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AFRIQUE : Les raisons pour soutenir la recherche

Publié le vendredi 4 février 2011 à 03h20min

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L’auteur de l’analyse ci-dessous tout en reconnaissant les importants progrès réalisés par bon nombre de pays africains, estime qu’il y a toujours quelques défis à relever. Pour ce faire, il pense qu’il est plus que jamais nécessaire de soutenir les recherches des institutions locales qui ont une légitimité que les institutions étrangères ne peuvent offrir.

En ce début d’année, nombre de pays africains semblent engagés à poursuivre les importants progrès réalisés depuis plus d’une décennie. Les taux de croissance y sont parmi les plus élevés du monde, ouvrant des perspectives de développement uniques et encourageantes. Or, l’amélioration de la santé et de l’éducation, la bonne gouvernance, la protection de l’environnement et un meilleur respect des droits de la personne restent des défis essentiels. Les responsables politiques et leurs partenaires n’ont d’autre choix que de trouver des solutions toujours plus créatrices s’ils veulent accélérer les progrès du développement.

A cet égard, une tendance fort prometteuse émerge partout en Afrique : depuis quelques années le nombre et le rôle d’institutions de recherche sur les politiques publiques, ou « think tanks », ne cesse de croitre. En concevant de nouvelles solutions s’inspirant à la fois de recherches et de réflexions locales, ces institutions africaines commencent à changer la façon dont les politiques de développement sont élaborées. Alors que le Ghana connait un taux de croissance à deux chiffres, l’Institute of Economic Affairs (IEA) — un think tank établi à Accra — collabore étroitement avec les responsables politiques pour veiller à ce que l’industrie pétrolière naissante bénéficie au développement économique et social du pays. Lors des dernières élections, l’IEA a organisé des débats animés entre les candidats à la présidence et à la vice-présidence et a déployé des observateurs sur l’ensemble du territoire.

Au Bénin, où les deux tiers des enfants vont à l’école primaire – et la moitié d’entre eux iront au bout de leur scolarité - un modeste programme entraine le pays sur la voie d’un changement considérable. En créant des conseils locaux d’éducation, l’Institut de recherche empirique en économie politique (IREEP) donne aux communautés locales la possibilité de travailler directement avec le gouvernement en vue d’établir, d’un commun accord, les priorités en matière d’éducation et d’allocation des budgets. Les recherches en cours aideront à déterminer les points forts de cette approche, afin d’orienter les futures politiques d’éducation, et contribuer ainsi à ce qu’un nombre croissant d’enfants puisse avoir accès à une meilleure formation.

Partout en Afrique, des instituts de recherche indépendants fleurissent et commencent à changer le cours des choses. Ils influent sur les politiques publiques en leur permettant de s’appuyer de plus en plus sur des recherches et des évaluations empiriques. Face au problème grandissant de la sécurité alimentaire par exemple, le Programme d’appui aux stratégies en Éthiopie, conçu conjointement par l’Ethiopian Development Research Institute et l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, contribue à l’élaboration d’une politique de rente foncière afin de stimuler les investissements dans le secteur agricole.

En Ouganda, des chercheurs du Makerere Institute for Social Research siègent à des comités ministériels et techniques et offrent des conseils sur des politiques relatives à des sujets aussi variés que le VIH/sida et l’utilisation adéquate des terres. Ces institutions démontrent que la recherche locale peut provoquer de véritables changements. Or, si les responsables politiques des pays en développement s’appuient de plus en plus sur les travaux d’institutions nationales plutôt qu’occidentales, seuls quelques bailleurs de fonds internationaux accordent aux institutions locales la reconnaissance qu’elles méritent.

Lors d’une allocution prononcée à l’Université Georgetown récemment, Robert B. Zoellick, président de la Banque mondiale, a réclamé la démocratisation de la recherche et insisté sur la nécessité d’explorer de nouvelles façons de trouver des solutions aux problèmes de développement. Rarement a-t-on reconnu ainsi la valeur des institutions et des chercheurs locaux. Toutefois, cette nouvelle approche devrait, entre autres, valoriser les travaux de recherche des acteurs locaux et renforcer leur capacité de les réaliser.

Les raisons de soutenir la recherche locale sont évidentes

En tenant compte davantage des réalités sur le terrain et en subissant moins de pressions extérieures, les recherches effectuées par des institutions locales ont souvent une légitimité que les institutions occidentales ne peuvent offrir. Les chercheurs locaux ont en effet intérêt à voir adopter les meilleures politiques possibles, et les décideurs africains préfèrent souvent examiner les propositions de politiques émanant d’institutions nationales africaines plutôt que d’institutions étrangères. En second lieu, l’existence de solides institutions locales peut contribuer à remédier au problème de l’exode des cerveaux. Un financement stable permet à ces institutions d’attirer et de conserver un personnel qualifié qui, autrement, pourrait devoir chercher un emploi mieux rémunéré ou plus stable à l’étranger.

Il favorise aussi l’échange de connaissances avec des pairs partout dans le monde, contribuant ainsi à la recherche de solutions aux problèmes urgents de développement. Enfin, les institutions sont plus efficaces lorsqu’elles jouissent d’un financement stable et prévisible, que les bailleurs de fonds peuvent assurer. Ce type de financement ne doit pas uniquement couvrir les frais de certains projets de recherche, mais également les frais d’opération, les salaires et les autres charges courantes. Un financement de base soutenu permet en outre aux institutions d’établir leurs propres priorités de recherche et de conserver leur autonomie. Selon Léonard Wantchékon, directeur de l’IREEP, l’institution est ainsi libre d’élargir son éventail de travaux de recherche, d’être plus créatif et d’explorer ce qu’elle juge important de poursuivre et non pas nécessairement ce que les bailleurs de fonds estiment important.

L’Initiative Think Tank se consacre à mettre en place cette aspiration. Financée par le Centre de recherches pour le développement international, les Fondations William et Flora Hewlett, et Bill & Melinda Gates, le Department for International Development (DFID) du Royaume-Uni et la Direction générale de la coopération internationale (DGIS) des Pays-Bas, elle repose sur le postulat que les sources d’innovation en Afrique doivent être mieux soutenues. Nous avons bon espoir de voir s’amorcer, grâce à cette initiative, un virage d’envergure au sein de la communauté internationale. Nous sommes convaincus que seule la collaboration avec de solides institutions de recherche locales donnera lieu à l’élaboration de politiques de développement éclairées et permettra d’obtenir les résultats attendus depuis si longtemps.

Marie-Claude Martin dirige l’Initiative Think tank au Centre de recherches pour le développement international (CRDI).

Le Pays

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