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Laurent Dona Fologo en propagandiste de Laurent Gbagbo est encore moins crédible que lorsqu’il faisait le même boulot pour Félix Houphouët-Boigny ou Henri Konan Bédié (1/4)

Publié le mercredi 26 janvier 2011 à 01h08min

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Béatrice Gurrey, envoyée spéciale à Abidjan, a signé dans Le Monde daté du mercredi 19 janvier 2011 un papier sur les « sept semaines de solitude » de Alassane Ouattara, « président officiellement reconnu [qui] voit la situation lui échapper peu à peu ». Dans ce même numéro un « collectif » d’africanistes, universitaires et chercheurs de tous pays et de tous horizons, a signé un texte stigmatisant le « clan Gbagbo » (cf. LDD Côte d’Ivoire 0294/Mercredi 19 janvier 2011). Béatrice Gurrey, quant à elle, dénonce une « situation ubuesque » et souligne que « chaque jour contribue à l’affaiblissement de M. Ouattara, voire au renforcement de son adversaire ».

Mais la question n’est pas là. Elle est dans le devenir de la République de Côte d’Ivoire ; et si Gurrey laisse penser que, même si Ouattara a gagné l’élection présidentielle, Gbagbo est loin, très loin, d’avoir perdu le pouvoir, dénonçant par ailleurs « l’insistance de la communauté internationale à vouloir régler les problèmes des Ivoiriens à leur place », c’est qu’elle n’avait pas lu, encore, sans doute, le texte du « collectif ». Par contre, elle avait écouté Laurent Dona Fologo et fait publié l’entretien que celui-ci lui a accordé. La présentation que Gurrey fait de Fologo est elliptique : vingt-deux ans ministre de Félix Houphouët-Boigny, ancien secrétaire général du PDCI, président du Conseil économique et social. Autrement dit, il n’aurait rien d’un thuriféraire de celui qui est présenté comme « l’opposant historique » à Houphouët et serait donc apte à donner un jugement « éclairé ». Un peu court. Le rédacteur en chef d’un quotidien tel que Le Monde estime-t-il que Fologo est un interlocuteur crédible ? Notons d’ailleurs que Gurrey n’est pas spécialiste des relations internationales ; sous Jacques Chirac, elle était accréditée auprès de l’Elysée (elle a publié, en 2004, un livre sur les relations Chirac-Sarkozy).

L’histoire de Fologo est longue à raconter car son itinéraire n’est pas rectiligne. Placée sous le double signe de la girouette et du Kleenex, elle n’est pas facile à suivre. Mais on va s’y efforcer car elle est l’expression des dérives d’un homme qui, si on devait ériger un monument à la mauvaise foi, pourrait en être le modèle (j’ajoute que son histoire recouvre celle de la Côte d’Ivoire indépendante). Dans Le Monde (cf. supra), il dit ainsi au sujet de l’équipe de Ouattara « ghettoïsée » à l’hôtel du Golf : « Ils ne sont pas interdits de sortie et rien ne les empêche de regagner leur domicile. S’ils sortaient en force avec des rebelles armés, ils se heurteraient aux nôtres. En revanche, s’ils sortaient normalement il n’y aurait pas de problème ». Il dit encore : « Je n’ai jamais compris l’animosité presque féroce de la France envers Laurent Gbagbo. C’était l’opposant traditionnel d’Houphouët-Boigny. 80 % de ses difficultés sont venues de sa mauvaise relation avec Jacques Chirac qui était très proche d’Houphouët ».

Dona-Fologo est né le 12 décembre 1939 à Péguékaha, dans le « Grand Nord » de la Côte d’Ivoire, non loin de Sinématiali. Etudes secondaires à Dabou avant de rejoindre l’université d’Abidjan au début des années 1960 puis le Centre international de l’enseignement du journalisme de l’Unesco à Strasbourg et l’Ecole supérieure du journaliste de l’Université catholique de Lille en 1962-1964.

En 1964, Fologo a vingt-cinq ans. Il est de retour à Abidjan après quelques stages dans la presse française. Il sera, d’emblée, nommé rédacteur en chef du quotidien gouvernemental Fraternité-Matin. Cinq ans plus tard, il en devient le directeur général adjoint. Nommé au comité directeur et au bureau politique du PDCI en 1970, il entre au gouvernement en 1974 comme ministre de l’Information (tout en demeurant directeur général adjoint de Fraternité-Matin, c’est encore le temps du parti unique et les journalistes sont des… fonctionnaires). Quand il était étudiant à Lille, Fologo avait fait la connaissance d’une jeune française originaire de la région : Danièle Lamerand. Ils se marieront et auront trois enfants (Muriel, Christelle et David). De ce mariage « mixte », Houphouët-Boigny va faire la vitrine de sa politique de « dialogue » avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. En septembre 1975, le couple franco-ivoirien y effectuera une visite officielle, accompagné de Balla Keïta, autre personnalité majeure de la Côte d’Ivoire houphouëtiste, assassiné début août 2002 à Ouagadougou, assassinat qui a marqué le début de la « régionalisation » de la crise ivoirienne.

Fologo est donc entré au gouvernement à 35 ans. Il y fera une longue carrière. Ministre de l’Information de 1974 à 1978, il sera, par la suite, ministre de la Jeunesse, de l’Education populaire et des Sports (1978-1986), puis ministre de l’Information, de la Culture, de la Jeunesse et des Sports (1986-1989). Il va être exclu du gouvernement le lundi 16 octobre 1989. La Côte d’Ivoire est en déroute économique et sociale. Houphouët-Boigny tente de sauver les meubles. Il nomme 30 hommes pour gérer la crise ; Fologo n’en fait pas partie. Quelques mois plus tard, Alassane Ouattara, un homme du « Grand Nord » lui aussi, va être nommé premier ministre. La vieille garde des « houphouëtistes » va, pour l’essentiel, se retrouver sur la touche. On évoquera le nom de Fologo pour être ambassadeur en France ou en Afrique du Sud ; on ne fera que l’évoquer. Il se retrouve administrateur-gérant du magazine Voix d’Afrique qui bénéficiera, la première année, des subsides de Houphouët et de Mobutu. 200 millions de francs CFA (d’avant la dévaluation) tomberont dans l’escarcelle des promoteurs de la revue « faite par des Africains pour l’Afrique » (et plus encore pour ses chefs d’Etat). Une expérience de courte durée.

Fologo ne restera pas inactif, politiquement, pendant cette période. Il sera le « porte-parole du candidat Félix Houphouët-Boigny, planteur à Yamoussoukro » tout au long de la campagne en vue de l’élection présidentielle du 28 octobre 1990 (qui opposera Houphouët à… Gbagbo) et le candidat déclaré pour le poste de secrétaire général du PDCI que le chef de l’Etat a décidé de créer lors du IXème Congrès de l’ex-parti unique à Yamoussoukro, en octobre 1990. Houphouët sera élu à la présidence de la République mais Fologo sera battu lors des législatives qui suivront, le 25 novembre 1990, dans son fief de Sinématiali. Cela ne l’empêchera pas d’obtenir (après bien des négociations menées par Houphouët et… Ouattara), le 14 avril 1991, le secrétariat général du PDCI. Un PDCI au sein duquel les « rénovateurs » s’opposent aux « caciques ». Des « rénovateurs » qui, quelques années plus tard, alors que Henri Konan Bédié aura pris la suite de Houphouët, feront scission pour créer le RDR.

Au printemps 1991, sur la scène politique il y a donc Houphouët, président de la République, Bédié, président de l’Assemblée nationale et « successeur » désigné du chef de l’Etat, Ouattara, premier ministre, et Fologo, secrétaire général du PDCI.

Deux ans plus tard, le 7 décembre 1993, Houphouët meurt. Philippe Yacé - qui avait été, par le passé, le « dauphin désigné » - tentera d’empêcher l’accession directe de Bédié au pouvoir. Fologo va mener la bataille pour une application stricte de l’article 11 de la Constitution. Bédié devient président de la République. Ouattara démissionne. Fologo est nommé ministre d’Etat chargé de l’Intégration nationale. Il sera le directeur de campagne de Bédié en 1995 (élection à laquelle Ouattara sera prié de ne pas se présenter) puis deviendra, en 1996, ministre d’Etat chargé de la Solidarité nationale. Conservant pendant toute cette période son poste de secrétaire général du PDCI, il se retrouve en première ligne pour la campagne présidentielle de 2000.

A suivre
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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