Leur objectif était de trouver un rythme qui puisse conquérir le monde tout en ayant le pied dans les terroirs de leurs Antilles natales. Quelques mois de travail en studio donnent un produit prometteur : "Love and Ka Dance". C’est le titre de ce premier album (1979) qui va révolutionner la musique des DOM-TOM (Département et Territoires d’Outre mer) et conquérir très vite le monde. Ainsi naquit le groupe Kassav, qui désigne en langue locale un gâteau de céréales et de féculents très délicieux, mais qui peut s’avérer dangereux si la recette n’est pas bien maitrisée.

Ce nom à l’image des devises des souverains africains campe déjà les ambitions de ce groupe de joyeux copains qui veulent voir loin. Kassav va assurer, en réussissant à produire presqu’un album par an, tout en laissant la liberté à ses membres d’évoluer en solo. En 1984, avec le titre fétiche "Zouk-la sé sel medikaman nou ni", le groupe fait exploser les jukes-boxes à travers le monde. En Afrique, c’est l’extase, car le public se retrouve dans ces sonorités qui lui sont proches. Coupé-Cloué, Tabou Combo, Claudette et Ti Pierre, Expérience 7, etc. avaient jadis déversé avec merveille la rythmique des îles sur le continent.

Dorénavant, il faut compter avec un nouveau son. Le nom " Zouk " s’impose pour designer cette nouvelle rythmique que l’on peut danser désormais "Kolé Séré" (en créole dans le texte) avec sa cavalière. Jacob Desvarieux, Georges Décimus, Jocelyne Bérouard, Jean- Claude Nemro, jean Philippe Marthély…Patrick St Eloi font danser le monde entier (plus de 4 millions de disques vendus). Lorsqu’ils débarquent à Ouagadougou, au Burkina Faso, en pleine période révolutionnaire, le Stade du 4 Août refuse du monde. Les musiciens dont certains découvraient l’Afrique pour la première fois ont les larmes aux yeux. La terre de leurs ancêtres les avait accueillie avec allégresse, malgré quelques déconvenues avec des organisateurs véreux dans certains pays. A l’époque, celui qui a le plus tapé dans l’œil des mélomanes (quel est le féminin de ce mot ?) burkinabè fut sans conteste Patrick St Eloi.

Certainement grâce à sa jeunesse et à ses mouvements sur scène, à sa voix au timbre agréable et surtout à son charme. L’harmattan, le Flamboyant, la Galaxie, etc. les discothèques de la capitale burkinabè des années 80 voyaient leurs pistes noircir de monde dès que le DJ balançait du Kassav. Depuis 85-86, entre le Faso et Kassav, c’est une histoire d’amour. Même si le groupe n’est plus revenu en concert au Faso, Jacob Desvarieux a été quelques fois présent dans les couloirs du FESPACO. A chacune de ses interviews, il rappelle leur succès burkinabè où ils ont réuni environ 50 000 spectateurs. PSE (Patrick St Eloi), qui venait d’intégrer le groupe (1982), sera galvanisé par ce succès.

De choriste, il s’impose comme chanteur et fait sa preuve avec " Chiré ", sa première chanson qui sort avec l’album " La vie ", du groupe Kassav en 1983. Le reste se passe de commentaire. Kassav compose des dizaines de titres et remporte une multitude de trophées musicaux. Patrick (Pat ou PSE pour les intimes) est toujours là, en chanteur, quelque fois en auteur compositeur. En 2002, il décide définitivement d’évoluer en solo. Guitariste, percussionniste, Patrick St Eloi préfère plutôt chanter. Dès son arrivée dans le groupe, il a profité de la formule offerte par Kassav pour produire des albums en solo : "Mizik cé lanmou", en 82, "Zouké" en 1984, "Bizouk" en 1992, "Zoukamine" en 1994, "Lovtans" en 1998, swing Karaïb en 2002. Tout cela lui laisse le temps de composer pour d’autres grands artistes comme la Grande Edith Lefel (Paix à son âme !), Jocelyne Berouard, Ralph Tamar, etc. Ses propres scores culminent entre 50 à 85000 exemplaires vendus par album.

En février 2005, après un succès à l’Olympia, il sort un nouvel album plein de sensualité :"Plézi". Et puis, en 2007, pour fêter ses 25 ans de carrière, son Best-of de 30 titres dont 4 inédits "Zoukolexion", sonne une véritable renaissance. Hélas ! En octobre 2009, il annulait un concert prévu le 03 novembre de la même année à l’Olympia pour cause d’arthrose précoce à la hanche. Depuis lors, les rumeurs allaient bon train sur son état de santé. La maladie le rongeait déjà. Certains de ses fans l’avaient compris, lorsque le " crooner de Kassav " apparaissait sur scène lunettes noires sur le visage et le crane dégarni. Samedi 18 septembre 2010, il décède dans son Pointe-à-Pitre natal, des suites d’un cancer. Les mélomanes le verront certainement dans le film réalisé à l’occasion des 30 ans de carrière du groupe Kassav en 2009. Cependant, pour les lives enflammés dont il avait seul le secret, c’est désormais fini. Adieu artiste !

Par Ludovic O Kibora

L’Evénement