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Forum social mondial « Dakar 2011 » : Les « altermondialistes » se retrouvent une fois encore « le cul entre deux chaises » ! (1/2)

Publié le vendredi 18 février 2011 à 01h36min

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Ce devait être un événement majeur pour les « altermondialistes ». L’organisation à Dakar, en terre africaine, de la 11ème édition du Forum social mondial (FSM). Ce devait être l’expression de la capacité de mobilisation des sociétés civiles autour d’un seul mot d’ordre : « Un autre monde est possible ».

L’Histoire en a décidé autrement dès lors que ce sont les événements de Tunis et du Caire qui ont fait la « une » tandis que les « alters », à Dakar, avaient du mal à faire entendre leur voix au niveau mondial. Ce n’est pas que ce ne fut pas un succès. Loin de là ; mais à l’instar de la « Fête de L’Humanité » en France, qui draine bien plus de monde qu’il n’y a d’électeurs communistes, les FSM sont devenus, ainsi que le soulignait le Camerounais Jean-Marc Bikoko, président de la centrale syndicale du secteur public au Cameroun, coordinateur de la plate-forme d’information et d’action sur la dette, « de simples tribunes de positionnement pour les hommes politiques, les opérateurs économiques et les leaders d’opinion d’une part, ainsi que des champs de batailles larvées où s’entrecroisent des intérêts divergents, d’autre part » (L’Humanité du samedi 12 février 2011). C’était « plus une foire internationale qu’un forum social », ajoutera-t-il.

Il y a quelques années, dans le sillage des FSM, avait été développé le concept de « Nouveaux mouvements sociaux » (NMS). La question posée était de savoir si, l’essentiel, est non pas de « partager une théorie élaborée par d’autres », mais de « partager une pratique ». Isabelle Sommier, dans un livre très intéressant (« Le Renouveau des mouvements contestataires à l’heure de la mondialisation » - cf. LDD Spécial Week-End 0122/Samedi 17-dimanche 18 avril 2004), a montré les limites de ce mouvement de contestation. Des limites posées par les acteurs eux-mêmes. Elle rappelait que les anglo-saxons évoquent à leur sujet un self-limiting radicalism et qu’en France on parle « d’idéalisme pragmatique ». Ces NMS sont internes au système néo-libéral ; ils s’y développent comme exutoire. Nous assistons en quelque sorte à une substitution de la revendication ; ceux qui manifestent en faveur des sans-emploi, des sans-logis, des mal-logés, des sans-papiers, des Zapatistes, des homosexuels, etc. ne sont pas les sans-emploi, les sans-logis, les mal-logés, les sans-papiers, les Zapatistes, les homosexuels, etc., c’est l’ensemble de la société civile qui fait sienne, à travers des associations qui mènent des « luttes transversales », la revendication des autres qui s’exprime, globalement, dans un mot d’ordre commun : anti-mondialisation.

Cette contestation globale de la société fait qu’il n’y a plus de lien entre l’outil de production et le mouvement de contestation. Il s’agit, selon moi, de renoncer à transformer le monde pour, seulement, le « changer ». Cette contradiction s’exprime pleinement dans les FSM. Et plus encore quand ceux-ci se déroulent dans ce que « l’occident » - y compris contestataire - considère encore comme un « tiers-monde ». On se déplace en masse pour dire aux autres qu’ils ne vivent pas la vie qu’ils devraient vivre, que le bonheur n’est pas dans la consommation. C’est pourquoi il y a, selon moi, un « altermondialisme » du Nord qui s’oppose à un « altermondialisme » du Sud (cf. LDD Sénégal 0140/Jeudi 16 décembre 2010).

Alors que l’on débattait à Dakar de ce que les uns (le Nord) proposaient aux autres (le Sud) de faire (« Il nous faut penser une transition vers l’après-capitalisme » - Geneviève Azam, coprésidente du comité scientifique de ATTAC), les Tunisiens et les Egyptiens occupaient la rue jusqu’à la chute des leaders en place ; non pas pour « changer le monde » mais pour plus de démocratie, plus d’emplois, plus de richesse partagée, plus de justice sociale, etc. Ces « nouveaux mouvements sociaux » ont cependant débouché, à Tunis comme au Caire, sur une accession au pouvoir non pas de la « société civile » mais de l’armée, seule force homogène organisée. Quoi qu’en pensent les « alters » rassemblés à Dakar, Tunis et Le Caire expriment la faillite historique de ce mouvement fourre-tout. Comme le soulignait « l’altermondialiste » indien P.K. Murphy : « Le FSM gagnerait à mettre davantage l’accent sur des alternatives ouvrant sur l’action », soulignant par ailleurs « un manque d’orientations claires ». C’est le moins que l’on puisse dire !

Les icônes des « alters » avaient fait le déplacement à Dakar : Morales, Chavez, Lula ; les présidents de Bolivie et du Venezuela et l’ex-président du Brésil. Pourtant, leurs bilans sont, au regard des principes « altermondialistes », particulièrement contrastés. Et il n’est pas certain que ceux que l’on glorifie dans les manifestations à Dakar, Bamako, Paris… soient tout autant glorifiés, chez eux, par ceux dont les « alters » se veulent les porte-voix. Martine Aubry, la première secrétaire de notre Parti socialiste, avait fait, elle aussi, le déplacement (les « Verts », les « communistes », la gauche radicale, la gauche révolutionnaire… étaient là eux aussi). Pour dire quoi ? Que « le marché intérieur de l’Afrique est un moteur particulièrement puissant », que « les Accords de partenariat économiques doivent être repensés et rééquilibrés pour tenir compte des capacités comme des fragilités africaines », que « les entreprises françaises et européennes doivent investir en Afrique » et qu’il faut « un soutien direct et indirect à l’investissement privé », qu’il faut cesser de promouvoir « une société du tout-avoir et non du mieux-être »…

Un discours en retrait par rapport aux revendications affichées des « alters » ; nous sommes loin de cet « autre monde » qu’ils revendiquent. Un discours qui a les accents de celui que tenait le philosophe français Emmanuel Mounier, « catholique de gauche », fondateur de la revue Esprit et promoteur de la doctrine du « personnalisme », qui, découvrant l’Afrique noire en… 1947, appelait à l’instauration d’une « civilisation eurafricaine ». Aubry, quant à elle, a appelé « à une nouvelle alliance de civilisation et de coopération entre l’Europe et l’Afrique qui devra s’affirmer dans le monde de demain ». Cette proximité entre Aubry et Mounier ne peut étonner : elle est la fille de Jacques Delors, ex-président de la Commission européenne, zélé propagandiste de Mounier (sans oublier que « La Martine », comme on l’appelait alors, a été directeur général adjoint, membre du Comex, le comité exécutif du groupe industriel français Pechiney, et à ce titre responsable de la fermeture de l’usine de Noguères et de la définition des relations du travail à l’usine de Dunkerque ; elle est revenue un temps dans le groupe en tant que consultante après avoir été ministre du Travail dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy).

J’ajoute que le candidat du PS à la présidentielle 2012 en France pourrait être Dominique Strauss-Kahn, dont les activités de consultant privé n’ont pas été moins denses que celles de Aubry et qui préside aujourd’hui aux destinées du FMI. C’est dire qu’il convient de savoir, quand même, où on se trouve sur l’échiquier politique et ne pas encenser les uns quand on copine avec les autres.

Le discours de Martine Aubry à Dakar est pour moi, tout à la fois, l’expression des contradictions qui minent « l’altermondialisme » (à tel point que chaque FSM pose la question : « Peut-il trouver son second souffle ? ») et de la suffisance d’une démarche ethnocentrique qui pense que ce qui a été bon jusqu’à présent pour le Nord ne saurait l’être pour le Sud alors que le Sud aspire, justement, à accéder à la « modernité » et à la « consommation » qui caractérisent, à tort ou à raison, le Nord. Et puis, il faut en finir avec les icônes qui n’en sont pas et les vieilles rengaines sur le « progressisme africain de Lumumba, Mandela ou encore Sankara ».

A suivre

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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