LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Le partenariat laxiste des « occidentaux » avec les régimes dictatoriaux d’Afrique et du Moyen-Orient explique le chaos actuel du monde arabo-africain (2/2)

Publié le jeudi 10 février 2011 à 02h06min

PARTAGER :                          

Les Américains, connaisseurs en la matière, disent du président du Yémen, Ali Abdallah Saleh, que, « virtuose en diable », il est « au sommet de son art ». Ce n’est plus exactement la réalité en ce qui concerne sa politique intérieure ; mais cela a été vrai en ce qui concerne les relations internationales.

Au nom de la lutte contre le terrorisme, Sanaa a trouvé en Washington un partenaire attentif à ses exigences. Dans un pays où l’anti-américanisme est ancré de longue date (le Yémen du Sud a été, autrefois, une République démocratique et populaire dans l’orbite de Moscou), Saleh parvient à utiliser l’armement US le plus sophistiqué, au nom de l’anti-terrorisme, pour lutter contre… le bastion houthiste (des chiites opposés au salafisme sunnite) de Sa’Ada, dans le Nord du pays, à la frontière avec l’Arabie Saoudite, et les mouvements sécessionnistes du Sud qui voient s’échapper leurs ressources pétrolières et gazières (YLNG, une usine de liquéfaction du gaz naturel a été construite par les Français - Total et Technip -, les Américains, les Coréens et les Japonais à Balhaf, sur la côte, au Sud de Mukalla).

Saleh tape, avec les armes US, sur ceux du Nord, prétextant qu’ils sont dans l’orbite iranienne chiite, et sur ceux du Sud pour défendre les intérêts des compagnies « occidentales ». Et il parvient même à instrumentaliser la situation de son pays entre terrorisme, pauvreté et tentation sécessionniste pour prôner la « stabilité » (dont il est, bien sûr, selon lui, le seul garant) et réclamer encore plus de soutien de « l’Occident ». Sanaa exige ainsi « une mobilisation internationale » pour répondre à « une menace internationale ». C’était l’objet de la conférence de Londres, en janvier 2010, qui a débouché sur une conférence des pays donateurs à Riyad, en Arabie saoudite, le royaume saoudien étant partie prenante dans la répression de la guérilla chiite de Sa’Ada au nom de la lutte contre « l’impérialisme » iranien.

Des milliards de dollars ont ainsi été déversés sur le Yémen depuis une décennie, mais la présence « occidentale » sur cette terre musulmane a facilité la montée en puissance d’Al Qaida. C’est ainsi qu’en 2009 a été créé AQPA, autrement dit Al Qaida dans la péninsule arabique, correspondant de AQMI dans la zone sahélo-saharienne. En focalisant l’attention des « occidentaux » sur la lutte contre AQPA, Sanaa parvient ainsi à mener sans coup férir la répression contre son opposition politique, Sa’Ada et les sécessionnistes du Sud. « Virtuose en diable », apprécient les Américains. Les attentats, les assassinats de touristes, les attaques contre les ambassades « occidentales » se multipliant au fil des ans, le Yémen a rejoint l’Afghanistan et le Pakistan sur le podium des pays « terroristes ». Saleh a pensé que tant que AQPA occupait l’attention des « occidentaux », il pouvait s’adonner sereinement à une gestion patrimoniale des ressources pétrolières et gazières du pays. Marine Poirier, doctorante de l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (Iremam)-Sciences-Po, à Aix-en-Provence, a écrit dans Diplomatie (janvier-février 2011) que « l’instrumentalisation du discours sécuritaire […] semble avoir rendu acceptable aux yeux des donneurs l’absence d’alternance du pouvoir, le report des élections ou encore le rétrécissement des libertés d’expression ».

La « virtuosité » de Saleh a trouvé ses limites. Jusqu’à présent, tout le monde se « foutait » du Yémen. Une terre lunaire avec des hommes d’un autre âge, disait-on dans les catalogues touristiques ; tandis ma génération se souvient que le philosophe Paul Nizan recherchant à Aden « l’Arabie heureuse » n’avait trouvé qu’un « comprimé d’Europe » (il reste de cette aventure la première phrase - magique - de son livre Aden Arabie, publié en 1931 et réédité en 1960 avec une préface de Jean-Paul Sartre : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie »). Aujourd’hui, le Yémen préoccupe les chancelleries « occidentales ». Le pétrole, depuis la « crise égyptienne », voit son cours exploser (au-dessus de 100 $ le baril !) ; la « crise yéménite » pourrait mettre de l’huile sur le feu.

Après Ben Ali et Hosni Moubarak, la « stabilité » de Saleh est aléatoire. « Trente ans au Yémen, ça suffit », « Non au renouvellement du mandat, non à la transmission héréditaire du pouvoir », « l’heure du changement a sonné », « Assez joué, assez de corruption, regarde le fossé entre richesse et pauvreté »… les banderoles déployées lors des premières manifestations, la semaine dernière, donnent la tonalité de la revendication. Et son écho pourrait se faire entendre ailleurs, en Afrique noire notamment. Ce qui ne manque pas de préoccuper les « occidentaux » : difficile pour eux d’imaginer une « communauté onusienne » au sein de laquelle trop de voix discordantes se feraient entendre et où, au nom de la « démocratie », les dictatures et les régimes autoritaires et patrimoniaux soutenus par « l’occident » au nom de la nécessaire stabilité des régimes viendraient à être contestés partout, dans la rue puisque les urnes ne permettent pas l’alternance souhaitée.

Situation paradoxale. « L’occident », dans sa volonté d’éradiquer partout sur la planète, les foyers de « terrorisme », avérés ou potentiels, s’appuie sur des régimes « anti-démocratiques » qui instrumentalisent, consciemment ou inconsciemment, les terroristes pour perdurer au pouvoir tout en affichant leur compagnonnage avec « l’occident ». Ce qui ne manque pas de renforcer le sentiment anti-occidental (et facilite donc le recrutement des groupuscules terroristes) des populations qui réclament la « démocratie ». La marge de manœuvre des diplomaties occidentales et des régimes contestés (aujourd’hui ou demain) est donc étroite. Pour ne pas dire inexistante. Quoi que Washington, Londres, Paris ou Bruxelles feront, ce sera mal perçu. Le discours des Etats-Unis sur la « crise yéménite » illustre les contradictions du mode de production politique « occidental » : ils « soutiennent le droit des Yéménites à s’exprimer et à se rassembler librement » et dans le même temps affirment : « Nous coopérons de façon importante avec le Yémen contre le terrorisme ».

Conclusion : « Une partie de la solution à l’extrémisme violent tient dans les réformes économiques et politiques ». O.K.! Mais cela sert-il à quelque chose de demander à des régimes dictatoriaux où la corruption est le fondement des « politiques publiques » de se réformer économiquement et politiquement ? Plus encore quand la tolérance a l’égard de ces comportements dictatoriaux et corrupteurs a été totale pendant des décennies. C’est le mode de production diplomatique de « l’occident » qui nécessite d’être réformé. Quand on estime avoir vocation à diriger le monde et que l’on s’en est donné les moyens diplomatiques, économiques et militaires, il faut être cohérent dans ses démarches et ne pas prôner la démocratie tout en soutenant les oligarchies au nom de l’intérêt économique des multinationales.

Washington, qui ne craint plus Moscou (jusqu’à quand ?), a ouvert, au lendemain du 11 septembre 2001, la boîte de Pandore en intervenant en Afghanistan. Et Aladin en est sorti avec sa lampe magique : dix ans plus tard, les « occidentaux » risquent fort d’être pris au piège de leur incohérence politique. Leur implication diplomatico-militaire hors de leur territoire va les conduire soit à une nouvelle humiliation (à côté de laquelle la chute de Saïgon, le 30 avril 1975, ne sera qu’une broutille dans l’histoire de « l’impérialisme » US) soit à une réactivation de la guerre froide. Reste à savoir qui sera l’adversaire ; quels seront ses alliés. Quant à savoir comment cela se terminera, pas de doute : mal ! Pour tout le monde. Wade a raison de poser la question : pourquoi les civilisations meurent-elles ?

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 10 février 2011 à 22:20 En réponse à : Le partenariat laxiste des « occidentaux » avec les régimes dictatoriaux d’Afrique et du Moyen-Orient explique le chaos actuel du monde arabo-africain (2/2)

    Il n’y a pas de partenariat laxiste. Les occidentaux ne poursuivent que des partenariats en défense de leurs intérêts vitaux (domination culturelle, pillage, prédation et accès aux ressources stratégiques- pétrole, uranium, coltan, titane, etc, etc...). Le soutien qu’ils apportent aux satrapes africains contre la volonté de leurs peuples n’a rien à voir avec du laxisme, mais plutôt relève de calculs politiques mûrement réfléchis. De tels satrapes sont jetés dans la fosse aux lions dès qu’ils affichent des velléités d’indépendance. Ils sont soutenus, tant que cela les arrange. Et voilà pourquoi toute tentative d’orientation anti-impérialiste, patriotique et panafricaine de progrès social est systématiquement liquidée par eux ; je veux dire les Occidentaux et leurs hommes de mains.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique