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Adama Dramé : "Montrez-moi un seul artiste burkinabè qui fait carton à l’extérieur !"

Publié le lundi 20 septembre 2004 à 08h16min

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Adama Dramé est l’un des artistes musiciens burkinabè qui fait depuis longtemps la fierté de son pays à l’étranger. Après plus de 20 ans passés essentiellement en Côte d’Ivoire, il a finalement décidé de regagner le bercail où depuis, il partage sa riche expérience avec les jeunes artistes musiciens nationaux. Nous l’avons rencontré au secteur 14 (Bindougousso) de Bobo-Dioulasso dans son studio d’enregistrement inauguré, le 16 Août 2003. Il s’est prêté volontiers à nos questions.

Sidwaya (S.) : Après plus de 20 ans passés en Côte d’Ivoire, vous avez regagné votre pays juste avant le début de la crise que vit actuellement votre pays d’accueil. Avez-vous senti venir la menace ?

Adama Dramé : Je pourrai répondre oui. Vous savez, lorsque l’on vit dans un pays pendant plus de 24 ans, on doit ouvrir l’œil sur l’évolution politique et sociale de ce pays. En toute sincérité, je l’ai senti venir, cette crise. Il faisait bon vivre en Côte d’Ivoire depuis les années 1960 jusqu’en 1980. Mais à partir de cette date, on a commencé à parler d’étranger.

Par la suite, il y a eu l’ivoirisation des cadres et tout cela attire l’attention de tous ceux qui vivent dans ce pays. Moi, je l’ai senti venir, j’ai pris mes précautions. Jusqu’en 1990, on croyait que les choses allaient s’améliorer mais elles sont allées de mal en pis. On croyait que les politiciens allaient trouver une solution à l’ivoirienne, mais la situation s’est dégradée par la suite. En ce qui me concerne, j’avais prévu un jour ou l’autre revenir à la maison. Cela, parce que j’avais l’ambition de partager mon expérience avec les jeunes burkinabé et ça c’était ma motivation principale même si la situation en Côte d’Ivoire a un peu accéléré mon retour.

S. : On vous appelle souvent sous le sobriquet de "virtuose du djembé" ou "maître incontesté du djembé". Etes-vous de cet avis ?

A.D. : A vrai dire je ne suis pas le maître incontesté du djembé. Chacun a sa manière d’apprécier un artiste, de donner des qualificatifs qui lui semblent propices. Mais à mon humble avis je ne suis pas le maître incontesté du djembé heureusement, sinon cela serait grave. Au Burkina, il y a de très bons tapeurs de djembé que j’ai personnellement formés et qui n’ont rien à se reprocher sur le plan de la maîtrise de cet instrument de musique. C’est simplement par respect que l’on dit que telle ou telle personne est meilleure. La musique est un instinct naturel qui nous domine voilà pourquoi il y a des musiciens qui viennent et s’en vont mais la musique elle, reste toujours.

S. : 38 ans de carrière musicale, plus de 22 albums produits. Tirez-vous une satisfaction ?

A.D. : Bien sûr que oui. Parce que 38 ans de carrière musicale, cela représente beaucoup d’opportunités de rencontres d’échanges à travers le monde. C’est très encourageant et cela prouve que quand on a l’amour de quelque chose, on peut en vivre avec fierté. Je suis comblé de mes 38 ans de métier, de tout le travail que j’ai fait à travers le monde et particulièrement chez moi au Burkina Faso.

S. : Votre dernier album "Sya" a connu pas mal de péripéties avant sa sortie officielle le 6 février 2004. Que s’est-il passé ?

A.D. : Vous savez que Seydoni production est la seule maison de duplication de cassettes au Burkina Faso. Et cette société est tellement sollicitée qu’elle n’est pas à mesure de satisfaire tout le monde en même temps. C’est ce qui est arrivé avec mon album. C’était déplorable mais dans la discussion, nous avons finalement trouvé un terrain d’entente, une solution heureuse parce que quelque part on dit qu’un mauvais arrangement vaut toujours mieux qu’un bon procès. Et là je peux dire que cela a payé parce que je suis satisfait de la qualité du produit, c’est extraordinaire.

S. : Quels sont les sujets que vous évoquez dans vos chansons ?

A.D. : Dans mes chansons, j’aborde le vécu quotidien qui concerne tout le monde, des sujets d’actualité. Selon moi, l’artiste ne doit pas être seulement musicalité mais un messager qui se conforme à l’évolution de son pays, du temps. C’est pourquoi, je conseille toujours aux jeunes artistes de bien travailler les textes. Ça ne sert à rien de blesser les gens, de les agresser en voulant dépeindre une situation. On peut bien dénoncer des tares de la société sans agression. C’est ainsi que je travaille bien mes textes et je ne garde que ce qui est positif. Raison pour laquelle dans mon dernier album, "Sya" je parle de patrie, du respect, de la fierté, etc.

S. : Parlez-nous du studio d’enregistrement que vous avez ouvert depuis votre retour de l’étranger.

A.D. : Comme je l’ai souligné plus haut, j’avais depuis longtemps nourri le désir de partager mon expérience avec les jeunes artistes, d’apporter mon concours à la promotion de la musique burkinabè.

J’ai trouvé qu’un studio était le cadre idéal pour une telle entreprise. C’est un studio de 24 pistes numériques X 2 que j’ai baptisé "Studio Salifou 14" en mémoire de mon père. Ce studio, je l’ai réalisé pendant 18 ans sur mes économies. Tout compte fait, il m’a coûté autour de 160 millions de FCFA. Aujourd’hui, c’est une grande satisfaction morale pour moi de pouvoir offrir aux artistes de mon pays une structure de production de leurs oeuvres.

Je souhaite que de telles initiatives se multiplient parce que plus il y a des structures de travail professionnel, mieux les œuvres produites sont de qualité.

S. : Maintenant quel regard portez-vous sur la musique burkinabè ?

A.D. : La musique burkinabè d’aujourd’hui ne me convainc pas, comparativement à l’époque de l’Harmonie voltaïque. Ce qui est regrettable chez nos artistes musiciens, c’est l’insuffisance d’élaboration des textes. Il y a beaucoup qui se perdent à copier le reggae, le zouk et autres, au lieu de puiser dans la musique du terroir. Cela fait un peu peur. J’ai été choqué de constater que sur une radio de la place, on a créé une grille spéciale chaque jeudi pour la musique burkinabè. Je ne comprends pas, parce que la musique burkinabè doit être permanente dans la semaine, quitte à créer une grille pour la musique étrangère.

Pourquoi donc cet état des choses ? Simplement parce que la musique burkinabè n’est pas bien consommée par les Burkinabè et c’est ça le drame. Cette musique, la plupart du temps est une copie de ce qui existe déjà. Malheureusement, on n’est pas à la hauteur de cette copie parce que ce n’est pas notre culture. Ce qui fait particulièrement mal, c’est lorsque l’on entend que tel ou tel album fait tabac. C’est faux parce que lorsqu’on dit qu’un artiste fait tabac, c’est celui qui vend des millions de disques dès la sortie à l’intérieur et à l’extérieur de son pays.

Montrez-moi un seul artiste qui fait carton à l’extérieur du Burkina Faso. Moi je n’en connais pas. La musique burkinabè a plus de chances de percer sur le plan international à la seule condition que les artistes soient réalistes, travaillent sérieusement au lieu de passer leur temps à copier le Zook, le Reggae, etc. Et là aussi, ils copient mal.

Propos recueillis par Frédéric OUEDRAOGO

Sidwaya

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