce sont eux qui nous ont envoyés ici, donc c’est à eux qu’il faut s’adresser". Ces derniers nous renvoient encore chez Mahamadi Ilboudo en disant que c’est lui leur responsable.

Apparemment, personne ne voulait se prêter à notre micro. Un des leurs nous explique la raison : " Nous ne voulons pas parler parce qu’on nous traite d’escrocs, de délinquants, de margouillats. Il y a un journal de la place qui est venu nous interroger ici. Ce jour-là, tout le monde a parlé. Mais dans sa parution, il nous a traité de tous les noms, délinquants, margouillats, escrocs et que sais-je encore ? Vous comprenez pourquoi les gens sont réticents maintenant ?" Ses explications nous ont laissés perplexes. Mais nous avons décidé de ne pas nous résigner. C’est ainsi que nous sommes repartis voir une fois de plus le responsable, Mahamadi Ilboudo.

La plupart des clients viennent des provinces

Après quelques minutes de tergiversation, il accepte enfin de répondre à nos questions. Il explique que leur tâche consiste à aider les fonctionnaires à avoir le plus rapidement possible la signature de leurs attestations dans les institutions financières. Avec ces attestations de non-engagement signées en bonne et due forme, ces fonctionnaires peuvent avoir des crédits à la Société burkinabè de crédit automobile ou à la Société burkinabè d’équipements (SBE) pour subvenir à leurs besoins, a-t-il dit. Les clients de ces "démarcheurs", généralement les fonctionnaires et particulièrement les enseignants confient leurs attestations pour signature et cela pour des raisons diverses. Selon Mahamadi Ilboudo, certains le font par manque de temps. Il explique en effet que la plupart de leurs clients viennent des provinces.

Et, ayant généralement plusieurs courses à faire en un laps de temps, ils n’ont d’autres choix que de leur confier leurs papiers pour signature. La seconde raison évoquée par le responsable des "démarcheurs" à la SOBCA est la célérité de leur travail. "Quand nous prenons un papier pour signature, le maximum de temps qu’on prendra serait une journée et le minimum, trois heures. Alors que si c’est le client lui-même, il peut faire 3 jours voire 4 avec son papier". Cette affirmation a été confirmée par Félix Koalga, enseignant à Yako, qui confie être venu donner une attestation de non-engagement pour signature à la BICIA. "Je suis venu leur remettre mon attestation afin d’éviter les nombreux rendez-vous au niveau des institutions financières. En plus, je n’ai pas assez de temps et j’ai d’autres courses à faire. Si je décide de faire signer moi-même mes papiers, je pourrai attendre 3 jours. Alors qu’avec eux, si cela a trop duré, c’est une journée".

1 000 ou 2 000 F CFA pour la signature d’un papier

La signature rapide de ces attestations est soumise à une contrepartie financière qui peut aller de 1 000 à 2 000 F CFA. Mais selon Athanase Yaogo, il arrive parfois que le client donne plus s’il est satisfait du travail. Ces revenus sont-ils suffisants pour entretenir une famille ? " Ce n’est pas suffisant mais je vis de cela ; je fais avec. Dans le mois, je peux avoir 15 à 20 attestations pour signature et si vous faites le calcul, 20 fois mille, vous trouverez que c’est une somme qui peut servir un tant soit peu à joindre les deux bouts ", a répondu Athanase Yaogo. Si ce dernier trouve un peu suffisant son revenu, ce n’est pas le cas chez Mahamadi Ilboudo qui affirme que ce qu’il fait ne peut en aucun cas lui permettre de subvenir aux besoins de sa famille .

C’est pourquoi, il dit avoir "créé un atelier de soudure pour essayer de joindre les deux bouts". Les démarcheurs, dans leur boulot, rencontrent pas mal de difficultés dont la principale est leur nombre grandissant. Selon le président Mahamadi Ilboudo, ils sont plus de 80 devant la SOBCA. Toute chose qui n’est pas de nature à leur rapporter plus de gain, vu qu’il n’y a pas assez de fonctionnaires pour les satisfaire. Avant, la réception des clients se faisait de façon "sauvage", a expliqué Athanase Yaogo. En effet, selon lui, quand les démarcheurs voyaient un client, ils se ruaient sur lui, chacun voulant avoir le marché."

Cet état de fait suscite souvent de l’énervement chez le client et ne nous honore pas", a-t-il dit. Pour éviter cela, il a laissé entendre qu’ils se sont organisés en désignant un responsable qui se charge de les sensibiliser. "Actuellement, nous avons opté pour un principe. Si un client arrive, chacun reste sur place et c’est le client qui choisit la personne à confier son papier", a expliqué M. Yaogo.

La SBE ne collabore pas avec les démarcheurs

A la Société burkinabè d’équipement (SBE) non loin de la SOBCA, ce fut le même constat. Des groupes de personnes, assis sur des tables-bancs, attendent des clients. A notre arrivée, l’un d’entre eux nous accoste :" êtes-vous venus pour la signature de vos papiers ?" Après s’être imprégné de la raison de notre visite, celui-ci nous conduit vers Moumouni Soudré, leur patron. Assis sur un table-banc, bic et papiers en mains, Moumouni Soudré, patron des démarcheurs au niveau de la SBE, nous fait comprendre qu’il répondra à nos questions mais n’entrera pas dans les détails, de peur de dévoiler ses stratégies de job. Il explique que c’est ce qu’il fait depuis 15 ans, c’est-à-dire la signature des attestations avant de confier qu’il est maintenant à un stade supérieur qui est le paiement des bons . Il explique en effet que certains fonctionnaires reçoivent des bons de moto, de tôles ou de ciment. Leur volonté n’étant pas l’acquisition de ces biens d’équipements mais plutôt de l’argent, ils les lui revendent. Lui, à son tour, les revend avec bénéfice. " C’est comme cela que je travaille ici", a-t-il soutenu avant d’affirmer que ce travail seulement ne peut pas lui permettre de vivre parce qu’il peut faire un mois sans avoir de bon.

Isidore Taonsa, enseignant à Pouytenga, que nous avons trouvé sur place, confie qu’il est venu demander les services de Moumouni Soudré afin d’avoir du ciment. "Si j’arrive à avoir le ciment, je vais vendre la moitié pour résoudre des problèmes urgents et utiliser le reste pour construire ma maison", a-t-il laissé entendre. Il s’indigne, par la même occasion, contre la stratégie des démarcheurs qui "paient les articles à un prix trop bas" avant d’indiquer que face à l’urgence de leur situation, ils n’ont pas d’autres choix. L’urgence de la situation, c’est la raison avancée également par Débé Bastian, enseignant à Dédougou. "Ma femme est malade. Elle se trouve actuellement à l’hôpital. Comme je n’ai pas d’argent pour la faire soigner, je suis venu prendre un bon de moto que je vais revendre afin de pouvoir payer les ordonnances", a-t-il dit avant d’affirmer comme son prédécesseur qu’ils sont trop lésés par les démarcheurs mais ils n’ont pas le choix.

Les institutions financières connaissent-elles l’existence de ces démarcheurs ? Travaillent-ils en collaboration ? "Ma société n’est pas au courant de ces gens et nous ne collaborons pas", a répondu le Directeur général de la SBE, Grégoire Sawadogo. Il indique que le rôle de sa société qui est un établissement financier, spécialisé dans la vente à crédit et accessoirement au comptant des biens d’équipements, est de satisfaire les besoins des clients. Il affirme qu’ils ne sont pas contre le fait qu’un client, par manque de temps, envoie quelqu’un pour faire signer son attestation à sa place. Mais l’idéal, selon lui, serait que le client vienne lui-même faire signer ses papiers pour éviter les pertes de certaines données ou même des documents." Nous sommes toujours ouverts et nous sommes prêts à accompagner les clients, surtout ceux qui ne sont pas dans la capitale, à signer de façon rapide leurs documents. Pour qu’il en soit ainsi, il faut qu’ils se rendent eux-mêmes dans nos agences", a conclu le DG de la SBE.

Yannick SANKARA

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 4 mars 2011 à 04:17, par kinotanis En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    Dans un Etat tout dois etre structurer et bien organiser. Ce qui vient d´etre decrite reflecte la profondeur de la mal gouvernance, de la corruption et de la delinquance. Ces margoullat sont ils reconnu par l´Etat, ont ils des documenets qui les autorise ? payent ils des taxes ? je ne crois pas. Pendant ce temps on rend la vie impossible á ma grande mére qui est á Baskui yaar, vend les feuilles de baobab afin de pouvoir s´occuper de ses fils sans emplois et ses petit filles. Un Etat doit etre organiser. Voici les plaies du Burkina. Trop de laisser aller.

  • Le 4 mars 2011 à 05:07, par ba noaga En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    Raison pour laquelle la corruption est de tendance dans ce pays. Ce magouilla va rentrer et filer un billet au fonctionnaire bureaucrate qui est déjà payé par l’état pour avoir la signature mais le petit enseignant qui refuse de donner quelque chose va souffrir, ce phénomène doit être dénoncé

  • Le 4 mars 2011 à 06:40 En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    cela montre l’efficacité de notre administration

  • Le 4 mars 2011 à 08:53, par Doz En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    Bel article, mais le journaliste aurait pu se montrer plus professionnel en protégeant l’identité des personnes interviewées en ne mettant que leurs initiales plutot que leur noms en entier : erreur à éviter !!!!

  • Le 4 mars 2011 à 09:42, par Toi En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    Je suis toujours surpris de voir comment le Burkinabé sait se débrouiller pour subvenir aux besoins de sa famille...

    Ces personnes sont de vrais entrepreneurs qu’il faut encourager et encadrer afin d’améliorer leurs services.

    Par ailleurs, c’est également ici l’occasion de dénoncer cette pratique des institutions financières. Si la banque veut vérifier que son client n’a pas de crédit ailleurs, et bien qu’elle le fasse elle même.

    Entre nous, j’ai déjà réussi à avoir un crédit sans faire signer cette attestation de non engagement... Je leur ai dit, si vous voulez vérifier, faites le vous même, si vous ne voulez pas que je prenne un crédit alors que mon salaire est viré tous les mois dans vos livres dites le moi et je change de banque... et ça a marché.

    Bon courage mes frères et continuez comme ça, organisez vous et professionnalisez vous.

    Dieu vous bénisse et Dieu bénisse le Burkina Faso !

  • Le 4 mars 2011 à 14:02, par cheicklamenace En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    manque de professionnalisme et lenteur administrative égale source de corruption. on paye des impôts pour que vous faisiez votre job alors faite vite votre job et point.

  • Le 4 mars 2011 à 15:20, par mackiavel En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    Franchement, l’article est bien mais le sujet est mal ciblé. Il faut poser une première question : est-ce que les banques et les établissements financiers ont-ils le droit d’inquisitionner le client pour savoir s’il ne doit pas ailleurs ? Dans le cadre des mesures contre le surendettement, il existe un fichier qui doit être accessible et auquel les établissements se réfèrent pour prendre connaissance de l’état de solvabilité de leur client. Cela se fait dans la discrétion et la protection de la dignité des personnes. Franchement, nous avons du chemin à faire car non seulement l’accès au crédit à la consommation est compliqué, mais en plus le dépôt même du dossier est un parcourt de combattant. La ligue des consommateurs devait se saisir de ce dossier car la consommation est la clé de relance de nos économies où on ne peut pas épargner dans le but d’investir. Et comme 99,99% n’a pas accès aux coffres de l’Etat....

  • Le 4 mars 2011 à 16:37, par Lol En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    Je parie que ces instituttions financières sont bien au courant du manège. Sinon comment expliquer que si l’interessé presente lui-même ses papiers, il y a un delai d’environ 3jours ; et si c’est un "demarcheur" ça prend moins de 24h ??? soyons serieux !

  • Le 4 mars 2011 à 20:19, par lilboudo En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    Signe de la mauvaise gouvernance. D’une part il devrait exister un ficher central des crédits, que les établissements financiers pourront consulter - ou, à défaut, une procédure leur permmettant de se renseigner (par exemple au lieu que le client vienne signer une attestation, pourquoi l’organe qui atteste du non engagement ne pourrait pas répondre par mail ou par fax du non engagement sans que le client ne se déplace ?) ; d’autre part, le système persiste parce que les travailleurs des établissements sont "mouillés" pour accélérer le travail ; ce qu’ils font en un jour au lien de 3, c’est parce qu’ils ont une contrepartie en dessous de table... Sinon, comment comprendre qu’avec des intermédiaires le délai soit réduit plus que sans intermédiaires ? C’est l’inverse de la loi des queues de files, si je ne me trompe....

  • Le 4 mars 2011 à 23:46, par N’maway En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    C’est ecoeurant et enervant de lire cet article. Que peut faire le demarcheur mieux que le proprietaire du dossier en question ? C’est par ce que la marge benefiaire entre le demarcheur et le financier est partagee a la fin de la journee. Et bonjour la corruption et la mal gouvernance. A mon avis les journalistes devraient demander aux financiers ce qui fait la difference de temps entre les demarcheurs et les proprietaires des dossiers. C’est incroyable ce qui se passe. Pourquoi les financiers ne prennent pas la meme heure pour signer le papier ? Le partage du gain entre les deux voleurs explique les trois jours que cela prend pour signer un dossier.

  • Le 5 mars 2011 à 14:12, par simpolysee@yahoo.fr En réponse à : SIGNATURE DES ATTESTATIONS DE NON-ENGAGEMENT : Le deal des démarcheurs

    Bizare et même très bizare. Comment se fait-il que ces garçons arrivent rapidement à obtenir les signatures et les concernés doivent peiner ? ça sent drolement la corruption. vivement qu’on puisse trouver une solution à cette situation. Et dire que ce n’est pas seulement dans ces genres d’institutions que nous trouvons des margouillats du genre. Faites un tour au palais de Justice et vous serez edifié. Avez vous besoin d’un certificat de Nationalité ou d’un casier judiciaire ? Vous avez pour au moins 3 à 4 mois pour l’obtenir si encore vous avez la chance qu’on ne perde pas vos documents. Mais filez vite un mille francs au petit greffier assis ou a un de ses voyous sinon delinquants reconvertis en demarcheurs qui pilulent le palais à longueur de journées et vous pouvez repartir tranquilement avec votre document. Le problème ne se situe pas au niveau des juges signateurs mais au niveau de petits greffiers zélés qui attendent toujours cette manne pour arrondir leur fins de mois. Encore sil savent être un peu courtois et respectueux avec les usagers. Ces petits fonctionnaires imbus de leur petites personnes trouvent là l’ocasion de se rendre plus important qu’il ne peuvent l’être. Merde à cette corruption qui dure.

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