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Forum social mondial « Dakar 2011 » : Les « altermondialistes » se retrouvent une fois encore « le cul entre deux chaises » ! (2/2)

Publié le vendredi 18 février 2011 à 13h36min

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C’est une démarche marketing. Qui fonctionne bien et ne peut que rassembler les jeunes et ceux qui pensent (ou voudraient) l’être encore. Un genre de « jamboree » que n’aurait pas renié Rudyard Kipling. Il faudra un jour qu’un « altermondialiste » écrive une nouvelle version des Livres de la jungle.

C’est que les « alters » me font penser à ce parfait impérialiste qu’était Kipling qui pensait que « ceux qui étaient blancs et parlaient anglais étaient les plus aptes à exercer le pouvoir » mais décrit dans ses livres « un monde gouverné par des lois sages et puissantes qui sont pratiques et indiscutables et auxquelles tous obéissent ».

L’auteur dont je tire ces citations est l’écrivain argentin Alberto Manguel, biographe de Kipling, qui écrivait par ailleurs : « Il est étrange de constater à quel point un écrivain intelligent peut avoir des idées fausses quand il s’agit de la vie réelle, et se montrer sage dans ses œuvres de fiction ».

« L’altermondialisme », c’est cela : la sagesse prônée pour les autres ; la fausseté pratiquée chez soi. Une démarche qui ne manque pas de séduire (« Un autre monde est possible ») mais qui oublie de construire. Une démarche « alternative » quand, justement, le système dans lequel nous vivons nous conduit inexorablement au chaos politique et au K.O. social. Je vois en fait beaucoup de similitudes entre ce mouvement et ce que furent les événements de mai 1968 (et surtout la vie politique française dans les années 1970) : contestation et happening quasi permanents, refus de l’organisation, etc.

Ce mouvement a été porteur de beaucoup d’illusions qui ont, finalement, retardé la transformation de la société française avant de la figer, pendant deux septennats, dans le « mitterrandisme ». Il en est résulté les nationalisations puis les privatisations qui ont conduit à la cession du patrimoine industriel français à des intérêts particuliers qui n’étaient pas des « entrepreneurs » au sens capitaliste du terme, à la multinationalisation de notre économie… tandis que, au plan politique, les « cohabitations » ont ouvert la porte à toutes les compromissions politiques. Aujourd’hui les électeurs socialistes français pourraient n’avoir le choix qu’entre Martine Aubry, ex-directeur général adjoint du groupe Pechiney (aujourd’hui gommé du paysage industriel français depuis son rachat par Alcan en 2003 puis du rachat de Alcan par Rio Tinto en 2006, groupe dans lequel les Chinois de Chinalco se sont introduits en 2009), et Dominique Strauss-Kahn, patron du FMI ! C’est dire que la balade dakaroise de la première secrétaire du PS en compagnie de son staff « international », vantant « l’altermondialisme » relèverait pour moi de l’arnaque si ce n’était tout le mouvement « alter » qui est dans cette démarche. On peut bien me rétorquer que les Forums sociaux mondiaux (FSM) sont nés au Brésil et que le Brésil est un modèle d’émergence.

C’est vrai : mais c’est un modèle d’émergence strictement « capitaliste » et Luiz Ignacio Lula da Silva est arrivé au pouvoir grâce au travail militant du Parti des travailleurs (PT), pas des « alters ». J’ajoute, quelle que soit la sympathie que j’éprouve pour l’évolution du Brésil, qu’il ne me semble pas (et c’est un euphémisme) que la succession organisée de Dilma Rousseff relève de la démocratie électorale mais bien plutôt du marketing politique (cf. LDD Brésil 008/Mercredi 8 septembre 2010).

Il faut être un « occidental » pour penser que les discours des responsables politiques français sur l’esclavage, la colonisation, la décolonisation… répondent aux aspirations de la jeunesse africaine où qu’elle se trouve. Une jeunesse qui ne partage pas, sans doute, la dénonciation d’une « société du tout-avoir et non du mieux-être » (discours de Martine Aubry lors du Dakar 2011) quand elle n’a rien, mais vraiment rien, pas même la possibilité « d’être » tout simplement. Fallait-il mobiliser des milliers de personnes dans la capitale sénégalaise pour, au final, pondre une « déclaration de l’assemblée des mouvements sociaux » (10 février 2011), appelant « au soutien au peuple ivoirien dans sa lutte pour une démocratie souveraine et participative » (ah bon, le « peuple ivoirien » est en « lutte » ? Contre qui ? La France et la « communauté internationale » ?) sans que l’on sache ce que cette formulation passe-partout recouvre, instituant le 20 mars comme « jour international de solidarité avec le soulèvement du peuple arabe et africain » et le 12 octobre comme « journée d’action globale contre le capitalisme ».

L’appel final vaut son pesant d’or : « Mouvements sociaux du monde entier, avançons vers une unité globale pour défaire le système capitaliste. Nous vaincrons ! ». Je préférais le « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! » (Manifeste du Parti communiste de Karl Marx et Friedrich Engels) et je subodore que « l’altermondialisme » n’aura guère plus de succès que les « Internationales » dont la 1ère a été fondée par Marx et Engels et dont la 4ème est toujours en « reconstruction ». Cependant, il était plus problématique d’être « communiste » au mitan du XIXème siècle que « alter » au début du XXIème ; tandis que le marxisme se fonde sur une analyse objective de la société quand les « alters » ont choisi le subjectivisme.

Il faut reconnaître que les socialistes français ne sont pas les seuls à être à côté de la plaque quand ils s’adonnent à « l’altermondialisme ». Ousmane Tanor Dieng, le premier secrétaire du PS sénégalais, n’est pas plus cohérent. Au Dakar 2011, il a appelé à « poser un nouveau jalon […] pour un nouveau monde basé sur l’égalité, la justice, la solidarité ». Et ce nouveau jalon, c’est à Dakar qu’il faut le poser nous dira-t-il, « parce qu’aujourd’hui les marges de croissance nécessaire pour l’investissement mondial, un investissement productif, c’est en Afrique qu’on peut les trouver parce qu’ici en Afrique tout est à construire. De ce point de vue, nous avons des potentialités et des ressources ». Je ne ferai pas l’injure de rappeler à Tanor Dieng que son parti a été au pouvoir de 1960 à 2000 et que si « tout est à construire », c’est qu’il n’a pas construit grand-chose ; et qu’il ne me semble pas évident que les « alters » aient une vision économique aussi libérale que la sienne permettant d’affirmer que « les marges de croissance nécessaire pour l’investissement mondial » se trouvent en Afrique.

Dakar 2011 m’ancre dans la conviction qu’il y a un « altermondialisme » du Nord et un « altermondialisme » du Sud. Et que si les deux veulent se rencontrer avant de fusionner, il faut que le Nord cesse de penser que ce qui est bon pour lui (y compris en tant que « alter ») est bon aussi pour le Sud. Etudier pour chômer, chômer pour émigrer, émigrer pour faire vivre la famille, tel est en Afrique le credo de la jeunesse urbaine. Si « un autre monde est possible » sous les tropiques, ce serait un monde où, d’abord, la parole « occidentale » ne l’emporterait pas sur la parole africaine, un monde où le clientélisme, la prévarication et la corruption seraient bannis, un monde où l’économie serait en croissance et où la croissance permettrait la création d’emplois qualifiés, un monde où la compétence l’emporterait sur la connivence.

La problématique majeure de « l’altermondialisation » c’est qu’il est un mouvement qui se définit « contre ». Essentiellement « contre le capitalisme » (c’est ce que réaffirme la déclaration finale de Dakar 2011). Mais on ne sait toujours pas ce qu’il propose. Nul ne doute que le mode actuel de production est obsolète et nous conduit droit dans le mur, mais il reste à inventer les formes d’organisation et de mobilisation qui permettront aux nouvelles générations d’empêcher le pire. Même s’il faut faire l’impasse sur ce qu’on présente comme le meilleur. L’Afrique est-elle capable, plus que « l’occident » de relever ce défi ? La question est posée.

Fin
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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