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FRANCE : Sarkozy réinvente l’éthique des vacances

Publié le vendredi 11 février 2011 à 01h09min

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Nicolas Sarkozy veut gérer désormais les vacances des membres de son gouvernement. Le chef de l’Etat français espère sans doute redorer le blason de la majorité présidentielle. Mais la mesure apporte aussi un baume rafraîchissant au plan de l’éthique politique dans de nombreux pays. On ne saurait excuser les membres du gouvernement français en faute. Sauf que Sarkozy avait lui-même ouvert le bal des intrigues en allant inaugurer son mandat présidentiel à l’ombre des grands noms de l’industrie française. Fillon et Alliot-Marie auront donc eu tort d’en avoir été bien inspirés.

Au moins auront-ils servi la cause en donnant la preuve de cette collusion d’intérêts entre les pouvoirs politiques et économiques français, et les élites qui gouvernent certains pays africains. A première vue, se pose la sempiternelle question de la jouissance libre de son droit à des vacances, en tant que travailleur, même membre d’un gouvernement.

Nonobstant les privilèges que les statuts peuvent conférer à une haute personnalité publique, et au-delà des relations entre membres du gouvernement, faut-il pousser les liens jusqu’à profiter des abus ? Là se situe l’intérêt du débat. Car, Ia confusion des rôles peut bien pousser l’Etat à vouloir s’immiscer dans les affaires privées des fonctionnaires.

En effet, à la faveur des crises tunisienne et égyptienne, preuve a été donnée de l’existence de comportements scandaleux de la part de dirigeants peu scrupuleux. Que dire par exemple de ces élus français qui n’ont aucune gêne à venir faire du tourisme et se livrer à la chasse au gibier, en profitant des privilèges que les gouvernements africains timorés leur accordent aux dépens du Trésor public ? L’Afrique reste encore, pour beaucoup de ces vacanciers, le berceau des explorateurs, des missionnaires et autres plaisanciers.

Ils n’ont d’intérêt que pour les bêtes à abattre pour des trophées, et les cavernes d’Ali Baba, pleines de trésors à n’en plus finir. Tant pis si à côté ou dans les zones traversées, des gens meurent de faim et de soif, manquent de soins et d’éducation. Mais, pourquoi se soucier de ces indigents éternels puisque leurs propres gouvernements sont incapables de compassion ? Ainsi, naissent de sombres complicités sous les arbres et dans les campements des Tropiques. On les peaufinera quelque temps après, aux abords de la Seine, de la Loire, du Rhône ou de la Garonne si ce n’est du Rhin.

La mesure prise par Sarkozy aura donc des effets sur les pays du Sud, les pays francophones d’Afrique surtout. Car nombre d’entre eux souffrent autant de l’incurie des gouvernants que de l’indifférence coupable et de la complicité manifeste des élites politiques et des opérateurs économiques de l’Hexagone. Dans certains de ces pays, la mesure pourrait aussi nuire au plan du tourisme. Surtout si la conduite à tenir n’est pas suffisamment claire. Reste d’ailleurs à savoir s’il y aura une liste de pays à fréquenter ?

Ce serait un crime de lèse-majesté que d’avancer que l’occupant de l’Elysée en fait à sa tête. Il nous faut toutefois relever que des mesures d’accompagnement font cruellement défaut. Celles qui doivent sevrer les dictateurs non éclairés de la jouissance paisible en Gaule de biens publics amoncelés durant de longs règnes. Car, c’est aussi là-bas et dans les Territoires d’Outre-mer (TOM) que des roitelets, naguère à pieds ou à mobylette, passent désormais leurs vacances, le plus souvent aux frais du contribuable. Dans ces palaces luxueux d’Europe et d’Amérique, bien des gouvernants d’Afrique se « bronzent », parfois en compagnie d’une cohorte d’accompagnants. Combien sont-ils à dilapider ainsi les ressources publiques ? Loin du regard de leurs compatriotes qui souffrent, et cela avec la complicité des puissances d’argent.

Après ses premières gaffes, Sarkozy veut se montrer plus respectueux envers le continent. Qu’il se préoccupe davantage de la bonne utilisation des aides que les citoyens d’autres pays envoient aux citoyens africains, pas aux dictateurs. Au chef de l’Etat français, aujourd’hui président du G20, de faire prendre des mesures énergiques afin de limiter l’accès de l’Europe et du monde aux dictateurs en quête de sites d’accueil. Dans cette perspective, les organisations de la société civile du Nord et du Sud devront bénéficier de plus de soutien et collaborer davantage pour que l’argent du contribuable cesse de s’évader. On en a tant besoin pour endiguer les fléaux, promouvoir la santé, l’éducation, financer des infrastructures, etc. Il faut tourner la page de cette coopération malsaine, source d’assujettissement et d’instabilité.

Certes, on peut être irrité par les excès de ceux qui veulent ensuite s’ériger en donneurs de leçons. Mais que faire vraiment face au syndicat de ces dirigeants aux pratiques malveillantes ? Alors que les peuples végètent dans un océan de souffrances, eux, paissent tranquillement aux frais du contribuable. Sarkozy pourra-t-il arrêter l’hémorragie financière ? Saura-t-il prendre des initiatives par exemple pour interdire l’accès à la France et à l’Europe des dictateurs et de ces délinquants à col blanc, notoirement connus ? Lui et ses amis sauront-ils résister à la loi des intérêts ? Le cas tunisien a montré que tant que tout va bien, on ferme les yeux. Sitôt la crise survenue, on devient subitement soucieux des problèmes du peuple.

Mais les Africains ne sont pas dupes ! Par sa décision, Sarkozy réhabilite l’éthique du voyage et des vacances. Mais il ne faut point tergiverser avec les dictateurs. En temps de paix comme en temps de crise ! Pactiser avec eux contribuera à renforcer le système et la répression. Il est temps d’arrêter cette collaboration. Au-delà des rapports franco-africains, l’Elysée doit donc réexaminer ses rapports avec le monde et songer à réhabiliter la France des droits de l’Homme et de la démocratie. La mesure prise par Sarkozy a le mérite de relancer le débat autour de l’éthique en politique, et pas seulement en France. Il faut espérer que les élites africaines sauront désormais marcher comme sur des œufs.

Mais, au-delà des apparences, le chef de l’Etat français doit savoir manœuvrer de manière à faire changer radicalement le comportement de la classe politique autant que des milieux d’affaires français. Pour le temps qu’il passera à la tête du G20, il est souhaitable que Sarkozy et les autres luttent davantage contre les pratiques mafieuses et les paradis fiscaux. Serait-ce trop lui demander ?

"Le Pays"

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