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Terrorisme : AQMI et ses démembrements « locaux » ont déclenché les hostilités contre les intérêts français en Afrique de l’Ouest (2/2)

Publié le lundi 27 septembre 2010 à 05h44min

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Mercredi 25 août 2010. XVIIIème conférence des ambassadeurs. Monsieur le président de la République s’adresse au Premier ministre, aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, au ministre des Affaires étrangères et européennes, à Mesdames et Messieurs les ministres, aux parlementaires et aux ambassadeurs. Après quelques généralités sur ces « moments de l’Histoire où le sort hésite entre le meilleur et le pire », Nicolas Sarkozy entre dans le vif du sujet. « Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. La lutte contre le terrorisme demeure une priorité absolument majeure pour la France ».

Mercredi 25 août 2010. XVIIIème conférence des ambassadeurs. Monsieur le président de la République s’adresse au Premier ministre, aux présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, au ministre des Affaires étrangères et européennes, à Mesdames et Messieurs les ministres, aux parlementaires et aux ambassadeurs. Après quelques généralités sur ces « moments de l’Histoire où le sort hésite entre le meilleur et le pire », Nicolas Sarkozy entre dans le vif du sujet. « Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs. La lutte contre le terrorisme demeure une priorité absolument majeure pour la France ».

Al Qaïda, dit-il, occupe le terrain « dans un arc qui va du Pakistan au Mali ». Il dénonce la « barbarie de la branche maghrébine d’Al Qaïda [qui] s’est à nouveau illustrée avec le refus de toute négociation et l’assassinat de Michel Germaneau ». Il parle de l’assaut contre AQMI : « Pour la première fois, en juillet, un coup sévère a été porté aux terroristes grâce à une attaque menée par les forces mauritaniennes avec le soutien de la France. Je vous le dis : ce jour-là marque un tournant majeur. La seule stratégie ne peut pas consister à payer des rançons et à accepter de libérer des prisonniers en échange de malheureux innocents qui sont pris en otage. Cela ne peut pas être une stratégie ».

Personne n’est convaincu qu’un « coup sévère » ait été porté à AQMI lors d’une action militaire dont les zones d‘ombre sont considérables (cf. l’article publié par RAIDS dans son numéro daté de septembre 2010 : « Opérations contre-terroristes au Sahel »). Mais dans sa déclaration, le lundi 26 juillet 2010, Sarkozy avait été ferme : « Le crime commis contre Michel Germaneau ne restera pas impuni ». Et, disait-on alors : « Paris réfléchit à la riposte ». On s’attendait donc à ce que la France montre ses muscles d’autant plus que Le Figaro dressait le portrait, dans son édition du lundi 13 septembre 2010, de l’EMP, l’état-major particulier du président.

C’est Benoît Puga, général cinq étoiles, qui a été nommé EMP le 6 mars 2010. Saint-Cyr, 2ème REP, Kolwesi, Liban, RCA, Tchad, Yougoslavie, patron du Commandement des opérations spéciales (COS), directeur du renseignement militaire (DRM) de juillet 2008 jusqu’à sa nomination à l’Elysée. « Un dur à cuire » écrit Isabelle Lasserre dans Le Figaro, un journal qui n’a pas de problème avec les « clichés » journalistiques. Puga a été en première ligne dans la mise en œuvre de l’opération militaire conjointe menée avec les Mauritaniens ; tout comme le général Frédéric Beth, patron du COS et frère de notre nouvel ambassadeur à Ouagadougou. Si Le Figaro évoquait le parcours de Puga, c’est qu’on allait voir l’Elysée rugir du côté du Sahel. « Pour que le crime commis contre Michel Germaneau ne reste pas impuni ».

Et boom. Hier matin, jeudi 16 septembre 2010, on apprend la « prise d’otages dans le fief d’Areva » (titre de Libération ce matin, vendredi 17 septembre 2010). Cinq Français, un Togolais et un Malgache, ont été capturés à Arlit. Sarkozy avait annoncé un « tournant majeur » (selon ses déclarations lors de la Conférence des ambassadeurs - cf. supra) avec l’attaque de la base de l’AQMI. L’enlèvement de cinq Français et de deux ressortissants africains francophones, est un autre « tournant ». Signé Abdelmalek Droukdal. Une déclaration de guerre !

Qui peut penser que l’opération menée dans la nuit du 15 au 16 septembre 2010, à Arlit, la ville sensée être la plus sécurisée de toute la zone sahélo-saharienne, ait été improvisée et que personne ni à Niamey ni à Paris n’ait rien vu venir ? Les otages ont été capturés directement dans leur maison (le couple « Areva ») ou au camp de base Vinci (Sogea-Satom). Ils sont 7. Comme les 7 « islamistes » tués lors de l’assaut du 22 juillet (AQMI aime les chiffres qui, comme chacun sait, sont… arabes !). Opération parfaite ; dans l’exécution comme dans la symbolique, Areva et Vinci étant deux fleurons industriels français et Arlit le pôle d’ancrage majeur du nucléaire français. Sale coup pour l’arrogance française (sale coup surtout pour les otages). Mais à force « d’appeler au loup » pour des raisons de politique intérieure, il fallait bien que l’Elysée et la place Beauvau le voit un jour, les yeux dans les yeux.

Dans cette affaire d’instrumentalisation du « péril islamique », la DGSE a raison contre la DCRI. Dans le numéro du mercredi 11 août 2010 de l’hebdomadaire Le Canard enchaîné, Claude Angeli écrivait que la DGSE trouvait que « Al-Qaida a bon dos » et montrait du doigt, dans les affaires de recrudescence du djihadisme dans la zone sahélo-saharienne, les connexions mafieuses entre les « islamistes », les « potentats locaux », les « Etats défaillants » et leurs « armées mercenaires ». Certains spécialistes affirmaient d’ailleurs que AQMI, traversé de multiples courants antagonistes, était en perte de vitesse et que la prééminence de Droukdal, alias Abou Moussab Abd Al-Wadoud, était remise en question notamment par des « émirs » moins soucieux d’idéologie et plus préoccupés de « faire du fric » (depuis 2007, on ne cesse d’annoncer le « limogeage » de Droukdal ; on donnait même le nom de son remplaçant : Ahmed Haroun). C’est qu’il n’y a pas que Paris pour instrumentaliser les « islamistes » ! Et ceux qui ont « capturés » le groupe des sept ne manquaient pas de connivences dans Arlit et la région ; ni au sein des appareils politiques au pouvoir dans la sous-région sahélo-saharienne, de Nouakchott à Niamey sans oublier Alger et Tripoli.

C’est dire que l’écheveau va être difficile à démêler. Et ce n’est pas en faisant de « l’islamisme radical » le bouc émissaire des problèmes intérieurs français que l’on y parviendra. Le problème se pose dans ces termes, certes - il y a un extrémisme islamique comme il y a un extrémisme franco-français -, mais pas uniquement. Ce qu’il faut prendre en compte, c’est l’emprise des organisations mafieuses qui, en instrumentalisant l’engagement religieux de quelques uns (principalement des Algériens) et l’opposition de quelques autres (notamment les Touaregs), ont transformé la zone sahélo-saharienne en zone grise permettant tous les trafics. Alain Rodier, ancien officier du renseignement, directeur de recherche au Centre française de recherches sur le renseignement (CF2R), collaborateur régulier de RAIDS, affirmait au lendemain de l’annonce de la mort de Michel Germaneau : « Il semble que le mouvement djihadiste profite du trafic de la cocaïne, qui arrive d’Amérique du Sud en Afrique noire et remonte vers l’Europe via le Sahara et le Sahel. AQMI se contenterait d’assurer la « protection » des différents trafics qui se déroulent au Sahel, c’est-à-dire qu’il rackette les contrebandiers ».

Il est avéré, d’ailleurs, que Mokhtar Belmokhtar, ex-patron de la zone sahélienne, a abandonné le combat pour l’instauration d’un « califat islamique » au Maghreb afin de s’adonner exclusivement à la contrebande et autres trafics en tous genres. Belmokhtar avait été « pressenti » pour devenir le troisième émir du GSPC en lieu et place de Droukdal à la suite de la mort du deuxième émir, Nabil Sahraoui (nom de guerre : Abou Ibrahim Mustapha, ancien émir de la zone 5 du GIA qui a fusionné avec la zone 2 du GIA dirigée par Hassân Hattâb pour donner naissance, en 1998, au GSPC), en juin 2004, dans un accrochage avec l’armée algérienne dans la région de Béjaïa.

Ne penser que AQMI dans la zone sahélo-saharienne et « islamisme radical » en France, c’est faire l’impasse sur les données essentielles : l’implantation mafieuse en Afrique de l’Ouest et le jeu trouble des Algériens qui ont fait de l’insécurité liée aux « islamistes radicaux » un de leurs outils diplomatiques dans leurs relations avec « l’Occident ».

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique

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