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François de Sales Bado, secrétaire national de la Commission épiscopale "Justice et paix" : « Nous nous sommes intéressés en particulier aux femmes accusées de sorcellerie... »

Publié le jeudi 16 septembre 2010 à 03h03min

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Secrétaire national de la Commission épiscopale « Justice et Paix » (CJP-Burkina), François de Sales Bado est inspecteur de travail et des lois sociales. Après avoir exercé dans l’administration publique pendant près d’une quinzaine d’années, il a pris une disponibilité pour travailler à l’OCADES- CARITAS/ Burkina dans un premier temps, puis à la Commission épiscopale justice et paix depuis 2001. En même temps, il est le représentant de l’Eglise catholique au niveau de la Commission Nationale des Droits de l’Homme (CNDH) qu’il préside depuis 2003. Il évoque dans cette interview, les combats que la Commission justice et paix mène pour redonner une dignité aux personnes exclues.

Sidwaya (S.) : Présentez-nous la Commission « Justice et Paix » ?

François de Sales Bado (FSB) : La Commission justice et paix est une organisation catholique qui a été créée par la Conférence Episcopale Burkina-Niger (CEBN) depuis 2003. Elle a pour mission de travailler à la promotion de la justice sociale, de la paix et des droits humains. Nos références sont essentiellement la Doctrine Sociale de l’Eglise (DSE), c’est-à-dire l’enseignement social de l’Eglise par rapport à toutes les questions de société et aussi des textes en matière de droits de l’homme aussi bien au plan national, régional qu’au plan international.

S. : La Commission a entrepris cette année, une campagne de lutte contre l’exclusion sociale. Qu’est-ce qui a motivé cette campagne ?

FSB : Les missions essentielles de la Commission sont de travailler à la promotion de la justice sociale et de la paix, former et éveiller les consciences des individus et des communautés aux valeurs de justice, de paix et de respect des droits de l’homme, défendre les droits humains violés, en particulier les droits des personnes les plus fragiles, les pauvres, les démunis.

Au regard de ces missions, il fallait mobiliser les ressources nécessaires pour commencer le travail, et cela a mis du temps. C’est en 2006, lors de la deuxième édition de la Semaine sociale, qui portait sur le thème « justice et paix au Burkina Faso : quelle contribution de l’Eglise ? », que nous sommes allés avec un émissaire du Vatican rendre visite à nos mamans du centre Delwendé.

Là, le représentant du pape a eu le cœur meurtri. Il nous a dit : « justice et paix, il faudrait que vous travailliez à éradiquer cette situation. C’est vilain pour l’image du Burkina dont on parle tant de biens ». Ces paroles nous ont profondément touchés. Nous avons donc pu en décembre, lancer la campagne contre l’exclusion sociale et les violences faites aux femmes. Nous nous sommes intéressés en particulier au cas des femmes accusées de sorcellerie et qui sont chassées, violentées, les biens brûlés et expulsées de leurs villages.

S. : Quelle est la stratégie adoptée pour mener à bien la campagne de lutte ?

FSB : Nous avons constaté que les Mossi sont un peuple qui respecte le chef, la hiérarchie. Nous avons donc souhaité que l’Empereur des Mossé, le Moogho Naaba dise un mot par rapport à ce phénomène, car, quand on parle du phénomène, l’opinion publique dit que la chefferie traditionnelle est complice.

Lorsque nous avons approché sa Majesté, c’était une opportunité pour lui de dédouaner toute la chefferie traditionnelle et coutumière. Nous avons également mobilisé la société civile, le ministère des Droits humains, le ministère de la Promotion de la femme, des ONG, qui sont extrêmement sensibles à ces questions et qui souffrent de ces questions. Car, quelle que soit notre bonne volonté, à nous seule Commission Justice et Paix, nous ne pouvons pas arriver à éradiquer ce phénomène.

S. : Une des activités était d’organiser une marche le 6 mars contre l’exclusion et les violences faites aux femmes. Pourquoi le choix du 6 mars pour la marche ?

FSB : Nous avons choisi la date du 6 mars dans le but d’un partenariat avec l’Etat. Parce que pour mener un tel combat, il ne faut pas entreprendre des actions isolées. Surtout que le 8 mars est la Journée internationale de la femme. La marche a donc été le fruit d’un partenariat avec l’Etat, avec les ministères de la Promotion de la femme, des Droits humains, de l’Action sociale et de la Défense.

S. : Elle a eu comme point de départ le terrain du mogho Naaba et la Place de la Nation comme point d’arrivée. Qu’est ce qui a expliqué le choix de l’itinéraire ?

FSB : Le choix a été très symbolique. Parce que le départ de la marche est donné sur le terrain de sa Majesté le Moogho-Naba après qu’il nous eut fait ses bénédictions. Malheureusement, son programme ne lui a pas permis d’être là. Il a délégué un de ses ministres qui est venu nous bénir et nous livrer son message.

S. : Comment avez-vous apprécié le message de sa Majesté ?

FSB : On peut résumer le message du Moogho Naaba en quelques points. Le premier point est que sa Majesté a reconnu avec nous l’existence des violences et de l’exclusion sociale des femmes en général, et particulièrement des femmes accusées de sorcellerie. Le deuxième est qu’il a reconnu avec les enquêtes, que le phénomène se passe en milieu moaga. Troisièmement, Sa Majesté a dit que les chefs coutumiers sont les garants de la tradition africaine.

Il a dit que le monde change et qu’ils ne peuvent plus tolérer les valeurs culturelles négatives qui portent atteinte aux droits de l’homme, qui portent atteinte à la dignité humaine. C’est pourquoi il a lancé deux appels. Le premier à l’endroit de tous les Burkinabè qui sont de son ressort territorial. Il leur a demandé d’arrêter toutes les accusations, toutes les violences faites surtout à l’encontre des femmes. Le deuxième appel a été lancé à l’endroit des chefs coutumiers qui sont sous sa tutelle.

Il leur a demandé de mettre fin aux traditions néfastes et à faire cesser toutes les pratiques culturelles ou traditionnelles qui portent atteinte aux droits de l’homme. Il a ensuite demandé de travailler et à développer des initiatives, pour que toutes les femmes qui ont été victimes d’exclusions soient réintégrées.

Il a enfin demandé à tous les Burkinabè de promouvoir les valeurs de justice sociale, de vérité, d’amour et de tolérance. Pour ma part, de toutes les activités du projet que nous exécutons, ce message a été très essentiel et nous l’avons édité en français et en mooré à 5000 exemplaires. Je saisis l’occasion pour remercier véritablement sa Majesté le Moogho Naaba et l’ensemble de ses ministres qui nous ont accompagnés.

S. : Quels sont les résultats de la formation à l’endroit des femmes accusées de sorcellerie ?

FSB : La formation a consisté à donner espoir aux femmes. Nous les avons aidées à redécouvrir qu’elles sont des êtres humains, qu’elles ont une dignité. Il n’était pas question de leur donner des cours académiques sur les droits de l’homme, en leur disant que vous avez droit à ceci ou à cela. Il était surtout question pour nous, d’amener les femmes à sortir du silence profond dans lequel elles vivaient.

Au départ, c’était très difficile. Mais à la fin, toutes les femmes tenaient à raconter leur histoire. Au-delà de cette dignité recouvrée, il nous a fallu les aider à réaliser quelque chose de leurs mains et pouvoir subvenir à leurs besoins en cas de réinsertion sociale. Nous leur avons donc appris à fabriquer du savon aussi bien liquide que solide. Elles savent faire du soumbala de qualité, de la teinture, du tissage et de la filature.

S. : Quelles sont les perspectives de la commission ?

FSB : Nous allons accompagner le volet assistance judiciaire. Ce qui veut dire que nous allons accompagner toutes les femmes accusées de sorcellerie et qui vont se confier à la Commission Justice et Paix., jusqu’à ce qu’elles puissent faire valoir leurs droits. Je précise que nous ne sommes pas là pour défendre des sorcières et des criminelles, mais nous adoptons une démarche des droits de l’homme.

Nous allons également poursuivre avec le volet plaidoyer. Nous disons merci à la chefferie traditionnelle qui a su jouer son rôle. Le reste appartient à l’administration publique, et aux hommes politiques.

Charles OUEDRAOGO

Sidwaya

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