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La victoire à la présidentielle 2011 de Abdoulaye Bio Tchané serait aussi la défaite des réseaux « évangéliques » au Bénin (1/2)

Publié le mercredi 12 janvier 2011 à 00h11min

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Abdoulaye Bio Tchané

On ne peut s’empêcher d’y penser. D’abord, parce que la Côte d’Ivoire est confrontée à cette même situation : un président élu face à un président battu dont les connexions avec les « évangéliques » sont notoires. Au Bénin, c’est la même chose. Et si le docteur Thomas Boni Yayi perd la présidentielle, il pourra s’en prendre à eux qui, via « l’affaire ICC-Services », ont littéralement pourri la dernière année de son mandat.

Ajoutons à cela que Alassane Ouattara et Abdoulaye Bio Tchané sont tous deux de confession musulmane. Et, cerise sur le gâteau, le 18 avril 2011, l’Eglise du Bénin célébrera les 150 ans de sa fondation. C’est dire que dans le contexte ouest-africain actuel, les occasions d’instrumentalisation de la religion ne vont pas manquer. Hélas. Mais cela ne saurait surprendre ; chaque jour on en mesure le poids, plus encore en cette période de retrait du politique au profit du… biblique.

Homme discret, qui pratique l’humilité avec un art que ne renierait pas des plus sahéliens que lui, ABT est désormais sur la ligne de départ pour la présidentielle qui doit se dérouler dans deux mois, en mars 2011. Né le 25 octobre 1952 dans le département de l’Atakora, à Djougou, au Nord-Ouest de Parakou (pas très loin de la frontière avec le Togo et quasiment sur le même parallèle que Kara, le fief de feu Gnassingbé Eyadéma), Bio Tchané y a fréquenté l’école des sœurs catholiques et l’école coranique. En 1965, il quittera Djougou pour le lycée Béhanzin à Porto-Novo (ex-lycée Victor Ballot) qui, alors, accueillait l’élite de la jeunesse du Dahomey. BEPC en 1969, bachot en 1972, installation en France (avant que ne soit déclenchée la « Révolution » du 26 octobre 1972), précisément à l’université de Dijon. Bio Tchané ambitionne alors d’être chef d’entreprise. Il obtiendra une maîtrise d’économie en 1976 et, après avoir servi « sous les drapeaux » pendant un an (c’est à cette occasion, me confiera-t-il un jour, qu’il a décidé de se consacrer aux affaires bancaires et financières), il rejoindra le COFEB à Dakar.

Diplômé d’études supérieures bancaires, Bio Tchané va intégrer la BCEAO à Cotonou. Il va y rester dix ans. Economiste, il y terminera sa carrière comme chef de service. Le gouverneur de la BCEAO (c’était alors Abdoulaye Fadiga, qui a été le mentor de Ouattara) l’incitera à étudier le système bancaire islamique. C’est à Chypre qu’il s’y consacrera. Nous sommes dans les années 1980. A la suite des chocs pétroliers, les milieux financiers arabes s’interrogent sur la possibilité de créer des banques islamiques en Afrique de l’Ouest. « On pensait alors, me précisera par la suite Bio Tchané, compte tenu des demandes d’implantation qui étaient formulées, que c’était un mouvement d’ampleur irréversible. Il fallait, au sein de la BCEAO, des cadres qui soient capables de comprendre comment fonctionnaient les banques islamiques qui ne prêtent pas avec intérêt ». Il ajoutera : « La pensée économique islamique est un courant de pensée très fort au sein de l’histoire générale de la pensée économique ».

Au lendemain de la chute du mur de Berlin, alors que le Bénin se lance dans un débat politique d’ampleur à l’occasion de la première grande Conférence nationale de l’histoire de l’Afrique noire, Bio Tchané poursuivra son parcours d’économiste international à Washington, au sein du FMI.

En 1992, alors que Charles Konan Banny assure en tant que gouverneur de la BCEAO l’intérim d’Alassane Ouattara, nommé premier ministre de la République de Côte d’Ivoire (avec pour directeur adjoint de cabinet le Béninois Pascal Koupaki, actuel numéro deux du gouvernement du docteur Thomas Boni Yayi), Bio Tchané sera nommé assistant du gouverneur au siège central à Dakar. Il se trouvera ainsi en première ligne lors de la dévaluation du franc CFA le 11 janvier 1994. En 1996, il y prendra la direction des études.

Le 18 mars 1996, Mathieu Kérékou remporte la présidentielle au Bénin. Albert Tévoédjrè est chargé de l’Economie et Moïse Mensah des Finances. Le gouvernement est vite confronté aux difficultés post-électorales. Il faut gérer les promesses ; c’est-à-dire rendre possible l’impossible. Le 15 mai 1998, Bio Tchané est appelé au portefeuille de ministre des Finances ; Tévoédjré conservera l’économie avant de payer l’échec politique de son groupuscule Notre Cause Commune (NCC) : il devra quitter le gouvernement en juin 1999. C’est l’occasion, pour Kérékou, de regrouper les finances et l’économie sous l’autorité d’un seul homme : Bio Tchané.

Cette entrée au gouvernement était aussi, pour Bio Tchané, un retour aux sources après quelques années de pérégrinations internationales : Dijon, Dakar, Nicosie, Washington, Dakar… « Je n’avais jamais envisagé de vivre ailleurs qu’au Bénin, dira-t-il lorsqu’il évoquera sa jeunesse. J’ai toujours aimé les voyages, mais je n’ai jamais envisagé l’expatriation. Quand je me suis expatrié, c’était à chaque fois pour des raisons particulières ». En 1998, il était donc de retour chez lui. Et il renouait ainsi avec son passé en étant nommé à un poste gouvernemental que son père avait occupé autrefois.

El Hadj Moussa Bio Tchané, originaire de Sèmèrè (commune de Ouaké) - à une cinquantaine de kilomètres à l’Ouest de Djougou, pratiquement sur la frontière avec le Togo -, avait été formé à l’Ecole normale William Ponty au Sénégal. Il en était sorti instituteur en 1944 et allait enseigner jusqu’en 1957 (il était en poste à l’école primaire de Parakou quand son fils est né, en 1952). Conseiller municipal de Djougou à compter de 1955, il sera alors nommé ministre de l’Enseignement technique et professionnel en 1957 puis ministre des Finances du Dahomey en 1958 (Sourou-Migan Apithy, leader du Parti républicain dahoméen, le PRD, est vice-président du Conseil de gouvernement présidé par le gouverneur du Dahomey). Il restera au gouvernement jusqu’en 1960 alors que Hubert Maga aura été nommé premier ministre, chef d’un gouvernement d’union ; au lendemain de l’indépendance (1er août 1960), Maga deviendra président de la République et Apithy vice-président, tous deux « rassemblés » au sein du Parti dahoméen de l’unité (PDU).

En 1961, Moussa Bio Tchané sera élu député avant de rejoindre la préfectorale où il va exercer en tant que sous-préfet de 1963 à 1974 (à Kétou, Tanguiéta, Dassa-Zoumé, Djougou). Il sera alors nommé chef de service des affaires religieuses au ministère de l’Intérieur avant d’être admis à la retraite en 1975. Il est mort le 25 novembre 1980 (à l’âge de 57 ans) et le trentième anniversaire de sa disparition a été massivement célébré à Djougou il y a moins de deux mois, le 25 novembre 2010. L’occasion également, pour son fils, Abdoulaye Bio Tchané, de compter ses amis politiques… et les autres dans la perspective de sa candidature à la présidentielle 2011.

Après neuf années passées à l’étranger, Bio Tchané retrouvait donc son pays natal. La mission que lui confiait alors Kérékou était de remettre de l’ordre dans les finances. « Les mentalités, les structures, pendant ces neuf années, n’avaient pas changé mais évolué, m’expliquera Bio Tchané. La seule attitude qui convenait, dans un tel contexte, c’était d’avoir une qualité d’écoute et d’aborder les questions humblement. Sans état d’âme ». Le soutien sans faille de Kérékou lui permettra de survivre aux « coups de torchon » qui caractérisent la vie politique et sociale du Bénin. Il se voudra « en pointe dans le combat contre la corruption » et se refusera à être considéré comme un technocrate : « Je suis un technicien de l’économie et des finances », me précisait-il.

A suivre

Jean-Pierre BEJOT<br<
La Dépêche Diplomatique

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