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Afrique : "Cest l’égoïsme qui fait le lit des turbulences politiques" (Mgr Laurent Monsengwo, archevèque de Kinshasa)

Publié le jeudi 14 octobre 2010 à 03h58min

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Mgr Laurent Pasinya Monsengwo, Archevêque de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC), est connu pour avoir présidé le Haut- Conseil de la République/Parlement de transition (HCR/PT) et la Conférence nationale souveraine (CNS) de son pays. Présent à Ouagadougou dans le cadre de la 4e édition des Semaines sociales du Burkina, dont il est le coparrain, le prélat nous a accordé un entretien hier mercredi 13 octobre 2010. Comment concilier foi et politique, la situation dans son pays et dans la région des Grands-Lacs, la cause des turbulences politiques en Afrique. Ce sont là, entre autres, les sujets abordés par Mgr Monsengwo. Pour lui, il faut que « les hommes politiques africains sachent qu’ils doivent poursuivre le bien commun et que la justice et la paix ne viendront que s’ils se rappellent que les biens de la terre ont une destination universelle et que tout le monde devrait pouvoir en bénéficier ».

Excellence, est-ce la première fois que vous foulez le sol du pays des hommes intègres ?

Non, ce n’est pas ma première visite. C’est plutôt la deuxième. Je suis venu une première fois en 1997, notre association panafricaine des exégètes catholiques voulait faire un hommage au Cardinal Paul Zoungrana pour le bien qu’il avait accompli au niveau de la Conférence épiscopale panafricaine. Nous sommes venus donc nous réunir à Ouagadougou en 97 sur le thème “l’Eglise famille de Dieu, perspective exégétique”. Alors nous avons offert les mélanges de ce congrès au Cardinal Zoungrana qui nous a bien accueilli.

Que retenez-vous des Burkinabè ?

J’avais été agréablement surpris lors de ma première visite parce que lorsque je suis arrivé à l’aéroport, c’est l’abbé Compaoré qui m’a accueilli qui m’a amené au séminaire dont il était le recteur à l’époque et il m’a dit de laisser mes bagages dans la voiture parce que personne ne viendra y toucher. J’ai donc laissé ma valise, ma mallette diplomatique qui contenait de l’argent et tous mes papiers dans la voiture mais je n’étais quand même pas tranquille parce que si on me volait mes papiers cela allait me poser des problèmes.

Il m’a rassuré que personne n’y toucherait et il a laissé la voiture entièrement ouverte. Nous sommes allés au réfectoire prendre un pot qui a duré environ une heure et nous sommes revenus. Personne n’avait touché ni à la voiture ni à ma valise. Cela m’a marqué.

Vous qui êtes Archevêque d’une grande capitale comme Kinshasa, comment trouvez-vous Ouagadougou ?

Ouagadougou a son charme. Evidemment, c’est plus petit que Kinshasa, c’est une ville à taille humaine avec 2 millions d’habitants, m’a-t-on dit. Kinshasa qui est maintenant à 10 millions 250 mille d’habitants, a d’autres proportions. D’abord le pays est un demi-continent et donc c’est beaucoup plus grand et il a la capitale qu’il mérite mais évidemment avec aussi beaucoup plus de problèmes d’organisation, de circulation, de population. Ce n’est pas facile à gérer mais chacun à son charme.

Qu’est-ce qui vous a motivé à accepter de parrainer la 4e édition des semaines sociales du Burkina ?

Lorsque les organisateurs m’ont annoncé que j’étais choisi comme coparrain des Semaines sociales du Burkina, j’ai beaucoup hésité avant de venir parce que ce mois-ci particulièrement j’avais beaucoup d’engagements. Ils ont insisté pour que je le fasse et j’ai trouvé que c’était un service utile à rendre et c’est pourquoi je suis venu le rendre et je suis heureux de l’avoir fait.

Par rapport au thème de cette année (1), pensez-vous réellement que la doctrine sociale de l’Eglise est compatible avec l’engagement politique du chrétien ?

Absolument ! Je suis convaincu que l’engagement politique du chrétien se marie harmonieusement avec la doctrine sociale de l’Eglise. Si le chrétien veut être cohérent dans sa foi et s’il veut avoir comme référence la doctrine sociale de l’Eglise, il y a des chances qu’il réussisse dans sa vie parce que cette doctrine qui a comme source : la révélation chrétienne, la raison humaine et spécialement l’expérience de l’Eglise, est adressée à tout le monde car elle se base sur la loi naturelle. Si on la suit, il y a moyen que même des gens qui ne sont pas chrétiens, des musulmans ou des gens de la religion traditionnelle dirigent bien leur Etats et leur pays.

Mais est-ce qu’inciter les chrétiens à s’engager politiquement, ce n’est pas les exposer beaucoup plus à la tentation et surtout leur ouvrir les portes de l’enfer de la chose politique ?

Non, d’abord la chose politique, ce n’est pas l’enfer, c’est le service. Si tout le monde allait en politique pour servir, il n’y aurait pas de raison de croire que c’est l’enfer. Il suffit que le chrétien soit cohérent avec sa vie chrétienne pour que les mauvaises pratiques de la politique ne soient pas les siennes. Il y a bien sûr des difficultés dans la vie politique mais rien n’est simple dans la vie. Il y a naturellement des difficultés partout même dans la vie des professeurs, des prêtres, dans la vie matrimoniale, etc. La vie politique demande certes une certaine compétence, un certain charisme et une certaine habileté pour s’y engager mais ce n’est pas l’enfer.

De plus la politique se fait à plusieurs niveaux : il y a la magistrature suprême, il y a ceux qui font les lois, il y a ceux qui sont au gouvernement et il y a aussi la société civile, qui gèrent tous la politique. C’est un concept polyvalent et des tâches multiformes mais qui s’harmonisent grâce au fait qu’ils ont une même finalité qui est celle du service de la Nation.

Mgr, vous avez eu vous-même à dire en 2004 que vous n’enviiez pas le pouvoir politique et que votre pouvoir ecclésiastique était 1000 fois supérieur à celui politique, mais que pensez-vous des hommes d’Eglise qui se mêlent de la politique, comme l’Archevêque émérite de Douala, Mgr Christian Tumi ?

Il faut être prudent à ce niveau. Il y a plusieurs façons de faire la politique. Au temps d’Aristote, il y a avait ceux qui faisaient la politique mais en définissant le rôle et la tâche politiques. Actuellement il y a les politologues qui définissent aussi la politique et la pratique de la politique. Il y a en plus ceux qui prennent le pouvoir et qui l’exercent. Les évêques, les hommes d’Eglise ayant pour mission de veiller à ce que la société, le peuple qui leur sont confiés, n’aient pas de danger futur, ils doivent parler des questions politiques qu’ils examinent sous le regard de la doctrine de l’Eglise. Mais de là à prendre le pouvoir pour l’exercer, non, ce n’est pas leur rôle.

Et comme je l’ai dit, je suis parfaitement heureux dans ma fonction ecclésiastique et je reste persuadé que c’est mille fois mieux que le pouvoir politique. Mais je respecte les hommes politiques parce qu’ils exercent une fonction où l’on peut se sanctifier, parce qu’ils s’occupent de tous les biens de la population mais ce n’est pas une vocation pour laquelle je militerais étant donné que je n’ai pas été appelé à cela mais plutôt à autre chose.

Dans votre pays, vous avez été appelé à présider le Conseil de transition et la Conférence nationale souveraine. Près de 20 ans après, qu’est-ce qui reste de tout ça ?

La Conférence nationale souveraine a fait un très beau travail. Nous avons 916 axes de la conférence portant sur tous les aspects de la vie nationale. C’est une mine de renseignements et on a eu tort de ne pas continuer sur sa lancée, mais je reste convaincu que c’est une mine qui pourra inspirer le pays plus tard et l’aider davantage. Il y en a qui n’étaient pas prêts à suivre la Conférence sur sa lancée et on a eu tort de faire continuer le pays dans une ligne contraire à celle de la Conférence nationale qui demandait que personne ne prenne jamais le pouvoir par les armes ; on l’a fait, et c’est un peu pour ça qu’on est en train de tourner en rond.

Après la fin du règne de Mobutu en 1997, la RD Congo a été le théâtre de rébellions et de crises. A votre avis, comment peut-on résoudre durablement ces problèmes ?

Les problèmes doivent se résoudre par le droit, la justice, la paix et il faut absolument une réconciliation nationale qui n’était pas nécessaire avant, parce qu’on s’était déjà réconciliés par les textes. Mais ce sont ces visées purement individuelles qui ont amené le pays à cette situation, sans parler de la communauté internationale qui n’a pas été à la hauteur de sa tâche.

Récemment (2) vous avez demandé la libération des 51 détenus condamnés pour l’assassinat de Laurent Désiré Kabila. Est-ce là une condition pour la réconciliation ?

D’abord c’est une affaire de justice, il n’y a pas de raison que plusieurs soient en prison alors que le procès avait démontré qu’il y avait des zones obscures qui devaient continuer à être éclaircies. C’est pour cela que j’ai demandé soit qu’on fasse un procès soit qu’on les libère. Ce n’était que justice.

Des Congolais ont pourtant qualifié votre déclaration d’« ingérence inacceptable ». (3) Quel est votre avis ?

Ce n’est pas une ingérence. Je ne me suis pas ingéré dans le domaine politique. La justice n’était pas dite entièrement, il était normal que l’on dise le droit et on n’a aucune raison d’avoir peur de le faire. La justice doit être dite.

Tout dernièrement le Rwanda a vu des accusations de génocide peser sur lui et a tenté de faire des chantages. Ce pays n’est-il pas le trublion de la région des Grands Lacs ?

Il y a beaucoup d’acteurs qui sont manipulés dans notre région ; il n’y a pas que le Rwanda qui le soit, il y a d’autres pays aussi. On demande d’abord que le Rwanda tienne une conférence nationale en son sein pour se réconcilier à l’intérieur ; apparemment il se lance vers cette perspective et cela pourrait mieux marcher. On demande aussi qu’au Congo, à l’intérieur ; les ethnies arrivent à réellement se réconcilier et porter le poids du passé dans une démarche de paix.

C’est ce qu’on a essayé à travers les commissions des Amani mais elles n’ont pas tout à fait bien fonctionné. Mais, tout ne pourra s’arranger que par la justice, par le droit international et national et par la réconciliation. Mais pour qu’il y ait une réconciliation, il faut tuer la haine, comme nous le dit l’épître aux Hébreux : « le Christ a tué la haine » entre les ethnies.

Nombre de pays africains sont caractérisés par des turbulences politiques. Quelle en est la cause, selon vous ?

Il y a ces turbulences parce qu’il y a l’égoïsme. Il faut éviter l’égoïsme et il faut que les hommes politiques sachent qu’ils doivent poursuivre le bien commun et que la justice et la paix ne viendront que s’ils se rappellent que les biens de la terre ont une destination universelle et que tout le monde devrait pouvoir en bénéficier.

Ils doivent se rappeler qu’il y a une solidarité entre tous les citoyens. La loi de subsidiarité nous oblige à marcher de telle sorte que les différents corps sociaux puissent arriver à se compléter et à se donner la main et il ne faut pas que le corps supérieur fasse son travail et que les corps inférieurs ne fassent pas le leur.

C’est grâce à cette harmonie des différents niveaux de corps sociaux que l’on arrivera à aider un pays à vivre harmonieusement. Evidemment, il faut qu’il y ait, comme le disait le Pape Jean XXIII, les 4 piliers de la société qui sont la justice, la paix, l’amour et surtout la vérité.

Les pays africains fêtent justement le cinquantenaire de leurs indépendances cette année. Mgr, qu’avons-nous fait de nos 50 ans d’indépendance ?

On a beaucoup fait, énormément même. Il ne faut pas prendre nos 50 ans d’indépendance comme un bloc monolithique. Si je prends, par exemple, mon pays, nous avons formé énormément des intellectuels par nos propres moyens, nous avons appris à gérer un pays. L’Europe ne s’est pas construite en 50 ans, il a fallu des siècles et donc nous construisons nos pays et nous prenons la maîtrise de nos affaires.

L’histoire de nos pays n’est pas facile parce qu’on nous avait remis entre les mains d’un seul pays et le plus grand bien d’ailleurs, c’est que nous sommes libres maintenant et que nous sommes maîtres de notre destin, ce qui n’était pas le cas avant. Nous devons apprendre à diriger, à maîtriser les rouages d’un pays dans un monde qui va à une vitesse vertigineuse et nous le faisons.

Il est d’ailleurs admirable que nos pays arrivent petit à petit à s’organiser de cette manière. Il y a certes des erreurs, la communauté internationale ne nous facilite pas la tâche non plus. Mais nous ne devons pas nous décourager, allons de l’avant, prenons notre destin en mains et l’on verra ce qui va se passer.

De nos jours, plusieurs dirigeants africains sont atteints de ce qu’on appelle la ‘‘tripatouillite aiguë’’, c’est-à-dire qu’il y a comme une maladie qui les pousse à tripatouiller la Constitution de leur pays pour s’éterniser au pouvoir. Quelle est votre opinion ?

Les évêques burkinabè ont déjà pris une position dans ce domaine (4) et je n’ai rien à ajouter là-dessus.

Est-ce à dire que vous avez le même point de vue que les évêques de la Conférence épiscopale Burkina-Niger ?

Oui.

Certains pensent que l’Eglise étant par définition la maison de toutes les brebis, elle ne doit pas prendre de positions aussi tranchées au risque de diviser ses propres enfants. Qu’en pensez-vous ?

Non, l’Eglise sait comment prendre position pour que ses enfants ne se divisent pas et s’ils se divisent, c’est qu’ils comprennent mal les textes de l’Eglise.


Notes

(1) « Doctrine sociale de l’Eglise et engagement politique des chrétiens ». C’est le thème de la 4e édition des Semaines sociales du Burkina sur lequel Mgr Monsengwo a fait la communication inaugurale

(2) Dans un entretien qu’il a accordé à France 24, le 17 janvier dernier

(3) In l’édition en ligne du quotidien kinois Le Potentiel, du 28 janvier 2010

(4) Lors de leur 2e assemblée plénière annuelle du 15 au 21 février 2010 dans la ville de Fada N’Gourma, les évêques de la Conférence épiscopale Burkina-Niger se sont prononcés contre une éventuelle modification de l’article 37 de la Constitution burkinabè qui est en fait celui qui limite les mandats présidentiels à deux consécutifs.

Hyacinthe Sanou

L’Observateur Paalga

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