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Burkina Faso - Mauritanie : Les dossiers noirs de Ould Taya

Publié le vendredi 10 septembre 2004 à 11h50min

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Le langage diplomatique, comme chacun le sait, a ses usages. Il est tout de nuances et suffisamment châtié pour couvrir les sentiments les plus divers d’un voile de pudeur. Depuis que les accusations fusent de la capitale mauritanienne, faisant état de l’implication de la Libye et du Burkina Faso dans une tentative de déstabilisation du régime mauritanien, les autorités burkinabè sont restées fidèles à cette ligne de conduite, s’autorisant tout juste de battre en brèche un montage aussi grossier qu’inopportun.

Mais pour sûr, derrière ces mots convenus, doivent se cacher une colère et une exaspération face à cette déferlante paranoïaque et d’une débilité primaire qui ne trompe que ceux qui veulent vraiment l’être.

A l’image de ce que dit le célèbre chimiste Lavoisier, « rien ne se perd, rien ne se crée ; tout se transforme ». C’est à l’intérieur de la Mauritanie et de la politique qui y a cours ; qu’il faut rechercher les causes des déboires du régime en place depuis deux décennies. Lorsqu’en vingt ans de pouvoir, on traîne un bilan aussi lourd que le sien en prétendus complots, avec les répressions qui vont avec, en arrestations, exécutions extrajudiciaires, humiliations, tortures, et autres exactions, il ne fait aucun doute que c’est à l’intérieur qu’il faut chercher les racines du mal et non ailleurs. La Mauritanie est malade depuis ce 12 décembre 1984 qui a vu le colonel Ould TAYA s’emparer des rênes du pouvoir suite à un putsch.

Elle est malade depuis que ce dernier, en l’absence d’une légitimité populaire, a donné un tour de vis à la politique d’exclusion et de marginalisation des Noirs et s’est lancé dans une quête bien singulière : celle d’une légitimité raciale, disons arabo-berbère pour un pays dont la composante de cette race ne représente même pas le tiers de la population alors que celles négro-africaine (Peulhs, Wolfs, Bambara, Soninkés) et Haratines, ces descendants d’esclaves noirs, sont largement majoritaires. C’est à cette population de métissage pluridimensionnel que le colonel moustachu s’en est pris pour la « laver plus blanc que blanc ».

Exclusions et humiliations pour les Noirs

On imagine aisément d’ici le séisme engendré au sein des groupes visés par cette opération d’épuration, et de chosification. Le choc est à la mesure de ce que des organisations de défense des droits de l’homme n’hésiteront pas à appeler un génocide couvert d’une chape de silence à la lisière des mondes arabo-berbère et négro-africain.

Pour illustrer l’ampleur de la démarcation physique, certains observateurs feront même référence à un autre crime contre l’humanité, celui perpétré contre les Kurdes par un certain Saddam HUSSEIN. Le parallèle n’est pas gratuit quand on sait que le dictateur irakien était le protecteur et l’inspirateur de Maouyia Ould TAYA. C’est tout dire.

Ce n’est pas non plus un hasard si du jour au lendemain en 1989 à la faveur du conflit entre la Mauritanie et le Sénégal, des milliers de négro-mauritaniens se sont retrouvés de l’autre côté du fleuve, en partie sénégalaise, chassés comme des malpropres, spoliés et humiliés par d’autres Mauritaniens qui n’avaient que le droit de la peau blanche avec eux.

Encore que ces nouveaux parias pouvaient se féliciter d’avoir eu la vie sauve contrairement à des milliers de leurs frères d’infortunes torturés à mort dans les géoles de Ould TAYA. L’ouvrage de Mahamadou SY, un rescapé de ces camps de la mort, intitulé « L’enfer d’Inal » du nom d’un de ces camps, est révélateur de la barbarie avec laquelle a été opérée l’élimination programmée des négro-mauritaniens, surtout au sein de l’armée.

Pour aller jusqu’au bout de sa logique, Ould TAYA multipliera les appels du pied vers le monde arabe en intégrant l’Union du Maghreb arabe, dans le même temps qu’il mettra en œuvre un plan de dénonciation de la participation de son pays dans certaines organisations sous-régionales comme la CEDEAO et l’OMVS, deux exemples de solidarité et d’intégration de l’espace Ouest-africain qui font la fierté du continent africain.

C’est dire l’hérésie du régime de Nouakchott, sa myopie politique et ses inclinaisons racistes. C’est ainsi que le pays, en quête inlassable d’identité, va petit à petit sombrer dans un isolement diplomatique lourd de conséquences surtout après les déboires de son mentor lors de la première guerre du Golfe. En définitive, c’est vers Israël que cette politique de l’autruche va finalement le mener, ce qui va soulever tout naturellement l’ire de certains pays arabes.

Le plus virulent, ce sera la Libye de Kadhafi qui ne passera pas par quatre chemins pour crier au traître à la cause arabe. Ce n’est donc pas étonnant que ce pays soit en bonne place dans la liste approximative des exportateurs de troubles dressée par Ould TAYA ! Bien mince comme preuve surtout que le colonel de Mauritanie et ses camarades n’ont pour argument que le passé tumultueux de la Libye qu’ils invoquent pour dire que ses dénégations actuelles sont futiles et que demain elle reconnaîtra les faits.

Un vulgaire règlement de comptes

Pour ce qui est du Burkina Faso, l’argumentaire n’est guère mieux lotie parce que la partie mauritanienne se contente de citer des noms d’opposants qui auraient séjourné au pays des « hommes intègres » sous de faux noms, et de spéculer sur un scénario rocambolesque d’attaque contre le pouvoir. Sur l’éventuelle, présence d’opposants mauritaniens au Burkina Faso, il faut dire que cela n’a absolument rien d’extraordinaire.

D’une part parce que nos frontières en Afrique sont poreuses et d’autre part parce que le Burkina Faso ne peut pas empêcher des Africains qui ont maille à partir avec leurs dirigeants de chercher refuge sur son territoire. Son emplacement qui en fait un carrefour dans la sous-région, l’hospitalité naturelle de ses populations, la paix sociale qu’il connaît, la démocratie réelle qu’il vit et bien d’autres facteurs au nombre desquels la faiblesse du coût de la vie en font un point de chute idoine pour les indésirables dans leur pays.

On peut raisonnablement se demander s’il y a un seul pays africain qui n’a pas de citoyens au Burkina Faso. Ce n’est pas pour autant qu’on peut y faire tout ce qu’on veut. En effet, le pays a de tout temps œuvré à récoler les morceaux dans les pays en peine et collaborer à maintenir la légalité ailleurs. Ould TAYA le sait bien puisque cette pratique courante aura reçu en son temps, ce traitement entre les deux pays.

En effet, alerté que des opposants putschistes séjournaient sur son territoire, le Burkina Faso avait mis la main sur trois oiseaux du genre qui ont été remis au pays dont ils étaient supposés être des nationaux (le Mali) à charge pour celui-ci de les remettre à qui de droit. Le pouvoir mauritanien a-t-il remercié ceux du Burkina et du Mali après cet acte ? Rien n’est moins sûr ; en tout cas rien n’en a filtré. En réalité tout cela est bien banal sauf lorsqu’on s’appelle Ould TAYA et qu’on est dans l’œil du cyclone.

Il faut dire en effet que le régime mauritanien est aussi dans le viseur des organisations de défense des droits de l’homme. Selon des sources fiables les accusations portées contre le Burkina Faso viseraient d’ailleurs entre autres à le punir pour avoir refusé d’intercéder en sa faveur auprès justement du Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciale (CEDR) de l’ONU qui s’apprêtait à l’épingler de nouveau. En rappel, de nombreux piliers du régime sont devenus persona non grata dans un bon nombre de pays occidentaux en raison des crimes commis à vaste échelle dans la communauté négro-mauritanienne.

De là à chercher des faux-fuyants pour couvrir l’abominable et honteuse mission de salubrité raciale, il n’y a qu’un pas. Ould TAYA l’a franchi.
Cela va-t-il pour autant légitimer son pouvoir ? Rien moins n’est sûr. Cette récurrence de vrais-faux putschs n’augure pas de lendemains sans nuages. Au contraire. Elle installe plutôt dans la conscience collective mauritanienne le sentiment que la confiance n’est plus la chose la mieux partagée dans les allées du pouvoir.

Par ailleurs, il est plus qu’évident que les victimes des règlements de comptes que ces vrais-faux complots ont engendrées ne peuvent pas rester les bras croisés à attendre les prochaines rafles. D’où alors certains remous que le pouvoir exploite rapidement avant leur mûrissement pour étouffer les rebellions dans l’œuf. On a vu ailleurs où cela a conduit.

Tôt ou tard Ould TAYA y passera lui aussi, s’il ne change pas son fusil d’épaule. Les bannis ne joueront pas toujours de malchance. Un jour ou l’autre, la chance leur sourira à moins que d’autres n’aient raison du pouvoir avant eux. En effet, un autre spectre plane au-dessus du Palais de Nouakchott : celui d’une mise au ban de la communauté lorsque sera ouvert le sale dossier des « Kurdes » mauritaniens. C’est là-bas qu’il faut chercher les raisons des insomnies de TAYA et nulle part ailleurs.

L’Opinion

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