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Génocide rwandais : Immersion dans les profondeurs de l’horreur

Publié le mardi 14 décembre 2010 à 02h28min

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9 décembre 1948, l’ONU adopte la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. On pensait alors que le "plus jamais ça" serait strictement observé après le génocide des Juifs, le génocide arménien... mais hélas. En Afrique de l’Est, dans la région des Grands-Lacs au Rwanda en 1994 des génocidaires ont fait "le travail" en "abattant les grands arbres", comme d’ailleurs les petits, à l’aide de machettes, de houes et de gourdins coulés.

Leur objectif était tout simplement inommable : exterminer les "Tutsis" et les "Hutus modérés". En seulement 100 jours, ils ont fait près d’un million de victimes. A la faveur de la commémoration du 62e anniversaire de ladite Convention, nous avons séjourné à Kigali sur invitation de la Commission nationale contre le génocide (CNLG) du 9 au 12 décembre 2010 ; ce qui nous a permis de toucher, quelque peu, à la réalité de ce crime des crimes au centre mémorial de génocide de Kigali.

En me rendant au Rwanda, pays de l’homme mince ainsi que l’Observateur paalga a surnommé le président Paul Kagamé, une seule question me taraudait l’esprit : aurais-je l’occasion de visiter le musée de l’horreur de Kigali ?

Heureusement, dès mon arrivée, un coup d’œil au programme élaboré par la Commission nationale de lutte contre le génocide (CNLG), et je vois qu’une visite y est prévue le 10 décembre à 16h.

Après deux jours où on a vu d’éminents orateurs succéder les uns aux autres (nous y reviendrons dans nos prochaines éditions), nous voici au parvis du centre mémorial de génocide de Kigali.

Hautement gardé, l’accès à ce lieu nous a été ouvert après le passage au scanner. Du briefing du guide permanent, Serges Rwigamba, on retient que le génocide, qui a eu lieu du 6 avril au 7 juillet 1994, fut le plus rapide de l’histoire et l’un des événements les plus atroces du XXe siècle.

Par des tueries en masse, y compris de femmes enceintes et des enfants, les génocidaires voulaient exterminer des Tutsis sans donner une chance à aucune autre génération de ceux-ci d’émerger. Dans ce mémorial, entre 250 et 300 000 tués ont été enterrés dans 14 fosses communes.

Après "ce souhait de bienvenue", le guide nous invite, comme il est d’usage, à commencer la visite par un dépôt de gerbe devant la première fosse commune, dont on voit à travers la vitre le linceuil qui recouvre les cerceuils.

"Ce bloc contient les restes des corps pour leur accorder de la dignité ; dans chaque cercueil, il y a des familles entières", nous confie le guide. Avant de nous introduire à l’intérieur du musée, on nous fait observer une minute de silence.

En brandissant des photos comme preuve, le guide nous indique que les Rwandais vivaient en harmonie avec une même langue et une même identité, même s’il y avait quelques stratifications socioéconomiques. Mais L’idéologie de suprématie d’une ethnie à l’égard d’une autre a été, selon lui, introduite par les colons.

Cette condescendance va se transformer en une idéologie haineuse qui opposera les Hutus aux Tutsis, entretenue par les politiciens avides de pouvoir. L’intolérance atteint son point culminant en 1994 dans un contexte de guerre civile, où le gouvernement, constitué de Hutus, était opposé au Front patriotique rwandais, accusé d’être formé de "Tutsi".

Dans une barbarie sans borne, le gouvernement et ses milices s’attaquent aux "Tutsi" à l’intérieur du pays et aux Hutus modérés (ceux-ci étaient considérés comme des traitres), qui tentent de protéger ces derniers, et ce, avec la bénédiction des médias, notamment la tristement célèbre radio "Mille collines". La communauté internationale a, quant à elle, quitté le pays au moment où on avait besoin d’elle.

Je ne peux pas manger

Les photos et les écrits qui tapissent les murs étayent à chaque fois le récit de Serge Rwigamba. Les génocidaires n’ont pas eu besoin d’armes de destruction massive pour commettre leur sale besogne. Ils n’avaient, pour la plupart, que leurs armes blanches et leur folie meurtrière.

Dans la salle, où on voit les photos de quelques victimes et leurs restes (crânes et membres bien blanchis), toute personne se tait et se met à méditer.

Dans la pièce réservée aux enfants victimes, on ne peut qu’avoir l’estomac noué d’amertume et de chagrin. Beaucoup d’entre eux, tout sourire ou en train de s’amuser, ont les récits de leur vie en guise de légende sous leur photo.

Dans une chambre d’à côté, on retrouve des biens personnels des victimes, notamment des vêtements. En sortant de ce musée, mes pensées se sont métamorphosées et je m’interrogeais comme les contemporains du philosophe Diogène Laërce :

qui est l’homme ? Alors que l’"Homo homici lupus" de Thomas Hobbes qui a dit que l’homme est un loup pour l’homme veut me forcer la main, je puise dans mes croyances pour dire qu’il y a meilleure définition de celui qui, selon ces Saintes-Ecritures, a été créé à l’image de Dieu.

Sur les lieux après notre visite, le Premier ministre rwandais, Bernard Makuza, a lancé les archives du génocide, qu’on peut consulter sur www.genocidearchiverwanda.org.

A la fin, l’hôtel Mille collines nous a offert un cocktail. Seulement, les hôtesses, avec leur umushanana (habit traditionnel au Rwanda) taillé sur mesure, ne savaient pas que j’ai juré de ne pas prendre un ver d’eau dans ce lieu d’horreur.

C’est pourquoi je me suis retiré avec mes confrères Tao Abdoulaye des Editions "Le Pays", Davis Koffi de Fraternité Matin et Dorine Ekwé de "Mutation" ; comme si tous ceux-ci avaient pris la même décision que moi, ils ont refusé les petits-fours que leur proposaient une hôtesse mais, face à l’insistance d’une deuxième, plus perséverante, tout le monde cède sauf moi.

Elle me demande en kinirwandais pourquoi je boude son invitation, je lui fais un signe de la main que je suis en carême. Elle regarde sa montre et me demande de quelle religion je suis. Je le lui dis et elle, à son tour, me dit qu’elle est catholique. Pour ceux qui en doutent, soyez rassurés, le "Pasteur" est resté lui-même.

J’ai encore compris qu’une idéologie ethnique, raciale ou religieuse entre les mains des politiciens est très dangereuse pour un pays voire pour l’humanité, en cela que, tel un feu de forêt, elle ravage tout sur son passage. Les Rwandais semblent avoir compris cela en se donnant la main pour construire leur avenir.

Abdou Karim Sawadogo (De retour de Kigali)

L’Observateur Paalga

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