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En bâillonnant le Quai d’Orsay et en substituant les relations personnelles aux relations internationales, l’Elysée a fini par discréditer la diplomatie française

Publié le lundi 21 février 2011 à 23h39min

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Cela avait été la révolution dans la « Révolution ». Considérant que notre ambassadeur de France à Tunis, Pierre Ménat, 61 ans, n’avait rien vu venir de la contestation du régime de Ben Ali par la population, l’Elysée avait réagi très vite. Ménat était « viré » de son poste et nommé ambassadeur à La Haye et son successeur, Boris Boillon, 41 ans, était rapidement expédié de Bagdad à Tunis.

Moins d’une douzaine de jours après la fuite de Ben Ali ! On allait voir ce qu’on allait voir : le « petit Arabe » (surnom dont l’a affublé Nicolas Sarkozy), ancien conseiller diplomatique de Sarkozy au ministère de l’Intérieur, son conseiller technique pour le Proche et le Moyen-Orient à l’Elysée, allait montrer à tous, et surtout aux « vieilles peaux » du Quai d’Orsay que la « valeur n’attend point le nombre des années » et qu’on peut ne pas avoir fait l’ENA et, pourtant, arborer un Rolex au poignet avant la cinquantaine.

Enfance algérienne, fils de professeur français « pieds-rouges » (les Français d’Algérie pro-FLN), Sciences Po, Langue O’ (il est arabophone), entré aux Affaires étrangères par la voie du concours, Boillon avait tout pour déplaire au Quai d’Orsay, où on n’avait jamais vu un ambassadeur aussi jeune (il n’avait pas 40 ans quand il a décroché l’ambassade de France à Bagdad), et tout pour séduire Sarkozy : jeunesse, enthousiasme, culot, et ce qu’il faut « d’énergie enjôleuse » (Sabine Syfuss-Arnaud dans le magazine économique Challenges du 2 septembre 2010) pour arriver, là où il se trouve, à ses fins. « Je suis le seul diplomate à accorder des interviews-fleuves en arabe aux chaînes irakiennes », se vantait-il auprès de Syfuss-Arnaud quand il était encore en poste à Bagdad.

Il aurait dû apprendre à se taire ou, pour le moins, méditer la parole d’un expert en matière de diplomatie, qui était aussi un expert en « mots », Talleyrand : « Il y a pour chaque âge une mesure d’ambition que la nature nous enseigne à ne pas dépasser ». Boillon, ayant voulu aller trop vite, trop loin, a dépassé la limite au-delà de laquelle son billet n’était plus valable.

Nommé en conseil des ministres le 26 janvier 2011, quelques semaines plus tard, il est obligé de s’excuser publiquement et de se dire « désolé » de propos tenus lors d’un déjeuner organisé avec la presse tunisienne le jeudi 17 février 2011. Ayant affirmé que « la France est mal placée pour donner des leçons dans le domaine de l’Etat de droit et dans le domaine de la démocratie », notre ambassadeur avait été invité par une journaliste tunisienne à préciser ses propos qui, effectivement, ne manquaient pas d’ambiguïté. Il avait sans doute pris conscience, entre temps, que sa phrase pouvait être mal interprétée et allait s’emporter. « N’essayez pas de me coincer avec des trucs à la con […] N’essayez pas de me faire tomber sur des trucs débiles […] Franchement, vous croyez que j’ai ce niveau-là, vous croyez que je suis dans la petite phrase débile ? ». Hop, offusqué, Son Excellence Monsieur l’ambassadeur de France a Tunis a plié bagage, plantant-là ses interviewers médusés. Les journalistes n’ont pas apprécié. Ben Ali est tombé, ce n’est pas le « petit Sarko » (pseudo dont ils ont affublé le « petit Arabe ») qui allait jouer au « grand vizir ». Incident diffusé en boucle sur le net, manifestation devant l’ambassade de France (« Boillon dégage » et autres joyeusetés) et info en « une » des médias français.

On ne s’étonnera pas de ce dérapage fort peu diplomatique. Depuis l’accession de Sarkozy à la présidence de la République, notre diplomatie est plombée. Il y a eu la calamiteuse gestion du Quai d’Orsay par Bernard Kouchner ; et Rama Yade, ex-secrétaire d’Etat aux Droits de l’homme - désormais ambassadeur à l’Unesco - peut se gausser de son ex-patron au lendemain des « révolutions arabes » (Le Monde daté du 17 février 2011), rappelant son : « J’ai eu tort de demander un secrétariat d’Etat aux Droits de l’homme. C’est une erreur. Car il y a contradiction permanente entre les droits de l’homme et la politique étrangère d’un Etat ».

Ajoutons au « dossier Kouchner » le « dossier Ockrent », sa compagne, Christine Ockrent, alimentant la chronique des scandales médiatiques (sursalaires, espionnage du personnel, guerre des chefs, etc.) depuis qu’elle est en charge de l’audiovisuel extérieur français. Mais au-delà du couple Kouchner-Ockrent (qui illustre la « confusion des genres » : politique & business avec ce qu’il faut de goût pour la sur-médiatisation), il y a le mode de production diplomatique de Sarkozy : les « Dupont-Dupond » de la diplomatie élyséenne : Claude Guéant et Jean-David Levitte, et les « Dupont-Dupond » de la diplomatie parallèle : Robert « Bob » Bourgi et Patrick Balkany, le missi dominici tous azimuts (Chine, pays du Golfe, Algérie, francophonie…) qu’est devenu l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin, mais aussi « l’affaire Arche de Zoé » au Tchad, « l’affaire Ingrid Betancourt » en Colombie, « l’affaire Clotilde Reiss » en Iran, « l’affaire Florence Cassez » au Mexique (à noter que personne ne commente le fait que c’est le beau-frère d’Ingrid Betancourt, Daniel Parfait, notre ambassadeur à… Mexico).

De notre diplomatie, il ne reste plus « qu’une forme de cynisme soft » tandis que le Quai d’Orsay est un « ministère sonné et évidé », écrivaient Eric Chol et Robert Jules dans Les Echos (8 février 2011). « L’affaire Alliot-Marie » illustre d’autant mieux cette situation que notre ministre des Affaires étrangères et Européennes, Michèle Alliot-Marie, n’a toujours pas compris ce que les médias, l’opposition et l’opinion publique (qui souhaite sa démission) lui reprochaient. C’est simple : « confusion des genres » ; politique & business. Mais il est vrai que Sarkozy en a fait l’image de son premier mandat (escapades sur le yacht ou avec le jet de Vincent Bolloré) et que ses prédécesseurs, Jacques Chirac, François Mitterrand, Valéry Giscard d’Estaing, Georges Pompidou, moins « bling-bling » certes, étaient eux aussi des amateurs de cette « confusion des genres ». Qui n’est pas le monopole de la droite française ; on se souvient de « l’affaire Elf » et de quelques autres dès lors que les « socialistes » ont découvert que le service de l’Etat, lorsqu’il passait par les grandes entreprises et les marchés publics, pouvait servir aussi à autre chose.

Qui se souvient qu’au soir de sa victoire à la présidentielle, le dimanche 6 mai 2007, Sarkozy avait lancé un appel « à tous les peuples de la Méditerranée pour leur dire que c’est en Méditerranée que tout va se jouer ». Un homme avait entendu le message : Jean-Louis Guigou. Il avait un modeste think tank, l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (IPEMed). Il militait en faveur de la « proximité et de la complémentarité » entre les pays méditerranéens et l’Europe. Il va être le père de l’Union pour la Méditerranée (UPM), une idée sur laquelle Sarkozy sa surfer pour différencier sa diplomatie.
Autour de l’IPEMed, Guigou va rassembler un certain nombre de personnalités politiques méditerranéennes, sud-européennes et nord-africaines. Des hommes de gauche (Guigou est « rocardien »), de droite (dont Alain Juppé, actuel ministre d’Etat, ministre de la Défense) et… d’affaires : dont le fameux Aziz Miled, partenaire en business tunisien des parents de Alliot-Marie. Sauf que l’épouse de Guigou, vice-présidente de l’IPEMed est Elisabeth Guigou, personnalité politique majeure du PS, ancienne ministre, ex-vice-présidente de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Qui vient de démissionner de ses fonctions au sein de l’IPEMed quelques jours après avoir dénoncé, dans le comportement de Alliot-Marie, la « confusion des genres ». Cette « confusion des genres » qui a mis à terre Ben Ali à Tunis, Moubarak au Caire. En attendant les autres…

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 21 février 2011 à 23:18, par simple En réponse à : En bâillonnant le Quai d’Orsay et en substituant les relations personnelles aux relations internationales, l’Elysée a fini par discréditer la diplomatie française

    Mr bejot je trouve votre analyse trop modeste.

    Pourquoi vous n’avez pas mis en exergue le côté versatile de la diplomatie française ?
    Les crimes que cette diplomatie a à son compte sur le contient africain avec la complicité des politiciens très affairistes africains sont incroyables.
    elle est source de désordre en Afrique francophone.

    Il y a comme vous l’avez signifier confusion, une pagaille totale qui dit pas son nom dans le comportement des fameux grands donneurs de leçons de démocratie.
    En Rappel : le discours de Dakar de Nicolas Sarkosy,L’intervention de devilepin au début de la crise ivoirienne, le comportement de l’ambassadeur français avant le génocide rwandais, le comportement ambigu d’Alliot Marie ministre des affaires étrangères en Tunisie et celui du 1er ministre français en Égypte etc..................
    EN UN MOT, ÇA FAIT PITIÉ quand nos chefs d’États se laissent manipuler.
    L’arrogance avec laquelle l’Élysée traite ou intervient dans la plupart des dossiers africains est très frustrant.
    Le désordre qui existe entre l’Élysée et le Quai d’Orsay donne également de l’arrogance à certains chefs d’États africains qui confondent également leur relation personnelle avec les intérêts de leur pays, leur peuple.

    les autorités et diplomates français doivent comprendre désormais que les signaux sont là pour une Afrique nouvelle.

    • Le 22 février 2011 à 15:59 En réponse à : En bâillonnant le Quai d’Orsay et en substituant les relations personnelles aux relations internationales, l’Elysée a fini par discréditer la diplomatie française

      Vous avez dit : Diplomatie française ? Mélange des genres ? Confusion idéologique, de classes ? Arrogance à tous les étages ? Enarchie débilitée ? Racisme, islamophobie et xénophobie institutionnelle d’Etat contre les migrants africains ? Affairisme et politique criminelle en Afrique, au Moyen-Orient ? Voilà l’état actuel de la classe et des élites politiques en France. D’ailleurs tout l’Occident capitaliste prédateur en est là. Et c’est ce que Mr Bejot, dans ses papiers précédents, considère hypocritement et par manque d’analyse courageuse, comme du laxisme.
      Il est urgent que les Africains, les peuples d’Afrique ouvrent les yeux sur ces réalités qui traduisent l’état de décomposition avancée des élites politiques en Occident. Elles forment désormais des oligarchies sans principes ni valeurs morales crédibles. Les crises armées et de prédation éhontées qu’elles organisent chez nous en Afrique, aux motifs de défendre la démocratie, ne sont qu’hypocrisie et mensonges destinés à justifier des processus de recolonisation. Dans les faits, elles soutiennent les dirigeants africains les plus tyranniques et les plus corrompus. Discréditées et détestées en Occident même, elles ne visent en Afrique que la prospérité de leurs affaires sur le dos de nos peuples. Et tous ceux qui font leur jeux par intérêts calculés, leur concède que "l’Afrique n’est pas encore rentrée dans l’Histoire". Et tous les jours qui passent appelle l’Afrique consciente à démentir cette ineptie du mépris occidental.

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