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Eglises baptistes : que veulent-elles en Côte d’Ivoire en particulier et en Afrique de l’Ouest en général ?

Publié le lundi 13 septembre 2004 à 07h31min

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Faut-il parler de constat d’échec ? Echec du "politique". Voilà le "religieux" qui arrive au grand galop et occupe le terrain. En Côte d’Ivoire tout particulièrement mais pas seulement. Même s’il est avéré que ce sont les ivoiriens qui sont, tout à la fois, l’objectif et le vecteur de cette nouvelle croisade religieuse.

C’est le quotidien La Croix qui l’annonce dans son numéro daté du vendredi 20 août 2004. A l’occasion d’une conférence baptiste organisée à Abidjan et à laquelle participait Simone Gbagbo, l’épouse du chef de l’Etat ivoirien, l’Eglise protestante baptiste Oeuvres et Missions a annoncé qu’elle allait engager un programme de 500 millions de dollars en Côte d’Ivoire. Il s’agirait de construire une cinquantaine d’hôpitaux (dont la moitié de plus de 450 lits), 25 écoles, de la maternelle à la terminale, une université. Selon La Croix, Oeuvres et Missions a été fondée en 1975 par le pasteur Dion Yayé Robert "sous les auspices de la Convention baptiste du Sud, basée aux Etats-Unis".

C’est le groupe français Vinci (ex-SGE) qui serait chargé de ce programme. Dirigée par Antoine Zacharias, c’est le numéro 1 mondial du BTP depuis qu’elle a détrôné Bouygues, bête noire de Gbagbo en Côte d’Ivoire où le groupe avait, sous Houphouët-Boigny et Bédié, une forte implantation et des relations privilégiées avec la classe politique ! Vinci, quant à elle, est une entreprise qui connaît bien l’Afrique.

Le 10 juillet 1992, Christophe Mitterrand, le fils aîné du président de la République française qui quittait l’Elysée où il était conseiller pour les affaires africaines et malgaches, annonçait à l’AFP qu’il rejoignait la Société générale d’entreprises (SGE) pour y conseiller Antoine Zacharias qui en était alors le directeur général.

Que les églises US aient lancé une OPA sur la Côte d’Ivoire n’étonnera personne. Chacun sait qu’une "garde rapprochée d’évangéliques conseille et soutient le chef de l’Etat, Laurent Gbagbo" (dixit Le Nouvel Observateur dans son récent dossier sur les "Evangéliques, les croisés de l’Apocalypse "). J’ai déjà évoqué le mimétisme entre le discours "politique" de Gbagbo et le discours "religieux" des églises messianiques ivoiriennes (cf LDD Côte d’Ivoire 051/Vendredi 13 décembre 2002). Mais on peut s’étonner de l’ampleur de l’engagement pris par les baptistes US même si chacun connaît leur puissance.

Pour s’en convaincre, il suffit de lire les mémoires de Bill Clinton (Ma Vie, éditions Odile Jacob), originaire de l’Arkansas, le "Vieux Sud". Clinton forme, avec Harry Truman et Jimmy Carter, le trio des présidents US baptistes. John D. Rockefeller et Martin Luther King ont été des figures emblématiques (dans des domaines différents) de cette église dont la star incontestable est le prêcheur Billy Graham, fondateur de la Billy Graham Evangelical Association (BGEA) dont le budget annuel dépasse 30 millions de dollars.

Clinton souligne que, dans les années 1990, "la Convention baptiste du Sud [...] saisie de rigorisme moral, entreprit de purger ses séminaires de tous les mal-pensants "libéraux" qui s y trouvaient et opéra un virage à droite sur toutes les questions sociales, hormis sur la question raciale" (1’Arkansas a été terre d’élection de la ségrégation raciale, notamment sous le gouverneur Orval Faubus - six mandats consécutifs ! - qui s’était illustré, en 1957, en refusant l’intégration de neuf enfants noirs au lycée Little Rock Central).

Cette annonce intervient alors que le Pape vient de nommer (c’était le samedi 31 juillet 2004) Mgr Mario Roberto Cassari, italien, 61 ans, archevêque titulaire de Tronto, comme nonce apostolique en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso et au Niger (avec installation à Abidjan). Mgr Cassari était jusqu’alors nonce apostolique à Brazzaville. Il prend la suite de Mgr Mario Zenari, archevêque titulaire de Zuglio, qui a été récemment nommé à Sri Lanka.

Mgr Zenari, avant de quitter Abidjan, avait annoncé que "le Pape a été informé de la situation qui prévaut en Côte d’Ivoire. Il m’a demandé d’être son interprète auprès des hommes politiques ivoiriens pour qu’ils redoublent d’efforts [dans la recherche d’une solution à la crise]". Le fait qu’un homme ayant une longue expérience de l’Afrique soit nommé à Abidjan souligne l’intérêt que le Vatican attache au dossier ivoirien. Le Saint-Siège n’a d’ailleurs pas ménagé ses efforts pour que la rencontre d’Accra III puisse aboutir (cf LDD Côte d’Ivoire 0122/Mardi 3 août 2004).

L’Eglise catholique va avoir fort à faire pour reconquérir le terrain face aux baptistes US. Un de mes partenaires, qui séjournait récemment à Ouagadougou a pu constater que dans un restaurant ivoirien de la capitale burkinabè tenue par une bété (l’éthnie de Gbagbo), les baptistes US y menaient des actions de "conscientisation" auprès d’un groupe d’une vingtaine de personnes. Le discours du baptiste US (qui faisait référence au combat mené, autrefois, pour l’abolition de l’esclavage et, aujourd’hui, pour le développement de l’Afrique) était traduit en français, en mooré et en malinké !

Il faut rappeler que le capitaine français Binger, qui en 1889 avait assuré la première liaison entre le Nord-Sénégal et le Sud-Est de la Côte d’Ivoire, de confession protestante, avait souhaité l’évangélisation de la Côte d’Ivoire (colonie fondée le 10 mars 1893 et dont il a été le premier gouverneur) par l’Eglise catholique. "Il faut faire de la propagande religieuse, disait-il, parce que c’est de la propagande française et, quelles que soient nos sympathies, nous n’avons pas le choix de la religion à proposer, car l’islam nous fait des rivaux et des ennemis et, sur le continent africain, le protestantisme fait des sujets anglais".

C’est ainsi que le 28 octobre 1895, débarqueront à Grand-Bassam, les pères Hamard et Bonhomme, de la Société des missions africaines de Lyon (la scène est représentée sur le grand vitrail de droite en entrant dans la cathédrale Saint-Paul à Abidjan).

Le catholicisme va se propager lentement en Côte d’Ivoire. Il va rencontrer la concurrence des "prophètes" qui vont se multiplier dans la nouvelle colonie. Le plus remarquable d’entre eux a été William Wadé Harris apparu à la fin de l’année 1913 (il était originaire du Liberia) qui a donné naissance à un culte particulièrement actif : l’Eglise universelle harriste dont le siège se trouve à... Bingerville (qui a été la deuxième capitale de la colonie après Grand-Bassam et avant Abidjan).

Les harristes sont officiellement reconnus en Côte d’Ivoire (Félix Houphouët-Boigny leur avait rendu hommage en 1964 à l’Assemblée nationale). Ils revendiquent plus d’un million de fidèles. Dans le sillage de Harris, beaucoup de prophètes vont prôner un "nationalisme spirituel", les Noirs devant avoir, au même titre que les Blancs, leur religion.

Il y a là Albert Atcho, dit "la chicote des sorciers", Niava Dagri, dit "Papa Nouveau", etc... Ils ont multiplié les cultes et les églises dans le Sud et se définissent comme des "Chrétiens célestes". Ils sont des millions dans le Sud de la Côte d’Ivoire (les prophètes ont un penchant particulier pour le pays Alladian, dont la capitale est Jacqueville, berceau des quelques milliers d’ivoiriens d’origine ivoirienne).

Leur message est simple : "Il faut se soumettre aux autorités supérieures, car toute autorité vient de Dieu. Un véritable chrétien n’a pas le droit de s’élever contre l’autorité en
place, ne doit pas participer à un complot contre l’Etat. Celui qui s’oppose à l’autorité résiste à l’ordre que Dieu a institué. Samuel. Chapitre 15, Verset 23 : Dieu à horreur de la désobéissance. La résistance est condamnable".

On peut en sourire. Sans oublier que le pasteur US Pat Robertson, fondateur de la Christian Coalition, affirme : "J’entends Dieu me dire que l’élection en 2004 sera une explosion. George W Bush gagnera facilement. Peu importe ce qu’il fait, bien ou mal, Dieu le soutient car c’est un homme pieux et Dieu le bénit".

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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