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Situation postélectorale en Côte d’Ivoire : Appel des Intellectuels d’Afrique et d’ailleurs

Publié le vendredi 7 janvier 2011 à 00h13min

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La crise actuelle en Côte d’Ivoire née de la situation postélectorale du scrutin du 28 novembre 2010 préoccupe plus d’un. Après les institutions internationales, continentales et sous-régionales, c’est au tour des intellectuels africains de donner leur position. A travers les lignes de cette déclaration, ils en appellent à “l’esprit démocratique de M. Laurent Gbagbo pour qu’en toute dignité, il respecte le résultat des urnes et la volonté du peuple... afin de céder le pouvoir au véritable vainqueur des élections : M. Alassane Ouattara”.

1. Arrivé au pouvoir en octobre 2000, Laurent Gbagbo a été confronté dès le 19 septembre 2002, à une crise militaro-politique à laquelle les accords de Linas-Marcoussis ont apporté une réponse révisée successivement lors des différents sommets d’Accra. En octobre 2005, arrive la fin légale de son mandat. Depuis cette date, la Côte d’Ivoire n’est plus régie seulement par sa Constitution, mais aussi par des Accords internationaux et des Résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies dont l’Accord de Pretoria signé en 2005, l’accord politique de Ouagadougou intervenu en mars 2007.

Adoptée par les principaux acteurs politiques ivoiriens dont Laurent Gbagbo lui-même, Henri Konan Bédié et Alassane Ouatarra à Pretoria, la certification des élections est adoptée par la Côte d’Ivoire et la communauté internationale en 2007 par la résolution 1765 des Nations unies. En tant que norme internationale, elle est réputée supranationale.

2. Après six reports successifs, l’élection présidentielle ivoirienne qui aura coûté 3 milliards et demi de dollars US, qui apparaît comme la plus chère au monde, s’est finalement déroulée le 24 octobre 2010 pour le 1er tour du scrutin. Ensemble, les 14 candidats retenus ont motivé le vote de 84% des électeurs. En dépit des réclamations du Président Henry Konan Bédié qui estimait avoir été lésé de 525 000 suffrages exprimés en sa faveur, les résultats provisoires annoncés par la Commission électorale indépendante (CEI) ont été proclamés par le Conseil constitutionnel en l’état, puis certifié par les Nations unies.

Le 2nd tour du scrutin est intervenu le 28 novembre 2010 à l’issue d’une campagne électorale émaillée de violences. Il a opposé le Président Laurent Gbagbo et l’ancien Premier du Président Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara. Laurent Gbagbo, le président-candidat, a unilatéralement décrété un couvre-feu le jour même du scrutin. Des mesures d’interdiction des médias étrangers viendront alourdir l’ambiance déjà surchauffée par les médias d’Etat qui affichent, sans nuance, leur parti pris.

3. Le mardi 30 novembre 2010, le porte-parole de la CEI, qui procédait à la proclamation des résultats par région, a été interrompu par deux représentants du président Gbabgo au sein de la commission. Des PV de vote ont été arrachés et déchirés, empêchant M. Yacouba Bamba, le Porte-Parole de la CEI, de continuer la proclamation des résultats. Finalement, le jeudi 02 décembre 2010, le Président de la CEI, M. Youssouf Bakayoko, proclamait le candidat Alassane Ouattara comme vainqueur avec 54,10% des voix contre 45,90 % pour le candidat Laurent Gbagbo.

S’autosaisissant du dossier, le Président du Conseil constitutionnel, après avoir invalidé les résultats de sept (7) départements (Bouaké, Korhogo, Ferkéssédougou, Katiola, Boundiali, Dabakala, Séguéla) tous situés en zone Centre-Nord-Ouest, a proclamé M. Laurent Gbagbo vainqueur de l’élection présidentielle 2010 avec 51, 45 % contre 48,55 % pour M. Alassane Ouattara. Intervenant en dernière instance, le représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies a, pour sa part, certifié les résultats provisoires collectés par la CEI et rejeté ceux proclamés par le Conseil constitutionnel.

4. Depuis lors, la Côte d’Ivoire semble avoir un président de la République de trop. Laurent Gbagbo, le président sortant, revendique la victoire au nom du Conseil constitutionnel et bénéficie du soutien d’une partie des forces armées. Considérant que ces institutions internationales agissent sous l’injonction du président français, le camp de Laurent Gbagbo insiste sur le nécessaire respect de la souveraineté nationale et dénonce un complot de la France et des Etats-Unis. Le complot consisterait à évincer Laurent Gbagbo, le patriote et le héros de l’indépendance nationale et de l’indépendance africaine, pour installer Alassane Ouattara, présenté comme le candidat de l’étranger, qui facilitera le pillage des immenses richesses nationales.

Dans le même temps, la télévision et la presse acquises au pouvoir sortant, protestent contre la « politisation de l’UEMOA » et considèrent que la CEDEAO a déclaré la guerre à la Côte d’Ivoire, mettant en danger leurs millions de ressortissants dans ce pays.

Quant à Alassane Ouattara déclaré vainqueur tour à tour par la Commission électorale indépendante puis par le Représentant spécial des Nations unies en Côte d’Ivoire, il bénéficie de la reconnaissance de la communauté internationale. Au nom de cette reconnaissance, il a obtenu l’exclusivité de sa signature et de ses mandants à l’Union monétaire ouest-africaine, puis à la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest et procède à des remplacements d’ambassadeurs.

5. La situation prêterait à sourire si elle n’avait pas déjà ouvert un champ d’insécurité intérieure où s’activent différents opérateurs de la violence militaro-politiques : milices locales, mercenaires libériens et angolais. Depuis le 28 novembre en particulier, les associations des droits de l’homme dont Human Rights Watch ont signalé des exactions graves dont des exécutions extrajudiciaires, des disparitions de personnes, des confrontations mortelles entre forces de défense et de sécurité et manifestants de l’opposition.

Le HCR estime à plus de 20 000, le nombre des personnes dont une majorité de femmes et d’enfants, qui, entre le 1er et le 27 décembre 2010, anticipant les violences qu’elles considèrent comme inéluctables, ont fui la Côte d’Ivoire pour se réfugier au Liberia. Dans les quartiers d’Abidjan, les partisans des deux camps redoutent chacun une attaque de l’autre, et chacun ne dort plus que d’un œil.

6. Après le prix Nobel Wolé Soyinka qui a déjà appelé le président Laurent Gbagbo à céder le pouvoir, les signataires du présent appel, des intellectuels relevant des nations africaines et ceux pour lesquels l’Afrique reste un engagement de vie, souhaitent contribuer à conjurer l’imminence de la confrontation. Vivement préoccupés de l’évolution de la situation en Côte d’Ivoire, ils restent néanmoins convaincus que les leaders politiques ivoiriens en général et le président Laurent Gbagbo en particulier, peuvent, par leur attitude respective, libérer les populations ivoiriennes et l’Afrique tout entière des angoisses qui les étreignent.

Les signataires du présent appel considèrent que l’arrêt de la Cour constitutionnel du 3 décembre 2010 n’a été inspiré ni par le droit ni par la justice. Il n’est pas fondé en droit ; il compromet gravement l’unité nationale tout en rendant un mauvais service à celui qu’il entend servir. Il contribue à l’isolement politique et diplomatique de la Côte d’Ivoire

7. L’arrêt du Conseil constitutionnel n’est pas fondé en droit car l’Article 64 du Code électoral ivoirien dispose : « Dans le cas où le Conseil constitutionnel saisi (par le candidat malchanceux), constate les irrégularités graves de nature à entacher la sincérité du scrutin et à en affecter le résultat d’ensemble, il prononce l’annulation de l’élection et le nouveau scrutin dont la date est fixée par décret en Conseil de Ministres sur proposition de la CEI a lieu au plus tard 45 jours à compter de la date de la décision du Conseil constitutionnel ». En conséquence, la loi ne reconnaît pas au Conseil constitutionnel le pouvoir d’annuler les voix des électeurs d’une ou de plusieurs régions, pour un motif ou un autre. En revanche, elle lui reconnaît le pouvoir de proclamer les résultats des élections telles qu’à lui transmises, et à défaut, d’annuler globalement lesdits résultats, appelant de ce fait à une reprises des élections.

8. L’arrêt du Conseil constitutionnel compromet l’unité nationale dans la mesure où l’annulation des votes dans les 8 régions citées plus haut, prive les habitants de leur droit de vote et donc de leur qualité de citoyen. Comment peut-on concevoir une république en expulsant un sous-ensemble de la nation de l’exercice du suffrage universel ? Au surplus, en ce qu’elle frappe des régions relevant de la zone anciennement sous le pouvoir de la rébellion, la mesure d’annulation régionale des suffrages, alimente le sentiment d’exclusion des citoyens relevant de ces régions qui, au demeurant, se plaignaient déjà de faits d’exclusion. Notons également l’ensemble des rapports des préfets sur le déroulement du scrutin indiquant que les élections se sont passées partout dans des conditions acceptables, corroborant ainsi les conclusions des rapports des observateurs internationaux.

9. L’arrêt du Conseil constitutionnel rend un mauvais service à Laurent Gbagbo en ce sens que le renversement des voix auquel il procède se révèle expéditif et illogique. Le Conseil constitutionnel ne conteste pas les voix acquises par Laurent Gbagbo, mais réduit les voix d’Alassane Ouattara de 54,10 à 48,55% tandis qu’il remonte celles de Laurent Gbagbo de 45,90 à 51,45%. Les votes annulés ne profitant à personne, comment comprendre que Laurent Gbagbo puisse gagner quelques 6 points, là où en fait, il a perdu au moins les quelques voix obtenues dans les régions mises au cœur du contentieux.

Alassane Ouattara ne peut perdre la totalité de ses voix dans le Centre et dans le Nord, sans que Laurent Gbagbo en fasse autant. Il s’ensuit que son score après la décision du Conseil constitutionnel ne peut pas être supérieur à celui annoncé par la Commission électorale indépendante. En conséquence, il devrait également descendre à 44,99% soit moins qu’Alassane Ouattara que le Conseil constitutionnel crédite de 48,55%.

D’où la déclaration de M. Choi, le représentant spécial des Nations unies en Côte d’Ivoire et le certificateur des élections, selon laquelle même après l’annulation des votes dans les 8 départements mis à l’indexe, M. Alassane Ouattara reste le vainqueur de l’élection présidentielle puisque 48,55% acquis par M. Ouattara selon le Conseil constitutionnel reste bien plus élevé que 44,99% acquis par M. Gbagbo. Dès lors, comment expliquer la différence de voix entre les 44,99% annoncés par la CEI et les 51,45% proclamés par le Conseil constitutionnel ?

10. Plus que jamais, la Communauté internationale parle d’une même voix, et de manière de plus en plus ferme. Déjà, des mesures coercitives ont déjà été adoptées par les Etats-Unis, l’Union européenne, les Nations unies contre des proches du Président Laurent Gbagbo. Les appels de la CEDEAO de l’UA, de l’UE, des USA, des Nations unies et des principales puissances de la planète (USA, Canada, Allemagne, France, Afrique du Sud, Nigeria…) se sont relayés pour réclamer une issue pacifique du conflit.

Le sommet extraordinaire des chefs d’Etat de la CEDEAO sur la Côte d’Ivoire tenue à Abuja, le 24 décembre 2010, a dépêché à Abidjan une délégation de haut niveau à l’effet de négocier le départ de Laurent Gbagbo, tout en indiquant « qu’en cas de rejet de la demande non négociable par Laurent Gbagbo, la Communauté n’aura d’autre choix que de prendre toutes mesures nécessaires, y compris l’usage de la force légitime pour réaliser les aspirations du peuple ivoirien ».

11. Au regard de ce qui précède, les signataires du présent appel demandent aux acteurs politiques ivoiriens : combien de morts faut-il à une élection présidentielle pour qu’enfin le vainqueur puisse se mettre au travail et redonner confiance aux populations et espoir à la jeunesse ? Ils invitent les leaders politiques ivoiriens à entendre l’immense besoin de paix et de justice qui montent des cœurs meurtris des populations ivoiriennes durement éprouvées depuis une dizaine d’années. Ils demandent aux parties en conflit de se retenir de tout mot d’ordre susceptible d’ouvrir ou de rouvrir de nouveaux champs de violence et de conflits.

Ils en appellent aux forces de défense et de sécurité pour qu’elles protègent les biens et les personnes vivant en Côte d’Ivoire, en tâchant de préserver en priorité les vies humaines. Ils en appellent à l’esprit démocratique de M. Laurent Gbagbo pour qu’en toute dignité, il respecte le résultat des urnes et la volonté du peuple comme il l’a promis lors du débat télévisé du 25 novembre 2010 et par conséquent, il cède le pouvoir au véritable vainqueur des élections : M. Alassane Ouattara.

Pour signer, prière d’envoyer vos prénoms et noms, fonctions et pays de résidence à : msambou728@gmail.com

28 décembre 2010

L’Observateur Paalga

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