On se rappelle que depuis la détention à Genève du fils du dirigeant libyen, Hannibal Kadhafi, et l’affaire des deux Suisses retenus pendant plusieurs mois en Libye, le climat de confiance entre Berne et Tripoli s’était fortement détérioré au point que le leader libyen avait même appelé au "djihad" contre la confédération helvétique. Qui, mieux que Kadhafi, excelle dans les diatribes et dans les frasques ? Il veut, comme dans la Grèce antique, être vénéré comme Hélios, le dieu du Soleil et de la Lumière. Personnage excentrique, énigmatique et versatile, le président libyen donne l’impression d’être en porte-à-faux ou en déphasage avec notre époque, tant il parait singulier et unique en son genre. Toutefois, il doit s’aviser que le continent européen est une terre de liberté. Et chaque citoyen y va de ses convictions et de ses opinions, à telle enseigne que les chefs d’Etat européens eux-mêmes ne sont pas à l’abri de pasquins et de médisances.

Si cette forme de liberté demeure une chimère en Libye, elle est par contre vitale en Europe. En tout cas, ce qui n’est pas imaginable et faisable en Libye, l’est par contre en Europe, n’en déplaise au "roi des rois". La polémique consécutive à cette affaire d’affiches entre les autorités suisses et le Mouvement citoyen genevois (MCG) qui en est l’initiateur, prouve à suffisance que la liberté d’expression n’est pas une simple vue de l’esprit en Europe. Si sous d’autres cieux, notamment en Libye, les auteurs d’une telle action citoyenne pouvaient risquer l’échafaud, les autorités genevoises, au nom du sacro-saint principe de la liberté d’expression, n’ont pu que porter plainte contre ces derniers et ordonner la "modification" de l’affiche.

On peut objecter qu’en estant en justice contre la Suisse, pour "outrage à chef d’Etat", Kadhafi donne l’impression d’être dans sa logique de défendre l’image de l’Afrique contre la vision paternaliste et réductrice des Occidentaux. C’est vrai, nul ne peut nier le combat du Guide libyen pour la renaissance de l’Afrique. Sur tous les fronts, il multiplie les efforts pour un continent noir enfin réhabilité. Quel Africain ne l’a pas vivement acclamé quand il a récemment exigé et obtenu de l’ancienne métropole, en l’occurrence l’Italie, un dédommagement pour exploitation et asservissement du peuple libyen ? Mais n’empêche, il pèche souvent par son aversion pour la démocratie pluraliste. L’homme a souvent de bonnes idées, mais il lui manque parfois du tact. Pour tout dire, le Guide libyen doit revoir sa copie si tant est qu’il souhaite paraître plus crédible aux yeux de la communauté internationale. Le monde évolue et il doit s’inscrire autant que possible dans cette dynamique.

Boundi OUOBA

Le Pays