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Dans la confusion qui règne en Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest, l’exemplarité du processus électoral au Niger est passée sous silence.

Publié le jeudi 3 février 2011 à 02h24min

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C’est incroyable. Tous les regards sont aujourd’hui braqués sur l’Egypte après s’être concentrés sur la Tunisie. Il n’est pas un jour sans que l’on soit informé sur « la panne sèche » qui a immobilisé la Côte d’Ivoire au lendemain d’une élection présidentielle avortée. Mais pas un mot sur le Niger qui, sans rien demander à personne et dans une conjoncture régionale détériorée, a, en l’espace d’un an, refusé le diktat d’un président qui voulait prolonger de trois ans son mandat et mis en place un processus de transition de retour à la « démocratie ».

Après que les Nigériens aient, jour après jour, occupé la rue, c’est l’armée qui, le 18 février 2010, s’est emparée du pouvoir. Une armée des rangs de laquelle était issu Mamadou Tandja, le président déchu ! Les objectifs de la junte au pouvoir se résumaient en trois mots : assainir (la situation politique), réconcilier (les Nigériens) et restaurer (la démocratie). On pouvait craindre le pire : quand les militaires sont au pouvoir, les transitions s’éternisent. A Niamey, le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD), dirigé par le général Djibo Salou, a tenu ses promesses. A l’issue d’un vrai parcours du combattant : sept scrutins (compte tenu des « seconds » tours) ! Référendum constitutionnel, élections locales, élections législatives et présidentielle (couplées). Le premier tour de la présidentielle s’est déroulé le lundi 31 janvier 2011 ; le second tour est prévu pour le 12 mars 2011 et l’investiture du nouveau président se déroulera le 6 avril 2011.

Nous arrivons au terme du processus. Le 31 janvier 2011, comme prévu, 6,7 millions d’électeurs ont pu choisir leur 133 députés et, parmi dix candidats, celui qui sera le prochain président. Je note au passage que le Niger compte 1 million d’électeurs de plus que la Côte d’Ivoire ; quand on voit ce qu’a coûté la présidentielle ivoirienne pour aboutir au chaos, on ne peut que souligner la « performance » des Nigériens !

La politique n’intéresse plus guère, pourtant, la population qui a d’autres priorités ; sauf quand elle constate que sa souveraineté est en péril (Tandja a fait l’expérience qu’au-delà d’une certaine limite son ticket n’était plus valable). Mais la classe politique est d’autant plus dense que les villes sont autant de fiefs : Niamey, mais aussi Tillabéri, Dosso, Tahoua, Maradi, Zinder, Diffa, Agadez (« capitales » des sept départements). Les candidats « indépendants » étaient trois, tous les autres étant leaders de partis ayant pignon sur rue (et dans les régions). Ce sont, pour l’essentiel, des figures majeures de la vie politique. Il y a là un ancien président de la République : Mahamane Ousmane, de Zinder (Convention démocratique et sociale - CDS-Rahama) qui a été, également, président de l’Assemblée nationale ; deux anciens présidents de l’Assemblée nationale qui ont été, également, des premiers ministres : Mahamadou Issoufou, de Tahoua (Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme - PNDS-Tarayya), et Seyni Oumarou, de Maradi (Mouvement national pour la société de développement - MNSD-Nassara) ; trois anciens premiers ministres : Hama Amadou, de Tillabéri (Mouvement démocratique nigérien pour une fédération africaine - MODEN/FA- Lumana), Cheiffou Amadou, de Maradi (Rassemblement social et démocrate - RSD-Gaskiya), Amadou Boubacar Cissé (Union pour la démocratie et la République - UDR-Tabbat).

L’originalité de cette présidentielle, c’est qu’il n’y a pas de « sortant » et que, pour l’essentiel, les candidats ont été associés au pouvoir exercé par Tandja pendant une décennie ou à son opposition. Pas d’hommes nouveaux ; pas de technocrates, des politiques. Pas de militaires non plus. Je m’étonne d’une situation de « non-renouvellement » de la classe politique alors que, justement, l’ancien président a perdu son job sous la pression de la population (mais grâce à l’intervention de l’armée). La présidentielle est donc une confrontation entre « anciens » des « anciens régimes » qui, comme toujours au Niger, noueront des alliances pour le second tour qui conduiront à une répartition négociée des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif (ce qui ne manque jamais d’être source de conflits, mais c’est cela aussi le jeu démocratique si tant est que l’on puisse caractériser ainsi ce jeu d’alliances). C’est dire que la présidentielle est ouverte.

Aux municipales qui viennent de se dérouler, c’est le PNDS-Tarayya, parti de « l’opposant historique » à Tandja, Mahamadou Issoufou, qui s’est imposé : il a conquis 266 communes. Se retrouvent sur le podium le MNSD-Nassara (ex-parti de Tandja) de Seyni Oumarou et le MODEN/FA-Lumana de Hama Amadou. On peut penser que ce sera, aussi, le podium pour le premier tour de la présidentielle. Ce qui ne saurait étonner. Le destin (politique) de ces trois hommes est intimement lié ; et exprime parfaitement la complexité du jeu politique nigérien.

Le jeudi 31 mai 2007, Hama Amadou, premier ministre de Tandja, est renversé par une motion de censure. Initiée par Mahamadou Issoufou, leader de l’opposition, elle donne satisfaction au chef de l’Etat et au président de l’Assemblée nationale, Mahamane Ousmane, l’un et l’autre agacés par l’omniprésence politique et médiatique d’un premier ministre présenté comme le « dauphin naturel » d’un chef d’Etat empêché, alors, par la Constitution d’être candidat à sa propre succession en 2009. Il ne faut pas se fier aux apparences. Hama Amadou et Mahamadou Issoufou, son tombeur, ont été des amis. « Nous avons géré le pays ensemble en 1995 dans le cadre de ce que l’on avait appelé alors la Nouvelle Majorité, lui comme président de l’Assemblée nationale et moi en tant que premier ministre jusqu’au putsch du 27 janvier 1996. Puis nous avons été ensemble dans l’opposition au régime du général Ibrahim Maïnassara Baré. Au sein du Front de restauration et de défense de la démocratie (FRDD), nous avons vécu beaucoup d’épreuves ensemble, y compris des arrestations et autres internements arbitraires. Ce n’est pas parce que nous avons été aux élections dans des camps différents que nous allons devenir des adversaires irréconciliables » soulignait Hama Amadou le 19 juin 2000.

Notons que Mahamadou Issoufou, lorsqu’il s’est retrouvé au second tour de la présidentielle 1999 face à Tandja, n’avait pas bénéficié du soutien de Mahamane Ousmane qui avait rejoint le camp de son adversaire (il obtiendra la présidence de l’Assemblée nationale). Or, en 1993, Mahamadou Issoufou avait, lui, choisi de soutenir Mahamane Ousmane face à Tandja (en tête au premier tour), permettant ainsi à Mahamane Ousmane d’être élu. Quant à Seyni Oumarou, c’est lui qui a succédé à Hama Amadou à la primature au printemps 2007. Mais chacun sait que Hama Amadou, dont il avait été le conseiller spécial en 1995 (quand Hama Amadou était, déjà, premier ministre) a été initié à la politique par Hama Amadou. Aujourd’hui, face à Mahamadou Issoufou, Seyni Oumarou et Hama Amadou naviguent de conserve. Sur le papier. Pour le reste, comme le disait Sun Zi, dans l’Art de la guerre (un auteur et un livre que Mahamadou Issoufou aime citer), « Il faut demander la victoire non pas aux hommes mais aux circonstances ».

Dans quelques semaines, la transition sera achevée. Une année et bien des opportunités auront été gâchées par l’inconséquence d’un homme soumis à un entourage familial et affairo-politique qui voyait dans le pouvoir une source d’enrichissement sans fin. Dans cette opération, les Nigériens n’ont rien gagné et beaucoup perdu. Ils s’en sortent par en haut ; mais ce n’est qu’un retour à la case départ. Le jeu n’en valait pas la chandelle. Sauf que Tandja est en prison quand d’autres sont encore en place, inconscients de la volatilité du pouvoir. Tunis et le Caire, après Niamey (et avant quelles autres capitales ?), en donnent la preuve.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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