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Editorial de Sidwaya : La famille burkinabè à hue et à dia

Publié le lundi 21 février 2011 à 23h39min

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La sociologie classique, celle de Auguste Comte en tête, a « fondé » la société, en tant que notion sociologique, sur le socle de la famille. Celle-ci est conçue comme l’unité minimale à partir de laquelle seulement, celle-là est pensable comme réalité intelligible et repérable. Certaines expériences vécues au Burkina Faso, conduisent à voir, en cette règle des sociologues, une chose pratique très importante. Quand la famille va, la société va et l’Etat aussi, sans doute ; et quand elle prend l’eau de toutes parts, la société est en péril et l’Etat moderne est menacée dans son existence.

Les nombreuses fêtes de ce tournant de l’année donnent à réfléchir sur la famille burkinabè. Comment se définit et se porte le cadre de la famille burkinabè aujourd’hui ? Comment évolue-t-elle ? Quelles urgences pour les éducateurs, les gardiens du temple et les veilleurs de notre société ? Le cadre de la famille burkinabè, constatent les nombreux observateurs (la famille voltaïque en danger de Me Titinga F. Pacéré date déjà de plus de 30 ans), s’est rétréci comme une peau de chagrin. Entre la grande famille africaine et la famille nucléaire à l’européenne, la famille burkinabè se cherche dans une zone aride et hybride.

Il se développe un malaise dont la raison principale est entre autres, le fait que les devoirs du parent et les pouvoirs du travailleur ne se recoupent plus. Ce qui faisait la fierté et l’assurance de la famille nombreuse africaine, c’était le grenier et/ou le troupeau, entendu comme source de provisions et comme caisse de sécurité. Il est évident que des salaires de fonctionnaires et des comptes bancaires de commerçants ne peuvent plus jouer suffisamment le rôle du grenier et/ou du troupeau, au profit de la grande famille incluant oncles, tantes, cousins et cousines, neveux et nièces.

D’où des ruptures, des éclats de voix et de sévères condamnations à l’encontre de « nos enfants vivant en ville, touchant des salaires et qui se comportent comme des Blancs. » En réalité, il s’est produit, par la force des choses, une fracture du cadre familial tel que connu par nos pères et mères et toujours rêvé par certains traditionnalistes. Au vu de la déliquescence de certaines familles occidentales, on peut être tenté de comprendre cette volonté de demeurer fidèle à nos traditions. Tout en se rétrécissant, la famille burkinabè évolue. Cette évolution ne suit pas une ligne droite, elle connaît des hauts et des bas. Les « déchets » de cette évolution ne sont plus totalement absorbés comme dans la famille traditionnelle, ils sont le plus souvent refusés et rejetés.

L’ouverture aux autres cultures est inéluctable. Cependant, ceci ne saurait-être synonyme d’abandon total, au profit de la culture de l’autre. Ainsi, filles-mères et garçons-pères, drogués, délinquants toutes raisons et origines confondues,… sont obligés d’inventer leurs familles, et de compléter leur propre éducation par l’enseignement de la rue ou de l’isolement. Ces familles sans caution familiale, sans tradition ni interdits, bref, sans repère, sont de plus en plus nombreuses. Elles sont en train d’égaler, en nombre, les familles bien rangées, capables de joindre les deux bouts.

Ces familles dites rangées, « réussies », ont aussi leurs problèmes à elles : le temps manque pour rester à côté des enfants, pour suivre de près leur progrès scolaire et moral. Or, éduquer, c’est être présent. Finalement, beaucoup d’enfants donnés pour nantis vont rejoindre les nécessiteux dans la rue, puisque le mouvement inverse n’est pas possible. Dans ces conditions, quel sera l’esprit de la société burkinabè dans un proche avenir ? Il y a sans doute, des urgences pour la sauvegarde de la famille burkinabè, socle de notre société. Selon notre manière de voir, d’abord : l’Etat pourrait être comme le bailleur de l’éducation, et les associations animées par la société civile, les acteurs directs de cette éducation. L’école, même la mieux réussie, est assez impersonnelle pour résoudre les très sérieux problèmes affectifs, matériels, intellectuels qui sont vraiment précis et propres à chaque groupe social. Il y a absolue nécessité de savoir « lier le bois au bois ».

Ensuite, la rue est un centre puissant de formation de nos enfants, quelle que soit leur origine. Les magasins éduquent. Les yaars forment. Les passants instruisent. La faim est une conseillère avisée. Les sources de violences d’une ville de deux millions d’habitants ont des répercussions très profondes dans l’imaginaire d’un adolescent.

Pour toutes ces raisons, les éducateurs ne doivent plus regarder la rue en ennemi, mais comme leur partenaire en éducation. La prise en compte concrète de ce propos dépendra surtout des associations éducatives et des parents. Comment peut-on soustraire nos enfants des activités communautaires liées à la rue, alors qu’une bonne partie de leur existence, de leur apprentissage s’effectuera au contact de la rue ? Ce sera les isoler d’un cadre qu’ils auront à côtoyer tôt ou tard, sans cependant y être préparés. Le danger sera encore plus grand. Enfin, difficile de terminer un propos sur la famille et l’éducation sans dire un peu plus sur l’école. L’expression « école burkinabè » devrait de plus en plus être pertinente, c’est-à-dire une école qui forme l’homme et la femme burkinabè aux sciences, mais aussi au travail et à la discipline.

Le côté discipline de l’éducation burkinabè est laissé en rade, la mondialisation et ses états-majors ayant fini de nous convaincre, sur ce terrain, qu’il vaut mieux vivre dans le contexte d’une liberté immense et caduque, que d’évoluer dans le cadre d’une liberté limitée et productrice de biens matériels et moraux. Ne faut-il pas revoir très concrètement, pour nous-mêmes, cette notion de la liberté ? L’avenir que nous souhaitons pour notre pays dépend de la qualité de l’éducation que nous donnons à nos enfants. Cela passe par une famille burkinabè plus solide et cadre idéal de constitution d’une personnalité solide chez les enfants qui seront dans des prédispositions favorables pour assumer leurs responsabilités de citoyens

Par Ibrahiman SAKANDE (sakandeibrahiman@yahoo.fr)

Sidwaya

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