LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Dakar célèbre la « Renaissance africaine » dans un contexte politique et social sous-régional particulièrement délicat

Publié le mardi 14 décembre 2010 à 02h28min

PARTAGER :                          

C’est l’expression des contradictions qui traversent en ce moment l’Afrique (mais le monde « occidental » n’est pas épargné, lui non plus). A Dakar, le 3ème Festival mondial des arts nègres (Fesman III) vient de s’ouvrir. « Soyez prêts pour la grande bataille des Etats-Unis d’Afrique », a lancé aux jeunes Africains le président Abdoulaye Wade. Unir l’Afrique quand les pays africains se désunissent. Beau challenge.

D’abord, plus personne ne croyait que le Fesman III allait, effectivement, être organisé. Reports multiples ; dates annoncées et, bientôt, démenties ; comité d’orientation à géométrie (très) variable compte tenu, notamment, des bouleversements au sein de la classe politique sénégalaise et, ailleurs, de la lassitude des uns et des autres ; mise en cause des responsables techniques ; accusation de prévarication, etc. Et puis voilà, qu’enfin, le Fesman III est lancé aujourd’hui même (vendredi 10 décembre 2010). Mais à Dakar, si le Fesman est le « grand sujet » de conversation (il est vrai qu’au Sénégal, les sujets de conversation ne manquent jamais !), on se préoccupe aussi de ce qui se passe, actuellement, ailleurs, en Afrique. Et les sujets de… préoccupation ne manquent pas.

Le Fesman ne sera pas une mise entre parenthèses de ces sujets-là. Bien au contraire. Il est l’occasion de réfléchir à l’évolution de l’Afrique contemporaine ; et pourrait s’imposer comme un espace de discussion tant il est évident que le besoin de communiquer est devenu une priorité pour une génération qui, au-delà des « nouvelles technologies » a besoin d’échanges (corporels) et de dialogue (direct). Il est à espérer que le Fesman IV se tiendra très rapidement et qu’il ne faudra pas attendre que l’Afrique se délite plus encore pour l’organiser (je rappelle : Fesman I en 1966 à Dakar, Fesman II en 1977 à Lagos).

10-31 décembre 2010. Il était temps. L’année du cinquantenaire des indépendances s’achève. C’est, en quelque sorte, le Sénégal qui l’avait ouverte avec l’inauguration du « monument de la Renaissance » (cf. LDD Sénégal 0126/Lundi 5 avril 2010) ; et le Fesman va la boucler. Du week-end de Pâques à la Saint-Sylvestre ! Mais, entre temps, il y aura eu les élections présidentielles en Guinée et en Côte d’Ivoire. Des présidentielles tout autant attendues (et reportées) que le Fesman et dont le déroulement n’a pas répondu à l’attente des populations et des responsables politiques. C’est dire que Dakar est préoccupé par ce qui se passe à Conakry comme à Abidjan. A Abidjan surtout, si tant est que l’on se soit habitué (hélas), depuis de trop longues décennies, à ce que la Guinée soit en ébullition permanente.

Il est rare de voir Wade prêt à baisser les bras face aux aléas de la vie politique africaine. Pas totalement désespéré, certes ; mais préoccupé. Et exprimant clairement cette amorce de désespérance. C’était à l’occasion de « l’entretien » diffusé par France 24 et RFI. Le « Vieux », qui voit se concrétiser un de ses rêves (le Fesman), aurait sans doute aimé terminer l’année 2010 avec des perspectives plus réjouissantes. Laurent Gbagbo lui gâche quelque peu la fête. Et lui mine le moral. « Je ne vois pas de solution » à la crise ivoirienne, déclare-t-il ; « Moi, je ne sais pas » ce qu’on peut faire dès lors « que Gbagbo ne veut pas partir », ajoute-t-il.

Abdoulaye Wade dresse un état des lieux sans concession de la situation ivoirienne. Cela fait cinq ans que la Côte d’Ivoire n’a pas connu d’élection présidentielle et « cela ne peut pas durer indéfiniment ». L’armée républicaine devrait être garante de la défense des institutions, ce qu’elle ne fait pas ; « Il y a eu scission au sein de l’armée [entre les pro-Gbagbo et les pro-Ouattara] mais pas de conflit ouvert au sein du commandement ». « Le dernier espoir, explique-t-il, est dans les amis de Gbagbo » afin de l’amener à un comportement plus démocratique ; mais, ajoute-t-il, « ceux qui ont essayé ont récolté une réponse négative ».

Guillaume Soro, que Wade présente comme le « leader du Nord » plutôt que comme premier ministre, ajoutant qu’il est ministre de la Défense, ne restera pas, manifestement, les bras croisés. Wade craint donc que le « conflit entre les hommes » devienne un « conflit entre les populations » et que le Conseil de sécurité des Nations unies ne soit conduit à « mettre en œuvre des mesures extrêmes ». Ouattara « résiste », note Wade, mais « jusqu’où pourra-t-il résister sans aller à la confrontation ». Il ajoute ce double conseil : d’une part, « il faut toujours avoir les moyens de sa politique » ; d’autre part, « il faut toujours être en phase avec la Cédéao, l’Union africaine, le Conseil de sécurité ».

Wade note par ailleurs que le fait de « s’entendre » vaut mieux que la « confrontation » dès lors que cela est possible. Il cite en exemple, sans s’étendre d’ailleurs sur ce dossier, « l’affaire guinéenne ». Alpha Condé déclaré vainqueur du second tour d’une présidentielle dont le premier tour avait été écrasé par Cellou Dalein Diallo, cela suscite bien sûr des interrogations (cf. LDD Guinée 026/Mercredi 17 novembre 2010) ; que Wade exprime avec ce qu’il faut de retenue : « Il avait fait un bon score. Il est encore jeune, il aura d’autres opportunités ». Ce qui ne consolera pas la population peule guinéenne qui a la désagréable impression de s’être volé sa victoire.

Autre sujet de rancœur de Wade : « le dossier Hissène Habré ». L’ancien leader tchadien, renversé par Idriss Déby en 1990, s’était exilé au Sénégal. En 2006, l’Union africaine avait demandé à Dakar de le juger « au nom de l’Afrique » pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité, torture… La mise en œuvre de ce procès traîne. Et Wade est sous pression internationale. Ce qui fait que son exaspération est totale. « J’en ai assez. Je vous le dis très clairement, je veux m’en débarrasser. Franchement, je regrette d’avoir accepté. Parce que je n’ai pas obtenu le minimum de soutien et de compréhension que je cherchais. Actuellement, je veux que l’Union africaine reprenne son dossier. Point final ». Wade se désespère que l’Afrique, « un grand continent […] n’arrive pas à trouver un pays pour juger un Africain » mais, ajoute-t-il, « les gens sauront que j’ai tout fait pour l’éviter ». Habré ? Il est prêt à l’expédier en Belgique ou « à le renvoyer chez lui. C’est un Tchadien ».

Il n’est pas un entretien avec le « Vieux » au cours duquel les interviewers feront l’impasse sur son âge et sa volonté d’être candidat à sa propre succession. Pas que quoi entamer la sérénité de Wade. « Je me porte très bien. Je n’ai pas de complexe du fait de mon âge », rappelant que sa famille a compté quelques centenaires très en forme. Pour ce qui est de la prochaine présidentielle, pas d’état d’âme non plus. « Je suis candidat. Mon parti me soutient. Le conseil constitutionnel jugera de la constitutionnalité de cette candidature ». Pour le reste, « il faut laisser aux Sénégalais le droit et la liberté de s’exprimer. C’est à eux d’apprécier. J’ai fait de très bonnes choses ; je veux les poursuivre au cours d’un nouveau mandat ». S’agit-il de « chauffer » la place pour son fils, Karim ?

La réponse est tout aussi sereine laissant entendre que s’il décidait de présenter la candidature de Karim à la présidence, il ne sera plus, alors, au pouvoir ; pas de succession dynastique ; juste une élection ! Morose le « Vieux » ? Cet entretien pourrait le laisser penser. Mais quelques heures après sa diffusion par RFI et France 24, Wade enflammera Dakar et le stade Léopold Sédar Senghor avec son savoir-faire habituel, lors de la cérémonie d’ouverture du Festival mondial des arts nègres (Fesman III). Deux mots suffiront à Youssou Ndour pour résumer cette soirée : « Merci président ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique