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SYNDICATS : Commémoration de l’historique grève de décembre 1975

Publié le jeudi 23 décembre 2010 à 01h22min

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Les auteurs de la déclaration ci-dessous rappellent, dans un premier temps retracent comment les syndicats avaient pu contraindre le général Lamizana à renoncer à son projet de création d’un parti unique. Ils y peignent également un tableau sombre de la vie socio-politique nationale actuelle.

Camarades militantes et militants, travailleuses et travailleurs du Burkina Faso, Voilà 35 ans que les centrales syndicales et des syndicats autonomes du Burkina Faso ont, par une grève générale organisée les 17 et 18 décembre 1975, paralysé particulièrement la capitale, Ouagadougou. Comment et pourquoi en est - on arrivé là ? La Haute-Volta était dans sa deuxième République. Face à l’opposition permanente entre le Premier ministre Gérard Kango Ouédraogo et le président de l’Assemblée nationale, Joseph Ouédraogo, le Général Sangoulé Lamizana organisa le 8 février 1974, un coup d’Etat de palais. En dissolvant le gouvernement et l’Assemblée nationale, il mettait ainsi fin à la 2e République !

Le 30 mai 1974, le Général annonçait la suspension de la Constitution, l’interdiction des Partis politiques et la création d’un "Conseil consultatif national pour le renouveau (CCNR)" composé de 70 (soixante-dix) membres. Ce conseil était dirigé par un militaire, le Lieutenant - Colonel de Gendarmerie, Michel Démé. Il comprenait en son sein huit (8) représentants de centrales syndicales.

Le CCNR était chargé "d’émettre des avis motivés sur le programme du Gouvernement et de sensibiliser les masses populaires". Malgré leur présence dans ce Conseil, les syndicats appelaient à la vigilance, tout au long de l’année 1974. A l’occasion du quatorzième (14e) anniversaire de l’Indépendance, le Général Lamizana lançait cet avertissement : "Nous ne permettrons pas aux politiciens de se masquer sous le nom de syndicalisme pour semer la confusion et prêcher l’anarchie et la haine. Nous serons fermes et vigilants à l’égard de tout individu ou groupe cherchant à transformer les syndicats en organisations politiques".

Par la suite et contre toute attente, le Général annonce le 29 novembre 1975 la formation d’un "Mouvement national pour le renouveau (MNR)" qui devait constituer le cadre unique de l’activité économique, sociale, culturelle et politique du pays, en fait un parti politique unique. Tous les voltaïques étaient invités à rejoindre ledit mouvement. En effet, suite à cette déclaration, les syndicats organisent dès le lendemain 30 novembre 1975 un meeting à la Bourse du Travail de Ouagadougou. Au cours de ce meeting, ils dénoncent la politique extérieure de la Haute - Volta, dominée par la France.

Au plan intérieur, ils dénoncent le Mouvement national pour le renouveau (MNR) comme étant un parti unique et "demandent le retour à une vie constitutionnelle et démocratique normale", dénoncent les détournements de deniers publics dont ceux à la caisse de prévoyance sociale, et ceux des céréales destinées aux populations touchées par la sécheresse et ils annoncent le retrait de leurs représentants du Conseil consultatif national pour le renouveau (CCNR). Le 2 décembre 1975, les centrales syndicales CNTV, CSV, OVSL, USTV adressent une lettre tenant lieu de préavis de grève au ministre du Travail et de la Fonction publique dans laquelle ils rappellent les préoccupations suivantes :

"la gratuité effective de l’enseignement ; la révision des éléments composant le panier du SMIG ; la nationalisation effective et non la voltaïsation du service des eaux par le retrait total du capital privé et la gestion effective par les finances de l’Etat ; la révision du Statut général de la Fonction publique ; le réajustement des salaires de 30% en fonction du coût de la vie ; la révision de la pension de vieillesse pour les travailleurs retraités relevant du régime du code de travail ; l’abaissement des prix et des taxes sur les produits importés ; la démocratisation de l’enseignement et la liquidation de l’analphabétisme ; la révolution des techniques agricoles et une éducation réelle des paysans ; la vaccination gratuite du bétail ; la séparation des pouvoirs, un pouvoir populaire et démocratique ; l’arrêt du sous¬-emploi".

Et les responsables syndicaux concluaient ainsi leur analyse : "En cette fin d’année, nous constatons que rien de tout cela n’a fait l’objet d’un acte positif gouvernemental. Mais au contraire, depuis le mois d’août, les taxes augmentent et pire, la Constitution restant suspendue, le gouvernement du Renouveau national sans lever l’interdiction des activités politiques, déclare solennellement la création d’un parti politique qui doit servir de cadre à toutes les activités nationales. Considérant que nos légitimes revendications n’ont pas été satisfaites et qu’on n’en parle même pas, nous avons l’honneur de porter à votre connaissance que l’ensemble des travailleurs se mettront en grève de 48 heures sur tout le territoire national dans 15 jours à partir de la date de ce jour, 2 décembre 1975. Conformément au règlement en vigueur, la présente lettre constitue un préavis de grève."

La participation des travailleurs à cette grève fut extraordinaire : l’ensemble des travailleurs (syndiqués comme non syndiqués), ont répondu comme un seul homme au mot d’ordre des syndicats. Jamais dans l’histoire du syndicalisme burkinabè, voire africain, on n’a connu un aussi grand succès de grève. Tous les marchés de la capitale, y compris le marché central (actuel Rood Woko), furent fermés. Ouagadougou était vraiment, ce jour-là, une ville morte. Cette action exceptionnelle des travailleurs et de leurs organisations, contraignit le Général Lamizana à renoncer à son projet de création d’un parti unique.

Camarades militantes et militants, travailleuses et travailleurs du Burkina Faso

Tout comme en 1975, la situation nationale actuelle interpelle le mouvement syndical au double plan de l’exigence d’un véritable Etat de droit et de la défense des intérêts économiques et sociaux des travailleurs. En effet, au plan politique, malgré l’existence des structures de l’Etat de droit, la démocratie, dans notre pays, apparaît de plus en plus comme une démocratie verrouillée avec un pouvoir exécutif qui a sous son contrôle aussi bien le pouvoir législatif que le pouvoir judiciaire. De fait, la vie politique, mais aussi celle économique est tenue presqu’exclusivement par les tenants du pouvoir à travers le CDP, les partis de la mouvance présidentielle et la nébuleuse FEDAPI/BC.

La dernière élection présidentielle a été marquée par une très forte abstention des électeurs, expression d’un désintérêt manifeste des populations vis-à-vis d’un scrutin qui apparaissait comme sans enjeu, le vainqueur étant connu de tous. Si on y ajoute les nombreuses et graves irrégularités qui ont entaché ces élections, le refus des candidatures indépendantes et l’impunité, on perçoit toutes les limites de notre démocratie et leur caractère factice. La commémoration toute récente du cinquantenaire des indépendances formelles de 1960, qui aurait dû être un moment de bilan et de réflexion associant toutes les forces et couches sociales a plutôt donné lieu, bien souvent à des falsifications de l’histoire du pays et à une débauche de ressources.

Ainsi, les conférences régionales, les rencontres et autres bilans officiels ont généralement occulté l’importante contribution des organisations syndicales à la lutte pour les indépendances. Et d’importants moyens financiers ont été mobilisés pour donner à la commémoration un visage très festif, cela à un moment où les travailleurs et les populations peinent à satisfaire leurs besoins fondamentaux, à un moment où l’éducation et la santé connaissent des difficultés inouïes, à un moment où le gouvernement vient de doubler les coûts des actes de santé. Bref à un moment où on n’a pas besoin de lunettes pour se rendre compte qu’après cinquante années de la fameuse indépendance, on ne peut pas dire que la situation de notre pays est reluisante.

Sur le plan des conditions de vie et de travail, nous observons une similitude entre les préoccupations actuelles du monde du travail et celles de nos aînés des années 1970 : elles sont relatives au pouvoir d’achat, aux textes régissant les travailleurs, aux taxes, aux problèmes de santé et d’éducation, aux difficultés que connaissent les paysans, etc. La plupart de ces préoccupations, qui ont été soumises aux autorités à l’occasion de la dernière rencontre Gouvernement Syndicats de janvier 2010 n’ont pas reçu de réponses satisfaisantes.

Dans la perspective de la prochaine rencontre Gouvernement-Syndicats, nous avons adressé au Premier ministre une correspondance en date du 2 novembre 2010. Dans cette correspondance, nous avons rappelé les préoccupations actuelles du mouvement syndical notamment, celles contenues dans la plate-forme revendicative du 1er mai 2010 et celles relatives à la nouvelle tarification des actes des professionnels de la santé, aux agressions contre les libertés démocratiques et syndicales. C’est pourquoi, en ce 35e anniversaire des journées des 17 et 18 décembre 1975, les Secrétaires généraux des centrales syndicales et des syndicats autonomes, rendent hommage à nos devanciers pour leur engagement en faveur de la démocratie et de la cause des travailleurs.

Ils invitent leurs militantes et militants, l’ensemble des travailleuses et des travailleurs à s’inspirer de l’exemple des aînés pour s’engager fermement dans la voie de la lutte pour la défense des libertés démocratiques et syndicales, pour une gestion saine des biens publics, contre la vie chère, contre l’impunité, contre la privatisation de l’école et de la santé. Pour ce faire, ils doivent renforcer leurs cadres respectifs, et participer activement et massivement aux activités unitaires. En cette fin d’année 2010, marquée par des difficultés de tous ordres pour les travailleurs et les populations, marquée aussi par l’exacerbation de la crise en Côte d’Ivoire avec tous les risques qu’elle fait porter à l’ensemble de la sous-région, nous exhortons tous les travailleurs à la réflexion, à la modestie dans la préparation des fêtes de fin d’année, mais aussi à plus de détermination et d’engagement dans les luttes autour de leurs intérêts.

Vive les 17 et 18 décembre 1975 ! Vive l’Unité de lutte des travailleurs !

Ouagadougou, le 17 décembre 2010

Ont signé :

Pour les Centrales syndicales CGT-B Tolè SAGNON Secrétaire Général

CNTB Augustin Blaise HIEN Secrétaire général

CSB Jean Mathias B. LILIOU Secrétaire général

FO/UNSL Joseph L. TIENDREBEOGO Secrétaire général

ONSL Paul N. KABORE Secrétaire général

USTB El Hadj Mamadou NAMA Secrétaire général

Pour les Syndicats autonomes : Le Président du Mois Souleymane SO Secrétaire général du SYNATEL

Le Pays

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