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1-Décembre : Qu’avons-nous fait de nos 50 ans ?

Publié le lundi 13 décembre 2010 à 00h20min

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A l’image de seize autres anciennes colonies africaines de la France, le Burkina Faso a commémoré, ce samedi 11 décembre 2010, le cinquantième anniversaire de son indépendance : Bobo-Dioulasso aura ainsi été, le temps d’un week-end, la capitale politique du pays, puisque c’est dans la ville de Sya que les principales manifestations ont eu lieu ; en grande pompe comme on dit souvent.

Défilé militaire et civil auquel on assisté une dizaine de chefs d’Etat et de gouvernement ; inauguration d’infrastructures à la pelle ; banquets somptueux ; activités culturelles, notamment une soirée artistique avec la présence de Jermaine Jackson (frère de la défunte pop star) et qui aura, à elle seule, nécessité la mobilisation de cinq cent millions de francs CFA (1). Combien ce devoir de mémoire va-t-il nous coûter au finish ?

On ne le saura peut-être jamais. Certains y verront une nécessaire halte pour une introspection commune, un indispensable coup d’œil dans le rétroviseur pour mieux négocier le virage ; d’autres, un rien démago, y percevront au contraire des dépenses somptuaires, une dilapidation savamment organisée de deniers publics qui auraient pu être fort utiles ailleurs.

Qu’importe, en ces temps de “souvenir et d’espérance” (2), on ne peut s’empêcher de se demander : qu’avons-nous fait de nos 50 ans ? Grande question et exercice périlleux s’il en est dans un cadre aussi étroit comme peut l’être un éditorial. Pour y répondre, et sans que cela ne soit une excuse absolutoire, il faut sans doute avoir présent à l’esprit les contraintes objectives d’un pays pauvre et enclavé comme celui-là, qui a failli d’ailleurs ne pas exister (3) et dont la principale richesse était sa population, premier produit d’exportation s’il en fut vers les eldorados ivoirien et ghanéen.

Sans débouché sur la mer, sans matières premières rentables, sous-éduqué (n’en ajoutons plus), s’il y a bien un Etat qui est mal parti pour reprendre l’expression de René Dumont (4), c’est bien celui-là. Nous venons donc de loin, de très loin, de sorte que les acquis socio-économiques, pour insignifiants qu’ils puissent paraître, prennent l’allure de grands bonds en avant, comparé à ces pays de cocagne où coulent le lait et le miel mais dont on se demande souvent ce qu’il font de leurs richesses.

Car des avancées, sauf à vouloir pécher contre l’esprit, il y en a eu, même si de gros efforts restent encore à fournir pour faire du Burkina un pays “émergent”. Comment ne pas suivre la courbe ascendante des services sociaux de base : scolarisation, accès à l’eau potable (qui nous a du reste valu récemment un satisfecit international) et aux soins de santé primaires, produit national brut par habitant, etc.

A titre d’exemples, le taux national d’accès à l’eau potable est passé, selon le PNUD, de 18,3% en 1993 à 66,3% en 2007 et, entre 1997 et 2008, le nombre de centres de santé et de promotion sociale (CSPS) a cru de 751 à 1352 dont 1039 avaient les effectifs requis. Cela dit, le ratio nombre d’habitants par personnel de santé est parfois loin des normes de l’OMS : on avait ainsi, en 2008, 1 médecin pour 31 144 habitants (là où l’OMS recommande 1/10 000).

A la même période, par contre, le Burkina enregistrait 1 infirmier pour 3 105 habitants pour une norme de 1/5000. Plus dur était et reste sans doute de faire évoluer les mentalités sur des sujets de société tels l’excision, le mariage forcé et d’autres tares prétendument culturelles tant il est vrai, pour citer Einstein, qu’il est plus facile de désintégrer un atome que de détruire un préjugé.

Mais même dans ces domaines, des progrès notables ont été enregistrés, fruits de la conjugaison de la sensibilisation et de la répression. Sans oublier les infrastructures routières. Et quand bien même il ne faut jamais se comparer au pire si on veut avancer, il suffit, pour s’en convaincre, de voyager un peu pour ce rendre compte qu’on a fait du chemin, au propre comme au figuré.

Et que dire du respect des libertés individuelles et collectives nonobstant d’épisodiques graves enfreintes qui ont pu aller jusqu’à l’élimination ou à l’atteinte à l’intégrité physique. La proximité du 11-Décembre au 13-Décembre, jour anniversaire de l’horrible assassinat de Norbert Zongo, est là pour nous le rappeler.

En ce jubilé d’or, force est aussi de reconnaître que la Nation, au sens plein du terme, est encore à construire, et des soubresauts viennent nous rappeler parfois la fragilité de l’édifice national. Pour tout dire, chaque génération, et les dirigeants qu’elle a eus, a apporté, selon le mot du poète, de la terre à la terre pour bâtir notre maison commune, avec plus ou moins de bonheur.

Sur ce chapitre, il faut reconnaître que si Thomas Sankara, au nombre de ses hauts faits d’armes, a mis le Burkina sur orbite et rendu leur fierté aux Burkinabè, la construction du Faso entamée sous le CNR de façon volontariste, pour être juste, a connu un coup d’accélérateur sous Blaise Compaoré.

Il est vrai cependant qu’il a eu le temps avec lui, car c’est plus facile de faire ce qu’il a fait en 23 ans qu’en 4, même si on a vu des règnes plus longs qui ont fait moins bien. Ce qui n’autorise cependant pas ses adulateurs à chanter à tue-tête l’indispensabilité du Blaise architecte comme s’il était immortel.

Or hélas, l’envers du décor de ce bilan, le revers de la médaille du cinquantenaire, c’est qu’il n’y a pas, si on peut dire, une juste répartition de la pauvreté, et la misère est particulièrement rampante. Les inégalités se sont d’ailleurs creusées et deux Burkina se côtoient aujourd’hui sans se voir vraiment à plus forte raison se fréquenter.

Rarement, il aura été aussi abyssal, le fossé entre les nantis, toujours plus fortunés au point de sombrer dans l’arrogance bien connue des nouveaux riches à la réussite aussi fulgurante que suspecte, et les crève-la-faim, plus impécunieux que jamais. Revers inévitable d’une économie de marché, d’un capitalisme à marche forcée entamée depuis le début des années 90 ? Allez savoir !

De plus, si l’on croit de nombreux Burkinabè, la corruption est devenue endémique, et les relations suspectes entre les magnats de l’économie et les gourous du complexe militaro-politique ne sont pas de nature à embellir ce qui est parfois plus imputable à la perception et au procès en sorcellerie qu’à des faits indubitables.

Quid du chômage, particulièrement celui des jeunes diplômés que l’école burkinabè, pour le moins inadaptée, déverse chaque année par cargaisons entières sur le marché de l’emploi et qui constitue un terreau propice à l’instabilité si rien n’est fait ?

Certes, des mesures souvent cosmétiques et circonstancielles sont prises, mais rien de bien vigoureux et de structurel pour endiguer le fléau. Oui, il y a encore du boulot, beaucoup de boulot sur cette terre des hommes dont on loue pourtant l’ardeur au travail.

En matière de diplomatie, notre politique étrangère est passée du rapport de bon voisinage et du pacifisme des années 60-70 à un interventionnisme belliqueux aux desseins parfois inavouables, une image qu’on travaille à gommer depuis quelques années avec les galons de médiateur qu’acquiert Blaise Compaoré au fil des crises dans la résolution desquelles il est impliqué.

Dans le domaine de la politique intérieure, le chantier est encore plus immense, ce qui constitue à tout le moins un paradoxe pour qui connaît l’histoire institutionnelle de la Haute-Volta au Burkina, car la régression est nette. Du parti unique des soleils des indépendances, on a abouti 50 ans plus tard à... un monolithisme de fait après les parenthèses de sang des Etats d’exception. Rien à voir avec le multipartisme et l’expérience démocratique exceptionnelle des années 70 quand un président en exercice (Sangoulé Lamizana), de surcroît militaire, a été mis en ballotage par un quasi inconnu (Macaire Ouédraogo).

Aujourd’hui, on cherche en vain des hommes politiques de la trempe de Maurice Yaméogo, Daniel Ouezzin Coulibaly, Nazi Boni, Joseph Ouédraogo dit Joe Wéder, Issoufou Joseph Conombo, Gérard Kango Ouédraogo, Palé Welté Issa ou Joseph Ki-Zerbo. A cause, en grande partie, de la monopolisation de la scène politique par l’ODP/MT puis le CDP et son chef qui, en 50 ans d’indépendance, aura régné près de la moitié du temps. Et il n’est pas près de partir, puisqu’on veut lui tailler un bail à vie au palais de Kosyam en sautant le verrou limitatif du nombre de mandats présidentiels.

L’élan démocratique enclenché dans les années 70 s’est brisé ainsi à partir de 80 avec la césure des coups d’Etat à répétition, une situation qui s’est aggravée en 1983 avec l’arrivée aux affaires des jeunes turcs de la révolution, qui ont émaillé le territoire de leurs structures populaires (CDR, CR), dont l’ODP/MT fut, grosso modo, l’émanation à la renaissance démocratique. Nous en portons encore aujourd’hui les stigmates et les tares. Et ce serait encore plus malheureux si le nouvel accès de tripartouillite aiguë qui s’est emparé des puissants du moment devait connaître sa phase éruptive.

Sans verser dans le Burkinapessimisme et l’autoflagellation des uns, qui voient le diable partout et peignent tout en noir ; ou l’autosatisfaction béate des autres, dont l’horizon s’arrête aux portes de Ziniaré, en ces temps d’introspection on ne peut qu’esquisser ce tableau en clair-obscur plus proche de la réalité avec l’espoir que demain sera beau.

La rédaction


Notes

- (1) Source : Jeune Afrique n°2603 du 28 novembre au 4 décembre 2010

- (2) Thème central du jubilé (3) cf “Le pays qui faillit ne pas exister”, notre édito du vendredi 10 décembre 2010 (4) Agronome français, auteur, en 1966, de “L’Afrique noire est mal partie”

L’Observateur Paalga

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