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Lancement du prix Abdoulaye Fadiga : Retour sur le premier gouverneur africain de la BCEAO (1/2)

Publié le mardi 1er mars 2011 à 00h43min

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Abdoulaye Fadiga

Alors que l’Afrique de l’Ouest traverse une crise majeure, Jean-Baptiste Compaoré, gouverneur par intérim de la BCEAO, vient de lancer la troisième édition du prix Abdoulaye Fadiga pour la promotion de la recherche économique qui sera décerné en 2012, année du cinquantième anniversaire de la banque centrale.

La première édition avait couronné un Nigérien, Oumarou El-Nasser Ary Tanimoune pour une étude sur les performances bancaires au sein de l’UEMOA. La deuxième avait été décernée aux Sénégalais Mamadou Felwine Sarr et Cheikh Tidiane Ndiaye dont les travaux portaient sur les politiques et les chocs budgétaires en zone UEMOA. Les axes de réflexion pour la troisième édition portent sur la stabilité des prix, le secteur financier, les conditions d’accélération de la croissance. Mais qui garde encore le souvenir de Abdoulaye Fadiga, le premier gouverneur africain de la BCEAO, mort prématurément le 11 octobre 1988 à l’âge de 53 ans ?

Depuis sa naissance, le 10 mars 1935, à Touba, dans l’extrême Nord-Ouest de la Côte d’Ivoire, à la frontière avec la Guinée, Fadiga avait parcouru un long chemin commencé au sein de l’école coranique de sa « ville » natale. Il était de la première génération des intellectuels africains (« version occidentale ») qui trouveront tout naturellement une place au plus haut niveau de l’administration de leur pays. Militant actif de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF), il avait été, à l’université de Dijon, un des cadres en vue de la lutte anti-coloniale. Ce qui ne l’avait pas empêché de décrocher un premier DES en économie politique, puis un deuxième en droit public. Il débutera sa carrière de haut fonctionnaire ivoirien au sein de la Caisse de stabilisation et de soutien des prix des productions agricoles (CSSPPA) comme directeur adjoint. Mais se retrouvera très vite, en 1963, en prison à Yamoussoukro, pour deux longues années. « Atteinte à la sûreté de l’Etat ».

L’Afrique des Présidents voyait alors des complots partout et Félix Houphouët-Boigny, obnubilé par les « communistes », en voyait même dans son entourage direct. Mais savait, parfois, pardonner aux supposés « comploteurs ». En 1967, Fadiga sera nommé à la direction générale de la « Caisse ». Poste stratégique : c’était le lieu de passage obligé de toutes les exportations de matières premières agricoles et donc l’institution la plus « liquide » du pays ». Il en restera le patron pendant huit années. De quoi engranger bien des secrets sur le financement de l’économie ivoirienne et de sa classe politique.

En janvier 1975, il sera nommé gouverneur de la BCEAO. Il en sera ainsi le premier « patron » Africain. Et en quatorze années d’action au plus haut niveau de l’institution d’émission, il en fera une véritable banque centrale. Il procédera également à son africanisation. En la matière, il ne s’agissait pas seulement de mettre en place des cadres « continentaux ». Il s’agissait aussi d’opérer sa délocalisation : son siège se trouvait alors au 29 rue du Colisée, dans le VIIIème arrondissement de Paris, un petit immeuble sans prétentions. En juin 1978, Fadiga pourra enfin s’installer à Dakar dans une immense tour dessinée par l’architecte Pierre Goudiaby Atépa et symbolisant un baobab, l’arbre fétiche du Sénégal.

Visage tout en rondeurs, nez épaté, petite moustache de plus en plus grisonnante au fil des années, deux fentes abritant un regard empreint de malice selon les uns, de malignité selon les autres, Fadiga, fervent musulman, était un caractère indépendant qui sera confronté à une conjoncture politico-financière difficile. « Laxisme », « avances de trésorerie inconsidérées », etc. dira-t-on à Paris au sujet de sa gestion. Jacques Chirac, alors premier ministre du président François Mitterrand, dépêchera une mission de hauts fonctionnaires de la coopération, du Trésor et de la Banque de France, en août 1987, pour visiter les pays membres et tirer la sonnette d’alarme. Ancien haut commissaire de l’AOF, ex-premier ministre du général De Gaulle, alors président du groupe RPR à l’Assemblée nationale, Pierre Messmer conduira cette délégation qui ne manquera pas d’exaspérer Fadiga : « Nous n’avons pas attendu l’arrivée de Zorro pour prendre les mesures d’assainissement qui s’imposent », répliquera-t-il alors rudement.

Langage d’amertume qui cachait mal la réalité des faits. L’UMOA traversait alors une grave crise, se retrouvant dans le rouge auprès du Trésor français pour la première fois de son histoire. L’origine de cette crise devait être recherchée non pas à Dakar mais à Abidjan. Fadiga était dans cette affaire le go-between entre les autorités françaises et le « Vieux ». A la recherche d’une solution. C’est que le patron de la BCEAO était, aussi, un homme politique en Côte d’Ivoire. Depuis octobre 1975 (au lendemain de son accession au gouvernorat de la banque centrale) il avait été « élu » membre du bureau politique du PDCI-RDA, le parti unique, aux côtés de « l’élite » du pays. A compter de septembre 1980, à l’occasion du VIIème congrès, il rejoindra son comité directeur, fonction qu’il conservera lors du VIIIème congrès en octobre 1985.
« Option sociale » contre « option FMI ». Le 29 mai 1987, la Côte d’Ivoire avait annoncé, par la voix d’Abdoulaye Koné, le ministre de l’Economie et des Finances, qu’elle n’était plus en mesure d’assurer le paiement de sa dette extérieure. C’était la rupture avec le FMI. Houphouët avait décidé de mener jusqu’au bout la « bataille du cacao » qu’il avait engagée contre le marché international. Il décidera d’arrêter toute création de cacaoyère et annoncera que l’effort, désormais, allait porté sur l’amélioration de la qualité et de la productivité. Depuis le 1er juillet 1987, la Côte d’Ivoire refusait de vendre son cacao et avait mis en œuvre une politique de stockage systématique de sa production. « Plus une tonne pour ce marché international maudit, dominé par la spéculation qui nous pille », avait affirmé le chef de l’Etat ivoirien, lointain écho du cri qu’il avait lancé, en 1952, depuis Abengourou : « On nous a trop volés ».

Fadiga, qui connaissait mieux que quiconque le dossier cacao - je rappelle qu’il avait été le patron de la « Caisse » pendant de longues années - fera la liaison entre Abidjan et Paris. Le jeudi 6 octobre 1988, quelques jours avant son décès, la Côte d’Ivoire annoncera le maintien du prix du cacao garanti aux planteurs : 400 francs CFA le kilo. Le FMI et la Banque mondiale, bien sûr, préconisaient une baisse du prix d’achat aux producteurs d’environ 100 francs CFA par kilo. C’était la condition sine qua non à l’octroi d’un plan de soutien. Houphouët va engager un bras de fer avec les instances financières internationales.

Mais en garantissant aux planteurs un prix du cacao nettement au-dessus du prix du marché, le « Vieux » mettait les finances de la Côte d’Ivoire dans une passe difficile . La Caistab, qui devait alors payer la différence entre le prix payé aux planteurs et le prix de vente réel sur le marché, n’était pas loin d’être étranglée. Son trou financier était estimé à 400 milliards de francs CFA pour l’exercice 1988. Et la Côte d’Ivoire avait besoin de 500 milliards de francs CFA pour financer la campagne à venir. Du même coup, la pression financière sur la BCEAO sera à l’extrême limite de la rupture.

Jacques Pelletier, ministre français de la Coopération, ne manquera pas d’affirmer : « Le cacao ivoirien nous empêche de dormir » ! En fait, c’était toute l’Afrique de l’Ouest et les spéculateurs mondiaux (Serge Varsano, PDG de Sucden, « conseillé » par Jean-Christophe Mitterrand, n’était plus très loin de mettre la main sur les stocks de cacao ivoirien : 400.000 tonnes, de quoi contrôler le marché et la production du numéro un mondial) qui avaient perdu le sommeil.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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