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M’bemba Touré (ancien international du football burkinabè) : « Je n’ai rien gagné financièrement »

Publié le vendredi 1er octobre 2010 à 06h09min

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Qui n’a pas vu M’Bemba jouer au stade du 4-Août, qu’il considère comme son jardin ? Avant-centre aux dribbles déroutants, il a soulevé l’enthousiasme du public sportif burkinabè avec son art de marquer. De l’EFO à Al Hasad (Arabie Saoudite) en passant par l’Africa Sports d’Abidjan, il a connu des moments de joie avec les Etalons avant de raccrocher. Des souvenirs, il en garde et, selon lui, il n’a rien gagné financièrement dans sa carrière. Malgré la plantation que son père lui a laissée, il est confronté à des difficultés. Son souhait ? Rencontrer le président du Faso, qui a signé le décret de sa naturalisation. La crise politique dans son pays d’origine, la Guinée-Conakry, M’bemba en parle fiévreusement.(...)

Que devient M’Bemba Touré depuis le temps où on ne l’a plus vu sur les terrains de Ouaga ?

Comme vous le voyez, je suis là et en parfaite santé.

Il n’empêche que tu étais invisible…

C’est vrai, je suis parti du Burkina depuis 2004.

Où étais-tu pendant tout ce temps ?

J’étais en Guinée, et cela après le décès de ma femme, Nenen Barry, en 2002. J’avais accompagné la dépouille mortelle de celle avec qui je vivais. Après ses funérailles, je suis revenu à Ouaga en 2003 pour régler quelques affaires. Et, en 2004, je suis retourné en Guinée pour rester auprès de ma famille.

Avais-tu des raisons particulières pour rester auprès de ta famille ?

Si je suis rentré au bercail, c’était pour m’occuper de la plantation de mon père qui nous a aussi quittés. J’ai une grande famille et il fallait être à ses côtés. Ce n’était pas le moment pour moi de m’éloigner et, à un moment de la vie, on est obligé d’accomplir son devoir.

La plantation dont tu parles se trouve où ?

Elle est à 120 km de Conakry, à Forécariah.

Tu étais donc basé là-bas ?

C’est à Conakry que je réside, mais je me rends souvent là-bas pour superviser le travail.

A Conakry, que faisais-tu exactement ?

Je fais partie d’une association d’anciens footballeurs. C’est sur l’initiative de Petit Sory, une ancienne gloire du football guinéen au milieu des années 70 avec le Hafia football club de Conakry, que cette structure existe ; et nous travaillons en collaboration avec le ministère des Sports.

Où est né M’bemba Touré ?

Je suis né à Samouya, dans une région sierra-léonaise. Ma mère y a passé une partie de son enfance.

Tu es issu d’une famille de combien d’enfants ?

Mon père avait 4 femmes et nous, ses enfants, sommes au nombre de 17. Du côté de ma mère, nous sommes 5 et je suis le deuxième de la fratrie. Notre mère vit et je l’aime beaucoup. Depuis que je suis revenu à Ouaga, je ne cesse de penser à elle. C’est ma confidente, et quand j’ai de ses nouvelles, je me sens encore plus heureux.

Quand es-tu venu au Burkina pour la première fois ?

J’étais en 10e année (niveau secondaire) quand je quittais la Guinée. Je jouais tout le temps au ballon, et il m’arrivait de faire l’école buissonnière. Ce que mon père n’appréciait pas du tout ; et, pourtant, c’était un amoureux du sport-roi. A chaque fois il me gourmandait, mais je ne changeais pas. C’est ainsi qu’il avait décidé de m’envoyer chez ma sœur, en Haute-Volta, aujourd’hui Burkina Faso. C’était en 1983.

Comment s’appelle ta grande sœur ?

Elle s’appelle Yari Touré ; et son mari, c’est Georges Raymond Marchal, qui est bien connu dans le milieu sportif pour avoir dirigé l’EFO durant de nombreuses années, entre autres.

Ton père t’avait-il envoyé chez elle pour continuer tes études ?

Pas seulement pour cela, mais aussi pour m’éloigner du football.

Finalement sa « punition », si on peut l’appeler ainsi, n’a pas eu d’effets puisque tu as continué avec le foot…

C’était peut-être écrit quelque part qu’entre le football et moi, c’est collé-collé comme on dit. Mon beau-frère, Marchal, qui est un grand amoureux du ballon rond, m’a amené un jour à l’EFO, son club, pour me présenter aux dirigeants. Depuis lors, c’est parti ; et, quelques jours après, il m’a conduit sur le terrain de l’EFO où j’ai commencé mon premier entraînement.

Tu avais quel âge à l’époque ?

J’avais 19 ans.

T u as joué dans ce club pendant combien d’années ?

J’ai fait 11 ans à l’EFO. Mais je dois dire qu’après mon premier entraînement, j’ai rapidement intégré le groupe. A l’époque, c’était plus dur de faire un test à l’EFO qu’au Milan AC ou même à l’Ajax d’Amsterdam.

Et Pourquoi ?

On s’entraînait sur un terrain sans gazon, côté nord du lycée-Philippe-Zinda Kaboré, et ce n’était pas facile de jouer. Ce n’est pas comme aujourd’hui où la plupart des équipes jouent sur une pelouse. Quand je suis arrivé en 83, les infrastructures sportives n’existaient presque pas. On évoluait sur des terrains garnis de cailloux qui ne vous permettaient même pas de bien contrôler le ballon. C’est pourquoi j’ai dit qu’un test à l’EFO était plus difficile qu’au Milan AC ou une autre équipe en Europe.

Nous t’avons vu aussi évoluer à l’Africa Sports d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. Comment t’étais-tu retrouvé chez les Vert et Rouge ?

Quand je suis arrivé au Burkina, j’ai fait 3 ans à l’EFO avant d’aller en Côte d’Ivoire. C’est un contrat signé à partir de Ouagadougou qui m’a permis de porter les couleurs de l’Africa.

Ce contrat était-il intéressant ?

A l’époque, il y avait des footballeurs ghanéens et nigérians qui évoluaient dans le championnat ivoirien. Les clubs proposaient un bon contrat aux joueurs, et ce n’était pas du tout négligeable. Mais, personnellement, je n’ai pas tiré profit de mon contrat.

Veux-tu dire que des gens ont « bouffé » sur ton dos ?

Pas du tout ! Après la signature de mon contrat, mon père est venu à Abidjan et je lui ai remis ce qui avait été conclu avec les dirigeants de l’Africa.

Le montant après la signature était-il élevé ?

C’est mon petit secret (rires).

Même si tu n’as pas bénéficié de quelque chose, on imagine que tu étais bien payé…

J’étais payé à 200 000 FCFA par mois.

L’EFO a-t-elle bénéficié de quelque chose de ton transfert ?

Je n’ai pas suivi les négociations entre les deux clubs. Mais je crois savoir que l’EFO avait reçu quelque chose de mon transfert. Il n’y avait pas eu de bruit pour mon départ à l’Africa et Marchal avait su faire les démarches.

Combien d’années tu as passé à l’Africa ?

J’ai fait juste une saison et, après, je suis allé à l’ASC Bouaké.

Pourquoi tu n’avais pas renouvelé ton contrat ?

Pendant la saison, il y avait des divergences entre les dirigeants du club. Le président, Simplice Zinsou, qui avait été à la base de mon arrivée à l’Africa, était contesté et, à la fin du championnat, on a réuni les joueurs pour leur dire qu’ils étaient libres de rester ou de partir. En ce qui me concerne, j’avais de l’admiration pour Zinsou ; et c’est d’ailleurs lui qui m’a proposé d’aller à l’ASC Bouaké, qui était entraînée à l’époque par Savané, un compatriote guinéen.

Mon intégration s’est bien passée puisque je connaissais déjà la plupart des joueurs. A Bouaké, j’ai eu la surprise de voir un émissaire venu de Ouagadougou me chercher pour un stage de l’équipe nationale à Toulouse en France. C’était à l’époque où Hien Kilimité (NDLR : actuel gouverneur de la région de l’Est) était ministre des Sports.

C’était ta première sélection avec l’équipe nationale du Burkina ?

Quand j’étais arrivé en 83, j’avais immédiatement commencé à jouer avec l’équipe nationale sans même avoir la nationalité burkinabè.

Ta première sélection remonte à quand ?

En 85, le Burkina préparait un grand tournoi ; et j’avais été sélectionné dans l’équipe du Kadiogo (NDLR : elle représentait la capitale pendant que les Silures représentaient Bobo-Dioulasso). Tout est parti de là et, depuis lors, j’ai toujours joué avec les Etalons même sans la nationalité burkinabè.

Mais, aujourd’hui, est-ce que tu l’as, cette nationalité ?

Je l’ai obtenue depuis longtemps.

Et par quel biais ?

En 89, l’équipe nationale, les Etalons, préparait les éliminatoires de la CAN 90. On devait affronter le Gabon pour notre premier match. Pendant notre préparation, j’ai appris qu’un de mes promotionnaires qui jouait dans le championnat gabonais a informé sa Fédération que je ne suis pas Burkinabè mais Guinéen.

Les Gabonais n’ont rien dit, mais ils attendaient sûrement le jour du match pour formuler une réserve. Ayant appris ce qui se tramait à Libreville, j’ai informé la Fédération burkinabè de football et on a accéléré les choses pour que je puisse avoir la nationalité burkinabè. C’est le président du Faso, Blaise Compaoré, lui-même, qui a signé le décret y afférent ; et je l’ai toujours avec moi et je le garde jalousement (il nous le présente avec des rires).

Après ce match contre le Gabon, tu es retourné à Bouaké ?

J’étais revenu au Burkina où j’avais retrouvé mon ancien club, l’EFO. Après la finale de la coupe du Faso à Ouahigouya (NDLR : les Stellistes avaient gagné après prolongation grâce à un but d’André Lambo Zacharie), j’ai informé les dirigeants stellistes de mon désir de changer de club.

Et c’était quel club ?

Je n’avais aucune destination. J’avais tout donné à l’EFO et je n’avais plus rien à prouver. En 90, j’ai signé à l’ASFA-Y et j’y ai fait une saison.

Le grand rival de l’EFO t’avait certainement fait miroiter des avantages…

Les promesses ne m’intéressaient pas tellement. Je suis un joueur qui aime les défis ; et je voulais connaître d’autres sensations. Je voulais réellement voir si je suis un bon joueur qui peut réussir ailleurs. C’était ma seule motivation. J’avais tout gagné avec l’EFO, et je n’aime pas la routine.

Mais après l’ASFA-Y tu es revenu à tes premières amours…

C’est juste ; et on n’oublie pas le club qui vous a fait découvrir. De 92 à 96, j’ai joué avec l’EFO, et nous avons remporté des lauriers. A la fin de la dernière saison, je me suis retrouvé à l’USFA où j’ai fait juste quelques mois.

Tu n’as pas supporté la rigueur que prône le club militaire ?

Ce n’est pas du tout ça. Je ne suis pas un joueur qui triche. J’ai toujours donné le meilleur de moi-même. J’ai remporté 2 coupes avec l’USFA dans le cadre du tournoi de l’OLAO. Le premier trophée, c’était à Ouaga, et le deuxième à Kigali, au Rwanda.

Après l’USFA, tu as pratiquement disparu de la circulation.

Un joueur ne disparaît pas quand il a des ambitions. Après l’USFA, je suis parti en Arabie Saoudite où j’ai seulement fait un an. J’aurais voulu jouer quelques années dans ce pays, mais des problèmes ont perturbé ma carrière.

Quels genres de problèmes ?

Quand j’étais en Arabie saoudite, ma femme se trouvait à Abidjan. Elle portait une grossesse et on m’avait demandé de venir en urgence. C’était en 99 ; elle a accouché de jumeaux qui ne sont malheureusement pas restés. Après des soins, mon épouse, mon fils et moi sommes venus à Ouaga avant de rentrer en Guinée en 2001 pour des vacances. Un an après, je suis revenu au Burkina avec ma famille et, en avril 2002, j’ai perdu ma femme.

Ton fils est-il avec toi à Ouaga ?

Non, il est actuellement aux Etats-Unis, mais il est né ici, au Burkina.

Comment s’appelle-t-il ?

Mohamed Touré ; il a 16 ans.

Que fait-il aux States ?

Il y poursuit des études.

Tu n’as pas voulu faire de lui un grand footballeur comme toi ?

Il a préféré suivre sa voie.

Il est avec qui dans le pays d’Obama ?

Avec ses tantes. Ma femme a deux grandes sœurs là-bas, et c’est après son décès qu’elles m’ont demandé de faire venir leur neveu. C’est à 7 ans qu’il y est parti.

Depuis quand tu as raccroché les crampons ?

Depuis que j’ai quitté l’Arabie Saoudite, je n’ai plus joué compte tenu de la situation que j’ai évoquée en début de notre entretien. C’était en 98 et, de l’Arabie Saoudite, j’avais suivi la CAN que le Burkina avait organisée.

Au moment où on préparait cette CAN, tu n’as pas cherché à entrer en contact avec la Fédération ?

Quand je suis parti dans les Emirats, je n’avais plus les nouvelles du pays ; je n’ai même pas su que le Burkina se préparait à organiser une CAN. C’est quand les matches ont commencé que je l’ai su.

A ce moment, qu’est-ce que tu as ressenti ?

J’étais découragé qu’un tel événement se déroule au Burkina sans que je ne sois présent. J’aurais voulu participer à une CAN ne serait-ce qu’une seule fois. C’était mon rêve, et cela a manqué dans ma carrière.

Mais si tu avais été sélectionné, étais-tu sûr de gagner une place, surtout qu’il y avait de jeunes loups tels que les Jean-Michel Liadé Gnonka, Oumar Barro, Roméo Kambou, Seydou Traoré, Ibrahim Tallé, Alain Nana, Boureima Zongo… ?

J’ai joué avec certains, et je pouvais gagner une place. M’Bemba n’était pas fini en 98 ; et puis, mon expérience pouvait me servir. A l’époque, les Abedi Pelé (Ghana), Hossam Hassam (Egypte), Alain Gouamené (Côte d’Ivoire), Rigobert Song (Cameroun), Kalusha Bwalya (Zambie), Khaled Badra (Tunisie) et autres ont joué cette CAN.

Moi, je ne suis nullement complexé sur une pelouse verte, et mon éloignement m’a privé de la grand-fête du football africain. Mais je n’accuse personne ; peut-être qu’il était écrit que je ne jouerais jamais une Coupe d’Afrique des nations.

Depuis que tu as mis fin à ta carrière, as-tu gardé une poire pour la soif ?

Aujourd’hui, c’est grâce à la plantation de mon père que je vis. Moi, je ne m’en sors pas parce que je n’ai pas le matériel approprié pour bien travailler dans cette plantation. Ce que je récolte n’est pas suffisant pour répondre à tous les besoins et c’est vraiment difficile pour moi.

Après tant d’années dans le football, ce sport n’a donc pas fait de M’bemba Touré un homme heureux ?

(Il marque un court silence). A notre temps, on n’a pas eu beaucoup d’argent. Si c’était aujourd’hui, je ne me plaindrais pas, vu certainement que le contexte a changé. Ma génération n’a presque rien eu et on jouait pour notre plaisir et celui des supporters, ce qui n’est pas le cas de nos jours. J’ai joué plus de 15 ans au Burkina, et ce qu’on nous donnait n’était que des miettes. Quand on gagnait un match, c’était la joie ; on le faisait plus pour les supporters qui nous admiraient. C’était tout.

A l’EFO comme en équipe nationale, tu ne gagnais pas grand-chose ?

A l’EFO, ce n’était pas un salaire. Les dirigeants faisaient de leur mieux et ce n’était pas des gens riches. En équipe nationale, on était fier de jouer pour le Burkina ; et une sélection est une reconnaissance. A l’époque, il n’y avait pas de primes de sélection et notre devoir était de gagner. Quand on était au vert, on dormait dans les dortoirs du stade du 4-Août.

Et lorsqu’il faisait chaud, on sortait avec les matelas pour aller se coucher dans les tribunes. Ce que je vous dis est une réalité, et vous pouvez en avoir la confirmation auprès de Gualbert Kaboré. Quelquefois, il n’y avait même pas d’eau, et je me rendais à Zogona pour me laver et revenir à l’internat. On était content parce qu’on tenait à faire honneur au pays. Quand je jouais avec les Etalons, je n’ai jamais perdu un match au stade du 4-Août.

Après un match gagné avec les Etalons, combien recevait chaque joueur ?

On n’avait presque rien, je vous dis. Pour nous, c’est la victoire qui était le plus important. La fierté de remporter un succès et surtout recevoir des félicitations des supporters le lendemain en ville.

Tu n’as même pas réalisé quelque chose à Ouaga ou à Conakry ?

Le peu d’argent que je gagnais, c’était pour m’occuper de ma famille. Il y a eu après, le décès de ma femme qui m’a bouleversé et j’ai beaucoup dépensé. Vous croyez qu’au sortir d’un tel choc on peut bâtir des châteaux ? Je vous le dis, M’bemba a beaucoup souffert et continue de souffrir.

Regrettes-tu aujourd’hui d’avoir joué pour les Etalons ?

Alors là, pas du tout ! C’est le destin qui a voulu que mon père m’envoie au Burkina, et cela a fait que le pays m’a adopté. C’est l’EFO qui m’a fait connaître et la porte a été ouverte pour moi en équipe nationale. Je ne le regrette pas parce que le stade du 4-Août a toujours été mon jardin. J’ai tout donné dans ce stade et j’ai fait vibrer des supporters.

J’ai animé le championnat burkinabè avec d’autres joueurs qui sont dans la même situation que moi aujourd’hui. J’ai été constant dans ma carrière, et je peux même dire que je suis un des joueurs les plus titrés de ma génération. J’ai remporté 7 fois le championnat avec l’EFO, 6 fois la coupe du Faso et deux autres trophées avec l’USFA.

Je signale au passage que j’ai été meilleur buteur deux fois avec l’EFO. Avec l’ASFA-Y, j’ai joué les quarts de finale de la Coupe des vainqueurs de coupe et l’Africa, les quarts de finale de la Coupe d’Afrique des clubs champions. C’est quand même une bonne carte de visite ; mais, en Guinée, ceux qui m’avaient vu jouer là-bas trouvaient que j’avais beaucoup régressé. Pour eux, je jouais mieux quand j’étais à Conakry et ils ne me reconnaissaient plus.

Je crois qu’ils ont raison parce que, quand je suis arrivé ici, l’EFO n’avait pas son propre terrain d’entraînement. Elle s’entraînait sur le terrain du lycée Zinda et il fallait attendre que les élèves finissent leur sport pour y avoir accès. Et cela après 17 heures, pour un entraînement de 45 minutes puisque la nuit ne tardait pas à tomber.

Dans ces conditions, on n’était pas prêt physiquement et c’est d’ailleurs pour cela que des gens disaient que M’Bemba ne bouge pas beaucoup sur le terrain. Avec des entraînements insuffisants, j’économisais mes forces, et je savais à quel moment il fallait accélérer le jeu. C’est mon talent qui faisait la différence mais, pour les Guinéens, mon niveau avait baissé.

En fait, la Guinée me suivait depuis mon transfert à l’Africa et comptait me faire jouer avec le Syli national. Mais j’étais déjà intégré ici et je voyais mon intégration venir en équipe nationale. Je ne pouvais donc pas aller jouer pour la Guinée pour la simple raison que c’est le président du Faso qui m’avait donné la nationalité burkinabè.

Si c’était la Fédération qui me l’avait proposée, on aurait pu discuter dans le sens d’un intéressement avant de prendre la nationalité burkinabè. Aujourd’hui, c’est ce qui se fait ; croyez-vous que le Brésilien Santos, qui a pris la nationalité tunisienne, n’a pas demandé quelque chose à la Fédération ? En ce qui me concerne, c’est le président qui a signé le décret me naturalisant et je me dis qu’un jour il ne m’oubliera pas. C’est lui qui m’a permis de jouer avec les Etalons.

A t’entendre, on a l’impression que tu tires le diable par la queue…

Aujourd’hui, je n’ai rien ; et j’attends un coup de main des autorités burkinabè. J’ai joué pour le Burkina et si à un moment j’ai des difficultés, je crois qu’on ne doit pas me jeter aux oubliettes.

Quel genre de coup de main attends-tu ?

Je souhaite que le président du Faso m’aide. Je sais que c’est un homme de cœur et je ne désespère pas de le rencontrer.

As-tu tenté des démarches à cet effet ?

J’ai tenté par des personnes qui sont dans le milieu du sport, mais la chance ne m’a pas encore souri. Je ne suis pas pour autant découragé et j’espère toujours.

Quels sont ceux que tu as approchés pour forcer le destin ?

Ces personnes sont certainement très occupées, et je ne veux pas les bousculer. Je préfère ne pas les citer. Il y a 20 ans que le président m’a donné la nationalité, et tôt ou tard, je l’espère, il me donnera un coup de main.

Tu n’as pas tenté une carrière d’entraîneur comme certains anciens joueurs ?

J’ai cela dans la tête, mais il me faut d’abord être stable. Pour le moment, j’ai un projet en Guinée, et c’est cela qui est ma préoccupation de l’heure.

De quoi s’agit-il ?

C’est la plantation que m’a laissée mon père que je compte équiper. Pour cela, il me faut un équipement moderne et d’autres choses qui conviennent à ce genre de réalisation. Il y a des Canadiens qui s’intéressent à l’anacarde et je veux me lancer dans ce domaine. Quand le projet aboutira, je pourrai alors penser à former des jeunes. Le Burkina est ma patrie, et je peux y apporter mon expérience pour l’éclosion de jeunes talents.

Quel est ton plus beau souvenir dans ta carrière de footballeur ?

C’est la nationalité burkinabè que j’ai obtenue. Ensuite, le public sportif qui m’a adopté et applaudi quand je faisais des prouesses. Je suis plus connu ici qu’en Guinée. J’ai vécu plus de 20 ans au Burkina et, je n’ai eu aucun problème avec quelqu’un. Il y a des choses qu’on n’oublie pas et qui restent gravées dans votre mémoire. En Guinée, on m’appelle « Blaise Compaoré » parce que j’ai des photos du président qui ornent mon salon. On m’appelle même le Burkinabè, et ça ne me gêne pas. Vous savez, je ne connais même pas très bien la Guinée. J’ai tout fait au Burkina ; et c’est pourquoi je dis que c’est ma patrie.

Depuis quand tu es revenu au Burkina ?

Je suis revenu à Ouaga après les événements du 28 septembre 2009 à Conakry.

As-tu subi des exactions lors de ces événements ?

Je n’étais pas au stade, mais c’est incroyable ce qui est arrivé. A trois jours du décès du président Lansana Conté, notre association devait se rendre à Kamsar, à 300 km de la capitale, pour un match. Notre capitaine est allé voir Dadis Camara pour lui demander un soutien. Il n’était pas encore au pouvoir et notre capitaine, Alioune Yattara dit Malbanga, l’a trouvé à son service.

Dadis lui a remis une enveloppe d’un million de francs guinéen (100 000 FCFA) pour nos frais de route. Nos sommes allés à Kamsar et, deux jours après notre retour à Conakry, Conté est décédé. Les jours qui ont suivi, nous avons entendu la voix de Dadis à la radio et l’avons vu à la télé. Il venait de prendre le pouvoir ; et lors d’une rencontre des anciens footballeurs, nous avons dit à notre capitaine que notre « ami » est aux affaires.

Nous l’avons même taquiné et lui avons suggéré d’aller le voir pour qu’il aide notre association. Dadis est un homme compréhensible et il a bien commencé son travail. En un mois, ce qu’il a fait, ça n’a rien à voir avec les 24 ans de règne de Conté. A Conakry, l’eau était revenue de même que l’électricité.

En plus de ses actions qui étaient visibles, Dadis menait une lutte farouche contre les narcotrafiquants qui ont dû même fuir la Guinée. Mais ceux-ci ont des revendeurs disséminés en ville ; et lorsqu’il y a une grève, ce sont eux qui s’infiltrent en grand nombre parmi les manifestants. Et, justement, ce sont à mon avis les trafiquants de drogue qui ont semé le désordre au stade du 28-Septembre.

Voilà la réalité que beaucoup de gens de l’extérieur ignorent, accusant plutôt Dadis d’avoir donné l’ordre de massacrer des manifestants. De mon point de vue, Dadis est un patriote et je l’admire pour son courage. Le stade du 28-Septembre est à quelques mètres de chez moi, et j’ai vu la foule déferler pour entrer dans le grand stade.

La tension était vive et on n’a pas pu éviter le carnage. Il y a eu des complicités, et tout n’a pas été dit après ce drame. Ne pouvant plus supporter le désordre qu’il y avait dans le pays, j’ai décidé de revenir au Burkina.

Et pourtant, on dit que Dadis n’est pas blanc comme neige dans les boucheries…

Je sais tout simplement que Dadis n’a rien à voir avec les tueries. C’est un coup monté pour écarter un patriote qui voulait mettre de l’ordre dans le pays. Quand on ne vit pas en Guinée, on a tendance à croire que Dadis est un sanguinaire qui persécute le peuple. C’est un monsieur qui est incapable de tuer une mouche. C’est un homme qui croit en ce qu’il fait.

M’Bemba serait-il un partisan de Dadis ?

Je l’ai vu à l’œuvre dès la prise du pouvoir ; et ce qu’il a fait en 5 mois m’a convaincu qu’il pouvait sortir ce pays de la misère. Je ne suis pas un politicien et je juge en fonction de ce que j’ai vu sur le terrain. Aujourd’hui, s’il décide de rentrer au pays, les Guinéens auront honte et l’accueilleront à bras ouverts.

Aujourd’hui, que penses-tu de la situation en Guinée où des politiciens se déchirent ?

Il fallait s’attendre à cela après le départ de Dadis. Quand j’ai appris que le président du Faso a été nommé médiateur pour résoudre la crise en Guinée, j’ai eu peur qu’il échoue. Mais il est parvenu à calmer les choses, et c’est en cela qu’il est un grand médiateur. Je l’encourage à être patient. Malgré les difficultés actuelles, ma famille est en Guinée et quand il y a des émeutes, je ne dors presque pas.

Après le premier tour de l’élection présidentielle, on traîne pour organiser le second tour. Qu’en penses-tu ?

Le second tour aura forcément lieu, mais je crains plus pour l’après-élection.

Si Cellou Diallo ou Alpha Condé est élu, la Guinée ne connaîtra-t-elle pas la paix ?

Je sais tout simplement que rien ne bougera.

Si tu étais en Guinée, tu voterais pour qui ? Alpha ?

Je le ferais à mon corps défendant parce que mes leaders ne sont pas passés. J’étais pour Sidia Touré et Lansana Kouyaté. Ces deux leaders sont représentatifs et je trouve qu’ils sont capables de gérer la Guinée mieux que les deux autres qui disputent le pouvoir.

Quittons la politique pour revenir au sport. Depuis ton départ du Burkina, suivais-tu son football ?

J’étais très occupé par la plantation. Par contre, j’ai suivi un match des Etalons contre les Lions du Sénégal à Dakar où ils avaient perdu par 4 buts à 1. Malgré cette défaite, j’ai trouvé que l’équipe avait bien joué, surtout en première mi-temps. Les joueurs m’ont impressionné et j’ai même eu à dire à des amis que le Burkina progresse et qu’il faut compter avec lui dans quelques années.

Il y a une nouvelle génération de joueurs qui forme l’ossature de la sélection, et dont la plupart évoluent à l’extérieur, dans des clubs européens. Connais-tu certains d’entre eux ?

A dire vrai, je ne connais aucun joueur personnellement. A la CAN 2010, en Angola, j’ai suivi les matches des Etalons et on avait l’opportunité de se qualifier pour le second tour. Il nous a manqué des attaquants percutants pour aller très loin dans cette compétition.

Face à la Côte d’Ivoire et au Ghana, on pouvait s’en sortir. Mais je pense que les joueurs n’ont pas cru en eux-mêmes, et le manque d’expérience a un peu fait la différence. Si c’était à notre temps, on ne raterait pas ce genre de rendez-vous avec les Gualbert Kaboré, Mohamed Diallo dit Vieux, les frères Gnimassou, Alexis Ilboudo, Adama Dembélé, Amadou Traoré dit le Rouquin et autres.

Les Etalons n’ont pas su saisir leurs chances, et j’étais très déçu de leur élimination. En Angola, le seul joueur qui m’a épaté, c’est Pitroipa. Si on avait trois attaquants comme lui, on ferait plier toutes les défenses en Afrique. Pitroipa a un bon style de jeu et c’est un attaquant qui a sa place dans cette équipe.

C’est un joueur qui n’a pas peur d’une défense, et dès qu’il part balle au pied, il fonce vers la défense. Mais les ailiers remisent trop au lieu de foncer. Le fait de revenir avec le ballon dans notre propre moitié de terrain tue notre jeu. Or, Pitroipa est un provocateur, mais il n’a pas souvent de soutien pour aller au bout de ses efforts.

Et la défense ?

Elle s’en sort souvent bien avec une certaine agressivité. Mais quand le milieu ne tourne pas, l’attaque souffre et nous devons beaucoup travailler dans ce secteur. Notre problème, c’est le milieu et l’attaque. J’ai horreur des attaquants qui n’osent pas. Or, il faut éliminer pour avoir l’occasion de marquer.

Quand je regarde Pitroipa jouer, j’ai de la nostalgie parce que j’aime évoluer à côté de ce genre de joueur qui va vite et qui peut même te faire marquer des buts. J’adore le jeu de Pitroipa. Moi, aucun entraîneur ne m’a appris ce que je dois faire sur un terrain. Quand on n’a pas l’intelligence du jeu, ce n’est pas la peine de jouer au football.

Le 9 octobre prochain, le Burkina affrontera la Gambie dans le cadre des éliminatoires de la CAN 2010. Que penses-tu de son groupe, où l’autre adversaire est la Namibie ?

Après la CAN 2004, je ne connais pas l’effectif actuel de l’équipe et il m’est difficile de faire un jugement.

Pour ta gouverne, sache que la plupart des cadres sont encore là, avec le même entraîneur dont le contrat a été renouvelé…

Dans ce cas, je maintiens ce que j’ai dit. Le milieu a besoin d’être renforcé de même que l’attaque. Cela demande un travail profond pour être plus efficace. La Gambie a barré la route de la CAN 2010 au Sénégal. Ce qui veut dire que le match du 9 octobre sera très dur.

Nous avons le même niveau et il faut jouer plus que ce qu’on a fait en Angola. Quant à la Namibie, elle a aussi fait des progrès, même si elle a perdu à Banjul. Avec cette défaite, elle peut revenir pour se positionner. C’est à nous de montrer du cran dans ce groupe pour terminer à la première place.

Depuis ton retour à Ouaga, tu as vu l’EFO jouer ?

J’ai assisté au derby EFO # ASFA-Y en match retard du championnat national et je sens qu’il y a quelque chose qui manque. Les dirigeants ont progressé, mais les footballeurs ont régressé. Le championnat n’est plus animé et le spectacle est de plus en plus pauvre.

En outre, les tribunes sont vides à chaque match. Cela me choque ; lors de la finale de la coupe du Faso entre l’USFA et le RCB, le stade du 4-Août était presque vide. Et pourtant l’entrée était gratuite. Même si les gens ne viennent pas, les enfants peuvent à eux seuls remplir le stade. Mais c’était le désert, et c’est la preuve que nous n’avons plus de bons animateurs pour faire vibrer les spectateurs.

A notre époque, ce n’était pas le cas ; et quand il y avait un match EFO # RCK, EFO # ASFA-Y ou même EFO contre des équipes de Bobo, le stade était plein. J’ai animé le championnat avec les Adama Dembélé, Daouda Sanou, Amadou Traoré dit le Rouquin, Damien Gnimassou, Issouf Traoré, Mohamed Kam, Aubin Kaboré, léonard Thiombiano, Robert Zongo, Petit Paul, Bado, AFO, Edouard Gnimassou, Gabriel Gnimassou, André Lambo Zacharie, Seydou Ky, les regrettés Jules Kadeba, Côme Gnimassou, Alexis Ilboudo, etc.

Notre génération s’est investie alors qu’on n’avait rien en contrepartie financière. Aujourd’hui, tout a changé et les moyens sont là pour accompagner les joueurs.

Quand j’étais en Guinée, des joueurs m’avaient demandé de les aider à venir jouer à l’EFO. J’ai pris des contacts avec le président de la section football. Trois joueurs étaient même prêts à se rendre à Ouaga, mais, à la dernière minute, l’EFO m’a dit qu’elle était sur la piste des joueurs ivoiriens. J’ai joué au haut niveau et ce n’est pas n’importe quel joueur que je voulais envoyer chez les Bleu et Blanc.

Quand il y a des animateurs dans un championnat, cela attire le public. Nous n’avons pas eu la chance à notre époque, et j’en veux aux dirigeants qui nous ont laissés raccrocher avant de s’occuper de ceux qui jouent aujourd’hui.

Entretien réalisé par Justin Daboné

L’Observateur Paalga

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