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Lancement du prix Abdoulaye Fadiga : Retour sur le premier gouverneur africain de la BCEAO (2/2)

Publié le mercredi 2 mars 2011 à 06h28min

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A la fin des années 1980, Félix Houphouët-Boigny s’était engagé dans une « bataille du cacao » qu’il ne pouvait que perdre face au marché mondial et aux… petits producteurs ivoiriens (qui étaient, principalement, des exploitants d’origine burkinabè) soumis au diktat des commerçants libanais. La Caistab devant combler la différence entre le prix payé aux planteurs et le prix du marché allait vite se trouver asphyxiée.

C’est vers la BCEAO, la banque centrale de l’Afrique de l’Ouest, et son gouverneur, l’Ivoirien Abdoulaye Fadiga, que le « Vieux » allait alors se tourner pour éviter le pire. A Paris, la préoccupation était maximale ; d’autant plus que les grands groupes industriels et les sociétés de négoce avaient Abidjan, où les stocks de cacao sous embargo ne cessaient de gonfler, dans le collimateur. Les entretiens entre les responsables français et Fadiga vont se multiplier sans jamais déboucher. A l’issue de sa première mission, il était porteur d’un message de Paris destiné au président ivoirien : le maintien du prix du cacao aux planteurs entraînera une dévaluation du franc CFA (« une idée farfelue », commentera Fadiga). Il était préconisé d’abaisser le prix payé et de le moduler selon la qualité des fèves. Pour les banques françaises, la Côte d’Ivoire devenait insolvable. Plus un franc ne devait être engagé dans des opérations de pré-financement de la campagne 1988-1989. C’est pourquoi Houphouët avait appelé au secours Fadiga : la BCEAO avait pour mission de réescompter les crédits aux exportateurs consentis par les banques ivoiriennes. Une prise de risque considérable.

Fadiga meurt subitement le 11 octobre 1988. On évoque un cancer des poumons. On laisse entendre également qu’il aurait été « suicidé » ; ce qui est du domaine du possible. Il n’avait pas pu mener à bien sa deuxième mission auprès des autorités françaises alors que le bilan de la campagne cacaoyère était affligeant. Tandis que d’ordinaire plus des deux tiers de la récolte était d’ores et déjà vendus à cette période de l’année, 50.000 tonnes seulement avaient trouvé acheteurs. Soit moins de 6 % de la production escomptée. Le stock régulateur mis en place dans le cadre de l’accord international de 1986 s’élevait à plus de 250.000 tonnes tandis que les stocks de report sur le marché mondial s’élevaient à 800.000 tonnes !

La mort de Fadiga, à 53 ans, intervenait au pire moment pour le « Vieux ». La Côte d’Ivoire subissait une crise économique majeure et des tensions politiques et sociales émergeaient. Il fallait, par ailleurs, trouver un successeur à Fadiga qui avait été reconduit au gouvernorat de la BCEAO en août 1988 à Cotonou à l’occasion du sommet des chefs d’Etat de l’UMOA. Dès le 27 octobre 1988, c’est Alassane Ouattara qui sera désigné pour succéder à Fadiga. Les deux hommes étaient Ivoiriens, nordistes et musulmans. Fadiga s’était d’ailleurs rapidement intéressé à son cadet entré en août 1973 à la BCEAO en tant que chargé de mission : en février 1975, il en fera son conseiller spécial, titre auquel il ajoutera, six mois plus tard, celui de directeur des études. En janvier 1983, Fadiga le fera nommer vice-gouverneur. Ouattara cédera alors la direction centrale des études à Charles Konan Banny, futur gouverneur de la BCEAO et futur premier ministre de la Côte d’Ivoire.

Quatre ans auparavant, le 1er novembre 1984, Ouattara, 42 ans, avait pris ses fonctions de directeur du département Afrique du FMI. Le 25 novembre 1988, à 12 heures, j’étais à Washington dans le bureau de Michel Camdessus, son directeur général, quand Ouattara a cédé sa place à Mamoudou Touré (ancien ministre de l’Economie et des Finances du Sénégal et déjà, par le passé, directeur du département Afrique du FMI). « J’aurais souhaité resté un peu plus longtemps, me confiera Ouattara. Quatre ans, ce n’est pas suffisant pour laisser une empreinte. Je considère que j’étais arrivé à un point où mon action pouvait devenir encore plus efficace. Je suis arrivé au Fonds monétaire au moment où beaucoup de pays africains hésitaient à entrer en programme avec le FMI. Au moment de mon départ, je peux dire que ces hésitations avaient pratiquement disparu. Ce furent quatre années d’une expérience exaltante. C’est un travail passionnant d’avoir à s’occuper d’une cinquantaine de pays ».

La mort de Fadiga ramène Ouattara sur le continent africain. Le jeudi 22 décembre 1988, il a fait un saut à Dakar, au siège de la banque centrale, pour y prêter serment de gouverneur. Je le retrouve à Paris, rue du Colisée (les bureaux parisiens de la BCEAO), le lundi 26 décembre 1988. « C’est une période difficile pour l’institution d’émission » me confiera-t-il. La cause, cette fois encore, en était identifiée : c’était la Côte d’Ivoire qui, me dira-t-il, « subit les conséquences d’une très forte détérioration des termes de l’échange. Ceci a un impact certain sur le bilan de la banque, sur sa position en devises et, par conséquent, sur la couverture de la monnaie ». Occasion de rendre hommage à Fadiga : « Les politiques qui ont été mises en place par mon prédécesseur ont permis à la banque de mieux résister à cette détérioration de la conjoncture extérieure. Par conséquent, mon devoir sera un devoir de continuité. Et, peut-être aussi, celui de rechercher une meilleure intégration de l’action de la banque centrale dans le processus d’ajustement de la communauté internationale. Donc, pas de rupture. Bien au contraire ».

Ouattara ne savait pas encore que, bientôt, il devrait quitter (sans abandonner pour autant sa fonction de gouverneur) Dakar pour Abidjan. Très logiquement d’ailleurs puisque la source des tracas de l’UMOA se trouvait dans la mauvaise conjoncture économique, financière et sociale à laquelle était confrontée la Côte d’Ivoire. C’est au titre de gouverneur de la BCEAO que le « Vieux » va le nommer président du Comité interministériel chargé de l’élaboration et de la mise en application du programme de stabilisation et de relance économique avant d’en faire, le mercredi 7 novembre 1990, son premier ministre, poste créé la veille.

Un processus était enclenché dont nous connaissons aujourd’hui les effets. Le jeudi 21 février 1991 - il y a tout juste vingt ans ! - Ouattara tenait sa première conférence de presse en tant que premier ministre de la Côte d’Ivoire. Une page se tournait. C’était surtout l’espérance que le pays allait renouer avec une nécessaire rigueur qui lui apporterait, à nouveau la prospérité ; une prospérité qui était aussi une nécessité pour la sous-région. Abidjan-Dakar-Ouagadougou. Il faut que « ça marche » dans la capitale ivoirienne pour que la BCEAO, dont le siège est au Sénégal, « marche bien » ; et la « bonne marche » de la Côte d’Ivoire et de la BCEAO sont des conditions nécessaires à la « marche en avant » de l’UMOA (aujourd’hui UEMOA) !

La mort du « Vieux » en 1993, une succession mal gérée, une dévaluation plus mal gérée encore par un pouvoir qui avait une vision obsolète des politiques publiques, la fuite en avant dans une propagation de « l’ivoirité », la faillite du régime de Henri Konan Bédié, autant d’événements qui ouvraient la porte à toutes les dérives : coup d’Etat militaire, élections « calamiteuses », coup d’Etat « foireux », gestion plus « foireuse » encore d’une République rapidement à l’agonie… La mort de Fadiga, le 11 octobre 1988, aura ainsi été un tournant dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Il faudrait sans doute que la BCEAO instaure également un prix pour la promotion de la recherche en science politique afin de mieux comprendre ce qui a pu se passer au cours de ces vingt-deux dernières années où la Côte d’Ivoire est passée de l’espérance à l’espérance déçue puis au désespoir quasi absolu aujourd’hui.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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