LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Frontière ivoiro-burkinabè : Mogo ma mogo wélé (1)

Publié le jeudi 11 novembre 2010 à 02h45min

PARTAGER :                          

Dans son article intitulé : « Transport routier Burkina/Côte d’Ivoire. La grève du volant » (cf l’Observateur paalga du mardi 31 août 2010), notre confrère San Evariste Barro évoquait les tracasseries subies par les transporteurs à la frontière ivoiro-burkinabè comme en a témoigné un conducteur : « Aujourd’hui, si je quitte le port d’Abidjan avec 500 000 FCFA en poche, je ne pourrai pas arriver à Ouagadougou sans demander une rallonge financière auprès de mon patron. Les faux frais sont trop élevés ». Une situation qui les avaient conduits à manifester leur ras-le-bol à travers un débrayage du 30 août au 1er septembre 2010. Les voyageurs en plus doivent se soumettre à des conditions fixées par les Forces armées des forces nouvelles qui contrôlent la zone. L’ensemble des frais de passage va de 500 à 10 000 F CFA comme a pu le constater l’envoyé spécial de l’Obs. pour la couverture du premier tour de l’élection présidentielle à Bouaké lors de sa traversée.

« Djo, ya des clients ! Ils sont deux, donc ça fait bonus ! » Nous ne sommes devant ni une boutique ni un étal d’un marché quelconque, mais bien au poste de police frontalier de la Léraba (premier poste de contrôle ivoirien à la frontière du Burkina et de la Côte d’Ivoire), tenu par les Forces armées des forces nouvelles (FAFN).

Et les « clients » sont en fait deux passagers d’une compagnie de transport burkinabè en partance pour Bouaké, dont l’auteur de ces lignes, envoyé spécial de l’Obs. dans le chef-lieu de la région du Bandama partis à la guérite se faire viser les passeports. Pour ce service, il faut débourser 1000 F CFA, et alors l’on se voit exempté du contrôle sanitaire, soumis, lui aussi, à condition. L’absence ou « l’oubli » de son carnet de santé est sanctionné d’une amende de 2000 F CFA, si l’on veut bien négocier, ou de 8000 F CFA lorsqu’on préfère se faire établir le sauf-conduit sur place.

Et on en prend pour son grade quand on veut implorer la clémence gratuite des ex-rebelles en leur servant une phrase du genre : « Mon frère, pardon, je n’ai pas 2000 F CFA ! », comme c’est le cas de ce passager sans carnet de santé et n’ayant pas la somme demandée. La réponse claque aussitôt : « Quel pardon ? Toi tu connais pardon ? Quand pardon est décédé, t’es allé à ses funérailles ? Y avait combien de bâches ? » Un autre passager professe sa bonne voie : « Chef, je vous jure que j’ai oublié mon carnet en sortant de chez moi parce que j’ai changé de pantalon ».

« Djo, on n’est pas à l’église ici, et puis, en sortant de chez toi, pourquoi t’as pas oublié ton bao (NDLR : fusil en “noutchi”, utilisé là pour désigner l’organe génital masculin) ? » S’étant fait traduire le mot « bao » par un voisin, le voyageur n’insiste pas et casque. Parce que je me suis mis à l’écart pour répondre à un coup de fil, un jeune rebelle m’interpelle : « Vieux père abogayiss (mes connaissances en noutchi ne me permettent pas de traduire ce terme), on dit quoi ? il faut me gérer un togo kan je vais gérer la djagaille (il faut me donner 100 F CFA, je vais me payer des cigarettes) ». Une pièce de 100 F CFA fera l’affaire de « mon petit » qui lâche en guise de merci : « Vieux père, t’es puissant ! »
De l’autre côté du pont

Un de mes compagnons de route est, lui aussi, accosté de la même manière, mais mieux initié à l’argot ivoirien, il se défait rapidement de son vis-à-vis : « Ah, ça ment mon petit, le vieux père est blessé, on dirait lion blessé ! La prochaine fois ! » - « Mais lion blessé fait toujours peur wo, vieux père, mais tu as bien gbayé (parlé), y a pas drap, la prochaine fois ! », répond l’ex-rebelle en rejoignant ses compagnons. Drôle de premier contact avec les démobilisés.

Il faut dire que notre convoyeur nous en avait déjà prévenu au moment où l’on franchissait le pont de la Léraba : « Il faut que vous sachiez que vous avez laissé “la paix” derrière vous et que vous arrivez maintenant à “mogo ma mogo wélé” (personne n’a appelé personne, en langue dioula) ».

Il ne croyait pas si bien dire, car, aussitôt l’ouvrage d’art franchi, l’accueil est totalement différent d’avec celui de Yendéré (dernier poste burkinabè) : en effet, les « bon voyage » et « bonne chance » ont fait immédiatement place à un « Djo, faut faire un rang tout droit, gnan (ici) mogo ma mogo wélé » à la barrière ivoirienne, où tous les passagers ont dû descendre du car pour passer à pied après avoir déboursé 200 F CFA chacun.

Après le contrôle sanitaire, on embarque encore, mais avec, cette fois-ci, un nouveau venu en treillis des Forces nouvelles sur la jaquette duquel on peut lire cette inscription : « Mon corps à la patrie, mon âme à Dieu, mon honneur et ma dignité à moi » sur la poitrine.

Notre nouveau « convoyeur », comme il se présente lui-même, entreprend de nous expliquer les règles du jeu de la suite du voyage : « Bon, pour passer au corridor, vous devez me donnez 300-300 (300 F CFA chacun), sinon, arrivés là-bas, on vous descend et vous allez payer 500 F CFA. Et celui qui a une marchandise dans le car doit me signaler ça avant qu’on n’arrive pour que je gère ». Il commence ensuite à encaisser l’argent tout en discutant des marchandises, dont les plus gros lots, pour lesquels leurs propriétaires doivent débourser 5 000 FCFA.

Certains rechignent à casquer pour la nième fois un droit de passage, ce qui a le don d’énerver notre convoyeur en treillis, qui prend à témoin son collègue, le vrai : « Y a 4 personnes qui ont refusé de donner leur 300-300, si on arrive au corridor, ils vont descendre dèh et puis vous allez gérer ». Ce dernier entreprend alors de sensibiliser les récalcitrants. Mieux vaut payer tout de suite pour ne pas avoir de problèmes.

Quelques-uns s’exécutent, mais l’employé de la société de transport est obligé de compléter de sa propre poche la part de ceux qui « n’ont plus de monnaie ». Entre temps, un nouveau passager à embarquer. Ce « gentil » jeune homme, qui se présente comme étant M. Kambou, commence à distribuer des bonbons à l’emballage jaune à tous les voyageurs.

Ce n’est, en fait, qu’un geste commercial, car il explique ensuite les raisons de sa présence et les bons remèdes qu’il nous apporte, notamment des « remèdes simples et gratuits pour guérir à partir de la nature ».

Tout le long de la route, les arrêts se multiplient, car il faut montrer patte blanche avant de franchir la demi-douzaine de barrages qui jalonnent le parcours jusqu’au niveau du corridor nord, placé quelques kilomètres après Katiola.

Après mon séjour à Bouaké dont les péripéties ont été relatées dans les éditions du jeudi 28 octobre au vendredi 05 novembre 2010, j’appréhendais la nouvelle traversée de la frontière lors de mon retour le samedi 06 novembre. Mais cette fois, ce fut beaucoup plus fluide. Juste 1500 F CFA à débourser et voilà la terre des hommes intègres.

(1) Littéralement, personne n’a appelé personne en langue dioula

Hyacinthe Sanou de retour de Bouaké

L’Observateur Paalga

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Plongez dans l’univers infini de Space Fortuna Casino