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Après avoir prôné la « révolution » partout en Afrique, le colonel Mouammar Kadhafi y parvient aujourd’hui. Y compris chez lui, en Libye !

Publié le mercredi 23 février 2011 à 01h28min

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J’ai toujours dit de Kadhafi qu’il était à la diplomatie africaine ce que la comédienne Alice Sapritch a été au théâtre français : obligé de sur-jouer et d’en rajouter dans l’outrance verbale et dans l’accoutrement pour faire oublier les insuffisances du scénario.

Kadhafi n’a jamais été un homme puissant ; il a toujours été un homme nuisible. Guy Georgy, ambassadeur de France à Tripoli (1969-1975), a dit de lui ce qu’il fallait dire : « Il veut rassembler tout ce qui vit sous une tente, tout ce qui est nomade. Malheureusement, il n’est pas monté sur le cheval du Khalife. Il n’a qu’un tout petit âne. Et ce n’est pas parce qu’il passe ses sabots à la peinture dorée que cela va changer grand chose ». Ce qui se passe actuellement en Libye est probant : Khadafi n’est même plus un « tigre de papier ». Y compris pour son peuple et son armée.

Kadhafi avait vingt-sept ans quand il a pris le pouvoir, le 1er septembre 1969. Dans ces années-là, il a sans doute fait rêver quelques étudiants « révolutionnaires » africains. Il y a longtemps qu’il ne fait plus rêver personne ; sauf Calixte Beyala depuis qu’elle s’est lassée de Michel Drucker (« Kadhafi est un des symboles forts de l’Afrique. Il en est ainsi, et pour moi qui ai visité à maintes reprises la Libye, je n’y ai point vu de peuple opprimé tel que décrit dans la presse » - Le Figaro du mercredi 12 décembre 2007).

C’est que la « Révolution » libyenne n’a jamais convaincu personne, à commencer par les Libyens. Et s’il n’y avait pas eu le pétrole et ses ressources incommensurables pour un pays sous-peuplé - moins de deux millions d’habitants au moment de la « Révolution » - (et sous-développé - ce qui ne signifie pas sous-équipé - quoi qu’en pense Calixte Beyala), personne n’aurait laissé Kadhafi dégoiser aussi longtemps qu’il l’a fait. Félix Houphouët-Boigny disait qu’il était « un jeune homme sans cervelle et redoutable, qui se mêle des affaires des autres ». Georges Pompidou le qualifiait de « mauvais bougre insupportable ». Jacques Foccart disait simplement : « Il arrose les uns et les autres ». Alexandre de Marenches, patron des services secrets français, sous Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, pensait, lui, « que c’était un homme dangereux pour l’Occident ».

C’est Marenches, d’ailleurs, qui va faire d’un épouvantail à moineaux un homme à abattre, lui donnant dès lors une stature d’ennemi public international numéro un. Ironie de l’Histoire, Marenches organisera avec l’Egyptien Hosni Moubarak, qui avait alors la haute main sur le « renseignement », des actions de commandos contre les Libyens. Ce sera le « Safari Club », dont le siège sera au Caire et qui regroupera, hormis les Egyptiens, les Saoudiens, les Iraniens (au temps du shah) et les Marocains. Objectif : « organiser la guerre psychologique et la guérilla » contre le « guide » de la « Révolution » libyenne. Giscard ne sera pas en reste : début 1981, il donnera son feu vert à une opération de liquidation de Kadhafi à laquelle devaient participer les Etats-Unis (Ronald Reagan est alors à la Maison-Blanche). A ces tentatives de déstabilisation, Kadhafi répliquera simplement par la mainmise sur le Tchad et ses responsables politiques. Un imbroglio dans lequel les socialistes français (François Mitterrand arrivera à l’Elysée alors que culminent les projets de déstabilisation de Kadhafi) auront bien du mal à s’y retrouver.

Kadhafi n’était pas encore mégalomane que les services secrets français étaient déjà paranoïaques. Avec le concours des Américains, ils vont faire de Kadhafi, dans les années 1980, « l’homme le plus dangereux du monde ». Mitterrand et Roland Dumas (qui n’était pas encore membre du gouvernement mais que l’on accusera « d’avoir à Tripoli pris des habitudes ») vont s’efforcer de « normaliser » la relation franco-libyenne et de calmer les ardeurs du « guide » à grands coups de contrats… d’armement. Kadhafi, ravi de tant de considération, se prendra effectivement pour « un opposant à l’échelle mondiale », « grand contestataire physique et mental de la société des nations nanties ». Mitterrand dira drôlement alors que les chefs d’Etat africains (Houphouët-Boigny, Omar Bongo et Mobutu Sese Seko sont les plus virulents dans leur opposition à Kadhafi) voyaient « la main de Kadhafi derrière la moindre grève d’instituteurs dans leurs provinces ». Mitterrand, qui savait sa capacité de nuisance, n’hésitera pas à se rendre en Crète pour y rencontrer le fougueux « guide » de la « Révolution » libyenne qui entendait, à l’extérieur de son pays, montrer que « ça marche » alors qu’à l’intérieur les tensions ont toujours été fortes et que la lassitude de la population était plus forte encore.

On a toujours une vision monolithique du régime en place à Tripoli du fait de son expansionnisme « africain ». C’est oublier les manifestations étudiantes en avril 1984, la tentative de coup d’Etat du Front national de sauvegarde de la Libye en mai 1984, la liquidation de quelques personnalités majeures qui avaient tendance à retourner leur veste, etc. C’est oublier, aussi, que les Libyens ne parviennent jamais à conquérir que des déserts.

Kadhafi a compris que la meilleure façon pour lui d’être tranquille à Tripoli était de se montrer vindicatif ailleurs et de jouer la carte du rassemblement « nationaliste » de la population en la mobilisant contre les « impérialistes ». Cela tombait bien, d’ailleurs, dans les années 1980. Reagan aimait à jouer ce rôle du méchant « impérialiste ». Le drame a été que Kadhafi a pris au sérieux sa mission « destructrice ». Et que par les actions les plus lâches pour un « Etat » (serait-il même qu’un moignon d’Etat) : « affaire de Lockerbie », « affaire du DC 10 d’UTA »…, il va réussir au-delà de ses ambitions. Ayant démontré jusqu’où il pouvait aller contre les « impérialistes » et déçu par les Arabes, pas assez « révolutionnaires » à son goût (il doit être content aujourd’hui), il va sillonner l’Afrique noire avec des valises de billets dans le coffre de sa Cadillac blindée.

Les chefs d’Etat africains avec lesquels j’évoquerai cette « proximité » entre eux et le « guide » me feront tous la même réponse : sa capacité de nuisance est considérable compte tenu de ses ressources financières ; alors, nous ne sommes pas dupes de son engagement en faveur de l’Afrique noire : nous prenons son argent, nous écoutons ses élucubrations et nous expliquons aux « occidentaux » que nous faisons tout ce que nous pouvons pour freiner ses ardeurs révolutionnaires. Tout le monde est content.

Par ailleurs, il est vrai que personne ne se soucie des Libyens (plus de 6 millions aujourd’hui, ce qui en fait - après la Namibie et à égalité avec la Mauritanie - un des pays africains ayant la plus faible densité de population : 3 hab./km² contre 10 au Mali, 11 au Niger, 14 en Algérie, 15 au Soudan) dont on ne sait rien, ou pas grand-chose, et dont partout ailleurs on idéalise le mode de vie qu’on identifie à celui des Koweïtiens. Et ce n’est qu’épisodiquement que l’on évoque la situation faite, en Libye, aux « immigrés » d’Afrique sub-saharienne traités comme moins que des chiens.

La Libye est cependant - au-delà de son « guide » - un pays fascinant et les cadres libyens, souvent, valent mieux que le régime qu’ils servent. Il est vrai qu’il faut les nerfs solides pour supporter à longueur de journée (la Libye est un des pays les plus totalitaires en matière de propagande) les élucubrations de Kadhafi (je conseille à tous ceux qui pensent que l’homme a une réelle stature « internationale » de lire son « Livre vert » sur les « fondements sociaux de la troisième théorie universelle »). On constate d’ailleurs, aujourd’hui, que c’est son armée et ses cadres qui, les premiers, font défection. Que ceux qui pensent (encore) que Kadhafi est « le grand leader panafricain du XXIème siècle » me disent combien cela leur a rapporté !

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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