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Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (1/2)

Publié le mardi 18 janvier 2011 à 00h13min

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A la fin de la semaine dernière (cf. LDD Burkina Faso 0240/Vendredi 14 janvier 2011), j’avais écrit que Blaise Compaoré, omniprésent dans les affaires régionales, l’était moins dans les affaires intérieures et que, du même coup, son Premier ministre, Tertius Zongo, occupait ce terrain. Normal. Cela fait plus de quinze ans que l’évolution chaotique de la Côte d’Ivoire pèse sur le présent et le devenir du Burkina Faso.

Il y a eu, par ailleurs, les dossiers togolais et guinéens à solder ; parmi d’autres. Par ailleurs, la capacité des Premiers ministres à gérer les affaires du pays ont permis au président du Faso de prendre quelque peu le large par rapport à la vie politique quotidienne. Ce temps-là est-il révolu ? Sans doute. Pour la bonne raison que la conjoncture régionale a évolué (même si rien encore n’est définitivement solutionné ; mais les solutions sont du ressort des pays concernés, plus de celui du « facilitateur ») et que les perspectives politiques à l’horizon 2015 ne sont pas celles qui étaient en vigueur à l’horizon 2010. Le nouveau gouvernement Zongo illustre, selon moi, ce double changement.

Pas de bouleversements majeurs. Plus d’arrivées que de départs. Et ces arrivées sont plus significatives que les départs alors que pour le précédent grand remaniement (cf. LDD Burkina Faso 0157/Jeudi 4 septembre 2008), c’était exactement l’inverse. Il y a désormais, au sein du gouvernement, deux ministres d’Etat. Le premier d’entre eux, Bédouma Alain Yoda, demeure ministre des Affaires étrangères et de la Coopération régionale. Le second s’appelle Bongnessan Arsène Yé ; il est ministre auprès de la présidence chargé des Réformes politiques. Son retour sur le devant de la scène n’est pas une surprise.

Yé est, incontestablement, un poids lourd de l’histoire politique contemporaine du Burkina Faso. Né le 10 octobre 1957, à Bagassi (province du Mouhoun), dans l’Ouest du Burkina Faso (entre Ouagadougou et Bobo Dioulasso, à quelques encablures de la voie ferrée de l’ex-RAN, la Régie Abidjan-Niger), Yé a rejoint, en septembre 1969, le Prytanée militaire du Kadiogo (PMK), à Ouagadougou ; bachelier en juin 1976, il va entrer alors à l’Ecole militaire de santé de Dakar, d’où il sortira docteur en médecine le 30 janvier 1984 (avec une thèse sur les problèmes de santé dans le village de Yaramoko, qui se trouve à quelques kilomètres au Nord de Bagassi où il a fait toutes ses études primaires).

Il a été directeur central du service de santé des forces armées nationales avant que la politique ne devienne sa raison de vivre au lendemain de la « Révolution ». Pas encore la trentaine, l’œil vif, avec un look de barbudos, le capitaine Yé s’affirmera comme le spécialiste des meetings et des grandes manifestations de la « Révolution » puis de la « Rectification ». On lui doit la publication, en 1986, de Profil politique de la Haute-Volta coloniale et néo-coloniale ou les origines du Burkina Faso révolutionnaire préfacé par le Camarade-Président Thomas Sankara. Coordinateur national des structures populaires, secrétaire à l’organisation du Front populaire et à son comité exécutif, chargé de suivre le fonctionnement de toutes les structures du Front (dont les Comités révolutionnaires n’étaient qu’une composante), il aura la haute main sur tout ce qui concerne l’agitation et la propagande, « l’agit-prop » chère aux bolcheviks.

Il sera le « monsieur Politique et Organisation » du Burkina Faso. Sur son bureau trônaient les bustes de Marx et Lénine. Pas par hasard. Ce « super-ministre » (mais il réfutait cette appellation) participait au conseil des ministres ; sa tâche était, me disait-il, de « coordonner le coordonnable et de faire en sorte que la Révolution révolutionne ». Avec la crainte, cependant, que la multiplication des structures politiques, localement et nationalement, n’entraîne le Front populaire « à ne plus gérer que des structures bureaucratiques ».

Yé va vivre les soubresauts de la « post-Révolution » : la « Rectification », le « Front populaire », la liquidation du commandant Boukari Jean-Baptiste Lingani et du capitaine Henri Zongo (« Tout est calme. Pas un coup de feu. La meilleure preuve en est que je suis à mon bureau en civil et non en tenue militaire », répondra-t-il à mon interrogation depuis Paris. Il dira par la suite : « En réalité, ils visaient tout simplement à mettre en place un régime militaire »), l’instauration de l’ODP/MT (Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail), la rédaction de la Constitution de 1991...

Le mur de Berlin était tombé, l’URSS s’était délitée, le multipartisme avait enflammé l’Afrique noire. Yé abandonnera le faso dan fani pour un costume croisé et une cravate qu’il avait bien du mal à supporter. Il abandonnera, aussi, le marxisme-léninisme (bougonnant, sans vraie conviction mais pour rester dans son personnage, contre « ces cons qui ont laissé s’effondrer le mur de Berlin ») au profit du libéralisme politique et de l’économie de marché.

En juin 1992, il sera élu président de l’Assemblée des députés du peuple. Chargé de mettre en route une institution majeure de la IVème République (« Les lois que nous adoptons, me dira-t-il alors, visent à mettre fin officiellement à la période de transition et à mettre en place les structures de l’Etat de droit »). Yé va être un personnage clé de la vie politique burkinabè pendant son mandat à la tête de l’Assemblée. Sa personnalité tonitruante (ce n’est pas un homme avec qui on s’ennuie et il est un des meilleurs connaisseurs des arcanes politiques du Burkina Faso des années « grises »).

En 1997, à l’issue de la première législature, il quittera le « perchoir » tout en étant régulièrement réélu député ; il rejoint le gouvernement de Kadré Désiré Ouédraogo : ministre d’Etat (10 juin 1997-2000) à la présidence du Faso puis à l’Agriculture et, enfin, à l’Environnement. Mais, s’il demeure « l’homme du parti » (l’ODP/MT, qu’il préside de 1993 à 1996, puis le CDP qu’il présidera jusqu’en 1999), Yé n’est plus en adéquation avec l’évolution de la société burkinabè même s’il en a été un des acteurs majeurs. Son nom évoquait, au tournant du siècle, bien plus l’ancien régime que le nouveau. Il avait été membre du bureau politique du CNR en 1986, secrétaire général national des CDR, etc. ; pas les meilleures références quand « l’affaire Zongo » fera la « une ». Il lui faudra laisser la place à la nouvelle génération, celle de la campagne présidentielle de 1998. Il quittera le devant la scène en étant promu colonel.

Dix ans plus tard, il y revient : ministre d’Etat, ministre auprès de la présidence chargé des Réformes politiques. Cela ne saurait étonner. Directeur exécutif du Centre d’études et de recherches sur les pratiques de la démocratie (Cerpradre), Yé avait appelé, le mardi 27 avril 2010, lors d’une conférence publique de l’Alliance des partis et formations politiques de la mouvance présidentielle (AMP), à une réflexion sur les réformes politiques et institutionnelles à mener : création d’un cadre de concertation des partis politiques, d’un Sénat, voies et moyens pour mieux séparer les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.

Autre caractéristique de Yé : il ne se déplace jamais sans l’article 37 de la Constitution, au cœur du débat politique ; plus encore dans la perspective de la présidentielle 2015. Le « 37 » limite à deux le nombre de mandats. « Il correspond à l’état actuel de notre démocratie. Nous devons consolider ce processus et ça ne cause aucun problème de lever la limitation du mandat présidentiel pour nous permettre d’avancer ».

Reste à savoir vers quoi on veut « avancer ». Pour l’opposition, pas de doute : vers la présidence à vie. Il y a quelques mois, sur cette question, j’évoquais le « syndrome Tandja ». Depuis ce week-end, c’est le « syndrome Ben Ali ». Partir à temps pour éviter de « mal partir » ? Le débat est, désormais, gouvernemental ; et national. Ce n’est pas la pire des choses.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 17 janvier 2011 à 21:00, par Tapsoba En réponse à : Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (1/2)

    “Partir à temps pour eviter le« mal partir » ? Le debat est desormais gouvernemental et national.Ce n est pas la pire des choses” Ben oui !! Comprenne qui pourra

  • Le 17 janvier 2011 à 22:08 En réponse à : Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (1/2)

    Belle conclusion. J’ai hâte de lire la suite de votre article. Rappelons que Ben Ali avait été élu avec 89,62% des voix mais vient d’être débarqué par son peuple. Si Blaise se leurre à croire que les 80% de ces élections suffisent pour justifier le charcutage de la constitution pour l’institution d’une présidence à vie, il sera surpris et partira par la fenêtre.

    A bon attendu, salut !

  • Le 18 janvier 2011 à 05:37, par Inoussa Verite En réponse à : Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (1/2)

    NE TOUCHEZ PAS A L’ARTICLE 37......................

    • Le 19 janvier 2011 à 16:45, par Guertigna En réponse à : Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (1/2)

      Mrs de la reforme politique, tout sauf l’article 37, n’y touchez pas, c’est la seule dignité qui nous reste lorsqu’on nous a tout pris.
      Au nom de la nation toute entière, on vous le demande. Ce pays là appartient à tous.

      Laissez le peuple décider de son sort. Il y a d’autres réalités à reformer politiquement. Le président Blaise COMPAORE a fait ce qu’il peut pour le bien être du pays, maintenant, qu’il s’arrête au bon moment.

      Les présidents Jerry Rawlings du Ghana, Abdoul Salamy du Nigéria,Alpha Omar Konaré du Mali et bientot ATT,se sont retirés de la scene politique et observent du dédans et du dehors les débats politiques de leur pays.

      Seulement il n’y a pas un homme de sa carrure pour conduire ce pays, quand on sait que les opposants sont divisés pour des interêts égoïstes.

      Il faudrait privilègé l’alternance au sein du CDP.

      Il faudra reformer surtout les corrupteurs et les corrompus.

      Construire de bonnes routes pour la circulation interne et les autoroutes.

      Créer les conditions de prise en charge des travailleurs dans les centres de santé urbains et semi-urbains.

      Dans les années a venir, la compétence de nos chefs d’état va se mesurer à leur capacité à écouter et à nourrir leur peuple.

  • Le 18 janvier 2011 à 10:03 En réponse à : Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (1/2)

    Belle publicité pour Ye que cet article dont le titre doit etre corigé. Du retour de Blaise Compaoré aux affaires nationales selon le titre, c’est plutot de Yé dont il est question. Esperons que ce monsieur "tiendra la route" pour l’interet national. Remarquez : au garage depuis son depart du gouvernement, simple deputé à l’Assemblée, le voilà ministre d’Etat. Sacrée progression !!!Mais sa docilit merite recompense. Que ne fera t il pas pour re meriter cette confiance ? L’article 37 ? A MODIFIER. Mais, pour etre court, disons qu’ un regime militaire reste un regime militaire, meme si on porte le costume cravate.

  • Le 18 janvier 2011 à 13:07, par corbbo En réponse à : Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (1/2)

    Avec le score de 80 pr cent de Blaise Compaore,il est inimaginable que l’opposition soit representee dans ce gouvernement.Il y a des signes de stagnation visibles quand les memes restent ou ceux qui etaient remercies reviennent.Dans la stabilite il ya toujours des risques de stagnation comme en Tunisie.Et quand ceux qui pronent la modification de la constitution(art.37)reviennent au pouvoir,cela laisse sceptique.Il faut s’abstenir de glisser vers ce qu’on pourra appeler une"republique monarchique".Nous ne somme pas en industrie automobile ou les hybrides montent en force.Nous sommes en republique.A bon entendeur salut !

  • Le 18 janvier 2011 à 14:59 En réponse à : Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (1/2)

    Blaise a été l’homme des bonnes offices des pays voisins en crise (Togo, Côte-d’ivoire, Guinée, etc.) et il sait l’origine de ces crises, en un mot, la dictature. Et il doit savoir que le peuple burkinabè ne se laissera plus faire. Plus que jamais, on doit renforcer la limitation du nombre de mandats à deux, que de penser à un dévérouillage de l’article 37 de notre constitution. Je pense qu’il aura le peuple en face, s’il s’amuse et cela d’ailleurs, pourrait éventuellement précipiter son départ, tout comme ce qu’à connu effectivement, le Niger et la Tunisie. Le peuple doit rester ferme sur ce point, pas de referendum, ni de vote à l’assemblée nationale concernant l’article 37 de la constitution. Ce n’est pas négociable. Et le peuple doit s’armer de courage et être prêt à ce combat.

  • Le 18 janvier 2011 à 15:47, par SAK SIIDA TI LOHORUM NA KETIN En réponse à : Le nouveau gouvernement de Tertius Zongo est aussi celui du retour aux « affaires intérieures » de Blaise Compaoré (1/2)

    Non !!! ils n’osent pas.Tellement Dieu fait grâce au Burkina que des enseignements viennent dans d’autres pays voisins pour en dissuader.S’ils persistent et signent GBAGBO serait le moindre mal pour la sous région.

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