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SYNADEC : "A quel ministère appartiennent désormais les enseignants-chercheurs ?"

Publié le vendredi 28 janvier 2011 à 01h48min

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Le Sécretaire général du Syndicat national autonome des enseignants-chercheurs (SYNADEC) réagit à la formation du nouveau gouvernement le 16 janvier dernier. Il dit ne pas comprendre la différence entre recherche scientifique et enseignement supérieur relevant respectivement des ministères de la Recherche scientifique et de l’Innovation (MRSI). Est-ce un besoin d’ouvrir des rivalités et des champs de bataille inutiles entre chercheurs et universitaires ? Se demande-t-il.

Suite à la formation du nouveau gouvernement le 16 janvier 2011, des innovations institutionnelles portant sur l’univers de l’enseignement supérieur et la recherche scientifique ont été introduites. Le SYNADEC, Syndicat national autonome des enseignants-chercheurs, voudrait porter à la connaissance du gouvernement et de l’opinion nationale les implications de ces innovations et leurs conséquences sur ces deux domaines qui, faut-il le rappeler, sont actuellement à la base du progrès et donc de l’amélioration des conditions de vie des populations.

Ce qui est frappant et qui suscite des interrogations chez les enseignants-chercheurs, après cette formation du nouveau gouvernement, c’est le chamboulement des ministères en charge de l’Education : on assiste ainsi à la création d’un ministère de la Recherche scientifique et de l’innovation (MRSI) détaché de l’ancien MESSRS qui devient le ministère des Enseignements secondaire et supérieur (MESS). Le MESS conserve de l’ancien département ministériel un ministère délégué à l’enseignement technique.

Le MEBA devient le ministère de l’Education nationale, comme si l’objectif de l’éducation nationale s’arrêtait au primaire. Cette confusion sémantique (circonscrire l’éducation à l’école primaire) trahit vraisemblablement une option politique dont la manifestation est le délaissement d’une partie de l’éducation nationale qui, si elle n’est pas considérée comme improductive, est à classer dans l’ordre de ce qui pourrait paraître comme un luxe pour notre pays. En témoigne le classement des ministères de l’Education, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique dans le protocole gouvernemental. L’ordre d’énumération des ministères tient bien compte de l’importance que l’on accorde à tel ou tel secteur d’activité de l’Etat.

Le SYNADEC attire bien l’attention des acteurs du monde de l’Education sur le fait qu’au Burkina, le refrain qui est chanté, depuis quelques années, est qu’à l’horizon 2015, l’on fasse de notre patrie un pays émergent. Or, pour être émergent, il faut bien développer en priorité le secteur éducatif et de la recherche. Contre le discours enthousiaste et flatteur, ces ministères, facteurs de l’émergence, sont classés aux 17e, 18e et 19e places. Il faudrait que le gouvernement explique à l’opinion quelle est donc sa conception du développement et quelles sont les voies et moyens qu’il entend mettre en œuvre pour y parvenir en 2015. Nous constatons que même les ministères sans portefeuille ont plus d’importance que ceux de l’Education.

Pour les enseignants-chercheurs, la question principale est de savoir quel est leur département de rattachement ? Quelle est désormais la mission qui est assignée à l’enseignement supérieur ? Une simple formation de grands élèves ou une formation des cadres appuyée sur les missions traditionnelles de l’université qui est la conjonction entre une recherche scientifique alimentant les formations à dispenser aux futurs cadres ? Que doit-on attendre désormais de nos universités ? Peut-on concevoir une université détachée de la recherche scientifique en lui accordant une faible importance ? En tout cas, c’est ce que laisse supposer la séparation entre enseignement supérieur et recherche scientifique.

Quel est donc le modèle d’université que les décideurs d’aujourd’hui optent de promouvoir ? Inutile de s’interroger sur les motifs d’un tel dépeçage du MESSRS en deux départements et demi. La logique de partage de postes à ceux qui ont soutenu le candidat Compaoré à l’élection présidentielle du 21 novembre 2010 semble avoir prévalu sur celle de l’optique d’opérationnalité et d’efficacité. Il semble, selon les principes de la gouvernance, que l’on crée un département ministériel en fonction de l’importance que l’on veut accorder à un secteur d’activité dans la vie de la nation. Et si la recherche scientifique est identifiée comme un secteur à promouvoir désormais, il eût fallu prendre en compte dans la création de ce ministère, l’ensemble des structures qui participent de l’activité de recherche scientifique pour les y regrouper en fonction d’une logique de vases communicants fondée sur l’animation possiblement commune des mêmes activités.

Ce que nous savons, la mission essentielle de l’université est d’assurer une formation de cadres à partir de recherches scientifiques qui constituent le fondement même de cette formation. C’est la recherche qui fait avancer les connaissances à communiquer aux étudiants dans le processus de leur formation. C’est pour cette raison que dans tous les pays du monde, la mission de recherche scientifique est dévolue à l’université. Si la France du Général de Gaulle fit exception au sortir de la Seconde guerre mondiale en créant le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), elle n’avait jamais établi une scission entre recherche scientifique et enseignement supérieur.

Les deux structures de recherche ont toujours été confiées au même département ministériel chargé de coordonner leurs activités. L’on fit en sorte que des chercheurs soient affectés dans des universités pour communiquer les résultats de leurs recherches et que des universitaires soient associés à des laboratoires du CNRS pour les mêmes objectifs de la recherche. Cette organisation en termes de vases communicants crée une synergie d’actions entre acteurs de la recherche, qu’ils soient de l’enseignement supérieur ou du CNRS. Cela s’est même formalisé par la création des Unités mixtes de recherche (UMR) qui sont des contrats d’association d’un ou de plusieurs laboratoires de recherche d’un établissement d’enseignement supérieur (notamment l’université) ou d’un organisme de recherche avec le Centre national de la recherche scientifique.

On instaurait ainsi, de façon quasi obligatoire, une collaboration entre chercheurs et enseignants-chercheurs. Aujourd’hui, cette France sarkozyenne qui se réclame du Gaullisme est en train d’entreprendre des réformes où les instituts de recherche sont rattachés aux universités. Si la disparition du CNRS n’est pas pour demain, elle est annoncée. La France, qui est entrée dans le LMD, harmonise ses structures de recherche avec celles des autres pays où la mission de recherche est confiée aux universités. Revenons chez nous qui sommes les héritiers du système colonial français. Nous avons notamment hérité de l’Institut français d’Afrique noire (IFAN) transformé au Burkina Faso en CNRST après l’indépendance. Au Sénégal, l’IFAN devenu Institut fondamental d’Afrique noire est rattaché à l’Université Cheikh Anta Diop.

Au Niger, en Côte d’Ivoire et au Togo, il prend la dénomination d’Institut de recherche scientifique (IRS) et est également rattaché aux universités respectives de ces pays. Seul le Burkina a eu la spécificité et la particularité de donner au CNRST une dimension d’organisme de recherche menant, séparément de l’université, les missions de recherche. Mais il est entendu que le CNRST n’a pas l’exclusivité des missions de recherche au Burkina Faso. Une bonne partie des missions est assurée par les universités publiques. Si l’on crée donc un ministère de la recherche scientifique, pourquoi la dissocie-t-on de l’enseignement supérieur où se trouve la majorité des acteurs de la recherche scientifique du pays ? Veut-on introduire une rivalité sourde, ouvrir des champs de bataille inutiles entre chercheurs et universitaires ?

Veut-on dire que désormais les enseignants-chercheurs devront se déshabiller de leur titre de chercheur ? Pour ressembler à quoi ? Si telle n’est pas la logique qui a sous-tendu la réorganisation institutionnelle, peut-on dire en quoi l’association de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique rend-il le système peu performant ? En quoi la scission apporte-t-elle plus d’efficacité dans la mise en œuvre des objectifs de développement ? Cette scissiparité comme pour marquer une différence entre recherche scientifique et enseignement supérieur intervient à un moment où chercheurs et enseignants-chercheurs sont tous évalués par les mêmes Comités techniques spécialisés (CTS) du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) dans les mêmes conditions de productions scientifiques.

Il y a deux décennies, les institutions de Breton Wood – la Banque mondiale et le FMI – dans les politiques du Programme d’ajustement structurel (PAS) convainquaient nos autorités à ne mettre l’accent que sur le développement de l’enseignement de base pour accroître le taux de scolarité parce que les experts avaient montré qu’on ne peut pas se développer avec une population analphabète. Ils s’appuyaient sur les théories du développement pour affirmer que la condition du take off (décollage, démarrage) en matière de développement reposait sur un taux de scolarisation porté à au moins 60%.

Cette conception des institutions de Breton Wood stipulait l’inutilité de l’enseignement supérieur, et dans une moindre mesure l’enseignement secondaire, dans les pays sous-développés. Le Burkina, en mal de financement de son éducation nationale, a dû bricoler pour démanteler le secondaire en créant le post-primaire. Après une décennie d’intervention, les mêmes institutions constatèrent que l’indice du développement humain restait si faible qu’elles ont dû réviser leurs analyses en affirmant que dans la réalité, on ne peut pas laisser de côté l’enseignement supérieur. Elles ont considéré que “ l’enseignement supérieur est au cœur des stratégies de développement ” (thème du séminaire international organisé à Ouagadougou en juin 2006).

Cette affirmation mérite une réflexion. L’université n’assure pas simplement que des formations variées de ressources humaines. Elle investigue directement dans le domaine de la recherche pour le développement. C’est pourquoi l’on demande que, pour qu’elle soit opérationnelle et qu’elle joue son rôle moteur dans le développement, il faut qu’elle soit ouverte sur le monde de l’entreprise et réponde aux besoins de la société en général. La refondation de l’université de Ouagadougou avait débouché, dans le cadre de cette réflexion, sur la création d’une vice-présidence destinée au partenariat université-entreprise pour les besoins de financement de la recherche et la formation de cadres orientés directement vers le marché de l’entreprise. Et le thème de la professionnalisation des formations fit fortune et fut matérialisé par la création de quelques filières professionnalisantes dans plus d’une UFR de l’Université de Ouagadougou.

La refondation a indiqué que l’excellence de l’université repose bien sur le financement et le développement de la recherche des universités. Joignant l’acte à la parole, les refondateurs de l’Université de Ouagadougou, pour encourager les enseignants-chercheurs, avaient attribué une prime à tous ceux qui s’étaient distingués, en 2001-2002, par la publication d’ouvrages. Ils envisageaient d’institutionnaliser cette pratique afin de créer une émulation entre les enseignants-chercheurs et placer l’université de Ouagadougou parmi les meilleures universités africaines. L’expérience, excellente en soi, ne fut pas renouvelée, faute de soutien de la part des décideurs.

Dans les ministères en charge de l’enseignement supérieur et de la recherche dans le monde, les décideurs sont conscients que l’assurance-qualité repose sur le développement de la recherche. Par conséquent, toute université qui désire se placer à l’avant-garde de la recherche s’investit dans l’acquisition des capacités de recherche de financement, de mise en place d’équipes compétitives en matière de recherche. Dans le passage au LMD pour lequel nous faisons beaucoup de tapage depuis quelques années, l’accent est mis sur la constitution d’équipes pluridisciplinaires de recherche suivant une politique de mutualisation des efforts entre institutions de recherche. Les équipes de recherche qui se créent dans ces conditions transcendent l’université pour associer des chercheurs du CNRST.

D’ailleurs, les bailleurs de fonds ne financent désormais que des équipes de recherche, des laboratoires, des centres de recherche et des écoles doctorales. C’est la dynamique du LMD qui fit qu’en France, le CNRS a été pratiquement démantelé en faveur d’une synergie d’actions avec les universités. Cette dynamique du LMD est en cours au Burkina Faso. Dans ces conditions, pour la stimuler, il convenait que l’exécutif mette ensemble enseignement supérieur et recherche scientifique, sous la coupe d’un même département ministériel, afin de coordonner de façon efficiente et efficace les activités de recherche et de formation. On connaît bien la guéguerre qui naît d’une séparation ou d’une scissiparité. Les mêmes acteurs se trouvent désormais tellement différents qu’ils revendiquent de fait ces différences comme des spécificités de corps et de domaines de compétence, etc.

Par conséquent, le dépeçage du MESSRS, du point de vue de la rationalité et de l’efficacité ordinaires, reste tout à fait incompréhensible. Nous craignons qu’il ne découle – comme nous l’avons souligné plus haut – d’une logique de récompense et surtout d’une conception erronée de la recherche scientifique. En effet, celle-ci est très souvent, par absence de culture et donc par ignorance, gangrénée par une conception scientiste qui réduit la science à quelques disciplines d’où sont exclues les sciences économiques, juridiques et sociales. Si une telle logique était le fondement de la nouvelle réorganisation institutionnelle, gageons que les chercheurs du CNRST dans les domaines des sciences sociales, économiques et juridiques se verront priés d’aller faire leur littérature ailleurs.

Il est simplement étonnant que l’exécutif, en l’occurrence le Premier ministre, soit entouré d’une bonne demi-douzaine d’enseignants-chercheurs et qu’il n’ait pas été conseillé dans le sens de la bonne décision à prendre au sujet de la création d’un département ministériel centré sur les questions d’enseignement supérieur et de recherche scientifique. La solidarité dans l’action gouvernementale ne doit pas signifier de la figuration au gouvernement. Nous constatons que le ver est dans le fruit. Il faut donc prendre les mesures qui s’imposent. Les enseignants-chercheurs pourraient revendiquer leur double appartenance au MESS et au MRSI avec les conséquences et les avantages que cela implique. A moins qu’une réorganisation institutionnelle rationnelle qui met en cohérence les vases communicants de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique remette les choses dans l’ordre.

Pour le SYNADEC Le Secrétaire général

Pr Magloire SOME

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 29 janvier 2011 à 20:16 En réponse à : SYNADEC : "A quel ministère appartiennent désormais les enseignants-chercheurs ?"

    Tu as tout dit, Magloire. A part le partage du gateau, ne parle pas de rationalite dans ce charcutage . N’eut ete la honte, ils auraient meme divise le MESSRS en plus de 7 ministeres : Ministere des Enseignements, Ministere des Enseignements Secondaires, Ministere des Ensignements Superieurs, Ministeres de la recherche en sciences sociales, ministere de la recherche en sciences exactes, Ministere de la recherche en science medicales, ministere de la recherche en science animale, et surtout Ministere General des Ministeres de l’ Education. On a meme eu la chance qu’ ils ont eu quelque part un peu de scrupules. Sinon ca pouvait etre pire. Comme on n’a pas l’ argent pour recomepnser les amis en les envoyant comme ambassadeurs a l’ etranger, les ambasades coutant trop cher, on cree de toutes pieces des ministeres a domicile. Sinon, ce gouvernement compte combien d’ enseignants chercheurs en son sein ? S’ ils n’ ont rien dit, c’est que la raison n’ etait meme pas politique mais tubedigestive. De quoi deplorer l’ efficacite de nos intellos.

    • Le 18 octobre 2011 à 23:51 En réponse à : SYNADEC : "A quel ministère appartiennent désormais les enseignants-chercheurs ?"

      Magloire, tu as tout dis ! j’espère que le gouvernement entendra raison et s’activera pour remettre les deux ministères inutilement divisées, ensemble...qu’il comprendra enfin qu’il ne s’agit pas de diviser mais de faire avancer le pays...sinon à l’instar de nos enseignants à l’université nous ferrons avancer le Burkina et les burkinabè sans un gouvernement pareil !

  • Le 1er février 2011 à 10:24, par le premier En réponse à : SYNADEC : "A quel ministère appartiennent désormais les enseignants-chercheurs ?"

    Que craint Magloire de cette situation ?
    De perdre des avantages liés à son statut ou son efficacité dans le domaine de la recherche !!
    Plusieurs hypothèses se posent mais en définitive que l’on soit enseignant-chercheur ou chercheur-enseignant, il est toujours indiquer de définir pour toute étude, un Objectif général et les objectifs spécifiques. Dans le cas du Burkina Faso, l’objectif général est de permettre à la recherche d’être un des catalyseurs les plus important pour permette notre développement dans tous les domaines. Alors si la scission consiste à accorder de l’importance à chaque partie et de booster l’efficacité de la recherche dans son ensemble, que veut-on de plus ?
    Alors mettez-vous à la recherche pour le développement du pays, que vous soyez de l’Université, du CNRST, d’une autre Institution ou dans le Privé.

    • Le 2 février 2011 à 00:58 En réponse à : SYNADEC : "A quel ministère appartiennent désormais les enseignants-chercheurs ?"

      Si la recherche ne peut pas polliniser l’ enseignement, c’est en vain que les chercheurs trouvent. Si l’ enbseignenemnt ne peut pas feconder la recherche, c’est en vain que les enseignants enseignent. Magloire a raison. N’ en deplaise aux vieux loups qui usent de l’ argument d’ autorite ou de vieillesse pour la fermer aux jeunes. Aux ames bien nees, la valeur n’ attend point le nombre des annees.

  • Le 1er février 2011 à 16:10, par zino En réponse à : SYNADEC : "A quel ministère appartiennent désormais les enseignants-chercheurs ?"

    Le terrain syndical n’est pas lié à un ministère. Il va falloir faire la part des choses : les universitaires qui font de la recherche utile sont les bienvenus au MRSI. Les chercheurs qui ne voudront pas faire de la recherche utile iront au MESS. C’est clair.

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