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L’AFFAIRE DE LA CENI : La pilule qui dérange

Publié le vendredi 28 janvier 2011 à 01h48min

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La situation qui prévaut au sein de la CENI doit être prise au sérieux. Après le scrutin présidentiel, le temps court maintenant vers les élections législatives et communales prévues pour mai 2012 sans aucune perspective tracée dans le sens d’éviter une démocratie au rabais.

Pour combien de temps le gouvernement Tertius trainera le lourd fardeau des élections bâclées ? Le spectacle honteux de l’élection du 21 novembre décrié par l’opposition met mal à l’aise les observateurs sérieux du processus démocratique au Burkina Faso. Non pas parce qu’elles ont été un cafouillage, cela serait enfoncer des portes ouvertes, mais au regard de la timidité avec laquelle les premières autorités apprécient la situation. Presque toutes ont plutôt rivalisé de formules dithyrambiques et de superlatifs pour féliciter Blaise Compaoré pour sa "brillante élection" ! Soyons sérieux …

Les faits en bref

Aussi bien les candidats de l’opposition, la presse que certains observateurs mandatés ont relayé avec preuve à l’appui les cas d’irrégularités et de fraudes qui ont entaché le scrutin présidentiel. Quatre jours après le scrutin présidentiel, le Tribunal administratif de Ouagadougou, déclarait à son audience du 25 novembre 2010 que les cartes ayant servi à l’élection du président du Faso étaient illégales en ce qu’elles n’étaient pas conformes à l’article 53 du Code électoral. Le même soir, le président de la CENI proclame les résultats provisoires alors que son avocat et son représentant présents au jugement venaient de perdre le procès.

L’espoir, sinon même la perspective que la justice irait jusqu’au bout, c’est-à-dire annuler et faire reprendre le scrutin est vite estompé par la juridiction supérieure (le Conseil constitutionnel). Saisie par les candidats pour tirer les conséquences de l’illégalité de l’élection, cette juridiction reçoit la requête quant à la forme mais la rejette quant au fond. Suite à l’appel de la CENI sur le jugement du Tribunal administratif, le Conseil d’Etat tout en ne niant pas l’illégalité de la carte d’électeur à son audience du 11 janvier 2011 annule la décision du Tribunal administratif en arguant que celui-ci n’était pas compétent. Seule perspective restante, la saisine de la cour de cassation et les instances internationales.

Comme on s’aperçoit, l’opposition n’a pas croisé les bras ; elle peut se satisfaire d’avoir engagé un débat démocratique très sérieux mais malheureusement insoupçonné au sein d’une certaine opinion. Et nous continuons de penser d’ailleurs que l’opposition n’était pas dupe quant à la capacité de la justice burkinabè de lui rendre justice. Ceux qui ont vu ont vu et ceux qui pouvaient entendre ont entendu : De ce point de vue, on peut dire qu’elle a atteint ses objectifs.

Ce qui dérange aujourd’hui

C’est vrai que le pouvoir a pris des engagements dont on se moque au fur et à mesure que les années passent et que les crises qui les ont accouchés se sont calmées d’une certaine manière. Des affaires de millions détournés dans tel ou tel autre service, des marchés passés sous les tables et pourquoi pas par téléphones, des travaux bâclés pour des milliards sur le dos du contribuable…sans suite diligente. On fait et il n’y a rien ! Les raisons parfois invoquées sont souvent qu’il y a manque ou insuffisance de preuve. En tout état de cause, la formule usitée est que la justice suit son cours en la matière. Un peu l’histoire de godo ! Fermons la parenthèse et parlons de l’affaire de la CENI.

Le Conseil constitutionnel bien qu’ayant statué en dernier ressort que l’élection ne pouvait pas être reprise du fait de l’illégalité des cartes d’électeur, recommande paradoxalement à la proclamation des résultats "de rendre les élections encore plus sincères et plus transparentes et de consolider par voie de conséquence le processus démocratique". Il suggère clairement entre autres que les listes et les cartes électorales soient établies avec toute la rigueur nécessaire ; que les listes électorales soient publiées et affichées à temps pour permettre aux citoyens d’exercer leurs recours ; que le nombre d’inscrits soit connu avec exactitude et que les rectifications soient opérées à temps ; que la liste des bureaux de vote et leurs emplacements soient déterminés avec rigueur et publiés dans le respect des dispositions en vigueur ; que chaque électeur se présente muni d’une pièce d’identification comportant sa photo, etc. (cf. l’observateur paalga du 07 décembre 2010). Quant au Conseil d’Etat, sans nier l’illégalité de la carte d’électeur, se contente de dire que le Trbunal qui l’a déclaré comme telle n’était pas compétent à le faire. Et le gouvernement, que fait-il ? C’est là où le bât blesse ! On est en droit de penser que l’actuel président de la CENI fait désormais partie des "intouchables".

Mêmes les hautes juridictions semblent suivre le pas en faisant l’économie de probables longs débats politico-judiciaires. Peut-être avec raison car qui peut dire mieux ? Nous observons tristement qu’en réalité, la configuration actuelle de nos juridictions ne permet pas une indépendance réelle des juges. L’argument de taille est qu’ils sont nommés par le chef de l’Etat. Exactement comme en Côte d’Ivoire ; c’est le président de la République qui nomme le président du Conseil constitutionnel au Burkina Faso. Résultat ? Point besoin de faire tomber le masque.

On se comprend. A la seule différence qu’au Faso, personne ne s’en offusque. Ceci étant, le respect du peuple est un impératif. Il ne faut pas exagérer. En la matière, un adage populaire dit bien que prévenir vaut mieux que guérir. Aujourd’hui, le courage politique et la raison intérieure en chacun suffisent pour que la CENI soit purement et simplement vite dissoute. Son premier responsable, en plus d’exposer le minimum de compromis démocratique, se plaît à se chatouiller aux yeux de tous en tirant un bilan satisfaisant de son action. De qui se moque-t-on ? Sans être un spécialiste du droit ni des questions liées à la démocratie, il est fort à parier que la démocratie sans élections propres n’est que de façade. Donc, le Premier ministre Tertius Zongo et son nouveau ministre de l’Administration territoriale n’ont qu’à voir cette copie qui se salit jour après jour. Sinon, cette affaire de la CENI est une pilule de trop qui, une fois avalée, avortera le fœtus. Ce sera le requiem de la démocratie. N’est-ce pas que ça dérange ?

Amidou.kabre@gmail.com

Aimé NABALOUM (Stagiaire)

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 28 janvier 2011 à 13:15, par mackiavel En réponse à : L’AFFAIRE DE LA CENI : La pilule qui dérange

    Tu as vu juste. Félicitations pour cette analyse tout à fait claire de la machine électorale et judiciaire du pays des hommes intègres. Reste maintenant que ce message soit entendu par les démocrates sincères.

  • Le 29 janvier 2011 à 19:25 En réponse à : L’AFFAIRE DE LA CENI : La pilule qui dérange

    Je pense que le premier point de lutte pour l’enracinement de la démocratie au Faso passe nécessairement par les réformes au sein de la justice. On doit obtenir du pouvoir :
    - Que les masgistrat élisent leur président du tribunal, le procureur,
    - Que le conseil constitutionnel (cour supprême) de la magistrature soit élu par les magistrats ;

  • Le 1er février 2011 à 09:58, par Altrasan En réponse à : L’AFFAIRE DE LA CENI : La pilule qui dérange

    Je suis tout à fait d’accord avec l’analyse faite par Aimé NABALOUM. En réalité, il faut considérer deux choses : le système et les hommes.
    Au niveau du système, c’est le régime même de la quatrième république qu’il faut reformer pour éviter que le président du Faso ne soit tout puissant notamment par la nomination des magistrats et autres juges ! On a coutume de dire qu’en démocratie, on a 3 pouvoirs généralement. On parle aussi de 4e pouvoir que constitue la presse et même de 5è pouvoir : celui de la rue (qui a parlé de la Tunisie et de l’Egypte ?) !Mais revenons en aux 3 pouvoirs de base en démocratie : exécutif, législatif et judiciaire. Pour être conforme à l’esprit démocratique et à l’indépendance de chaque pouvoir, il faut absolument éviter que ce soit un pouvoir qui décide du sort des deux autres (par des nominations par exemple !). Il faut donc reformer le système tout entier !
    Mais cela n’est pas forcément garant de démocratie, de paix et de stabilité. En plus de la réforme du système, il faut la réforme des esprits, bref, des hommes ! On peut décider que chaque pouvoir nomme ses responsables de manière libre et indépendante ; mais regardons un peu comment les élections se déroulent dans nos pays. Pour une casquette, un T-shirt ou un gadget, on est capable d’offrir sa voix pour 5 ans à un individu !
    Alors, reformons le système mais reformons les hommes aussi, cela nous éviterait des présidents de CENI prêts à valider des élections même avec 10 votants et des cartes d’électeurs illégales ! Il ne faut surtout pas penser que les peuples tunisiens et égyptiens sont très différents du peuple burkinabé ; seulement, chaque peuple à son seuil au-delà duquel plus rien ne peut l’arrêter.Certains ont attendu 30 ans mais ce n’est qu’un début ; à la suite, ce sont les peuples qui ont souffert 20 ans, puis 15 ans qui seront dans la rue. Je pense qu’on peut bien économiser ce genre d’étape de l’histoire...

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