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Guinée équatoriale : "L’affaire Thatcher" rappelle que le mercenariat en Afrique noire est toujours politique avant d’être militaire !

Publié le vendredi 3 septembre 2004 à 10h21min

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Dans le jargon militaire, on les appelle Private Military Companies(PMC). Elles assurent, à la demande, la fourniture de "soldats de fortune ". Pour sécuriser des installations stratégiques(généralement pétrolières), protéger des personnalités, assurer une assistance technique dans la mise en oeuvre d’armements à forte technologie ou d’aéronefs, ou... fomenter un coup de force ou un coup d’Etat.

Le magazine Armées d’Aujourd’hui (AA), édité par le ministère français de la Défense, soulignait dans son numéro de juillet-août 2004, que près de 5 milliards de dollars, soit plus d’un quart des fonds alloués par les Etats-Unis pour la reconstruction de l’Irak, étaient destinés à la sécurité des entreprises et de leur personnel. Anciens des forces spéciales US, SAS britanniques ou australiens, gurkhas népalais, etc... assurent le sale boulot que les troupes régulières ne veulent plus accomplir. "Lors de la première guerre du Golfe, écrit Bernard Edinger dans AA, la proportion de civils étrangers travaillant pour les armées par rapport aux militaires était de 1 %. Aujourd’hui, la proportion est d’un pour dix".

C’est dire que le mercenariat a pris de l’ampleur au fil des années. Même s’il a perdu son côté romantique. Les "chiens de guerre" sont devenus des professionnels. La motivation n’est plus idéologique ; elle est financière. Bien sûr, il y a un gouffre entre "l’agent de sécurité" engagé pour sécuriser une raffinerie de pétrole en Irak et le mercenaire engagé dans un conflit armé (en Côte d’Ivoire par exemple) ou une tentative de coup d’Etat (comme récemment en Guinée équatoriale). Mais (et l’expérience de la Guinée équatoriale le prouve) si la finalité diffère c’est, malgré tout, le même univers. Or, par définition, un mercenaire ne travaille pas pour son propre compte ; il a toujours un employeur. Et si l’un se retrouve (quand le coup rate) sous les projecteurs ; l’autre reste dans l’ombre. Cette connexion étroite entre diplomatie & mercenariat, je l’ai déjà évoquée (cf LDD France 0147/Mardi 2 septembre 2003). Il Y a toujours une motivation politique derrière un engagement militaire.

"L’affaire Thatcher"

Mark Thatcher, fils de l’ex-premier ministre britannique, considéré comme le financier de la tentative de coup d’Etat contre Nguema, en Guinée équatoriale - illustre bien cette connexion. Et le fait (majeur) que l’univers du mercenariat est un petit monde qui n’a rien de secret ni même de mystérieux. C’est que, comme pour toute autre opération commerciale, sans publicité et sans communication, il n’y a pas de perspectives ! Les "chiens de guerre" ont toujours des maîtres. Ils n’existent que parce que les relations internationales sont parfois le fait de messieurs honorables animés parfois de motivations qui ne le sont pas. Le mercenariat est en fait le terrorisme des riches ; de ceux qui peuvent payer pour faire le sale boulot !

L’arrestation de Thatcher, le mercredi 25 août, au Cap, dans le dossier des mercenaires impliqués dans la tentative de coup d’Etat en Guinée équatoriale, est une première. Les donneurs d’ordre n’ont jusqu’à présent jamais été mis en cause dans ces affaires. Y compris dans des opérations aussi "visibles" que celles du Bénin et des Comores. C’est que l’opération menée contre Nguema a une configuration internationale majeure. Et qu’il s’agit, pour quelques "services" occidentaux de lever quelques lièvres pour que, pendant ce temps-là, le chasseur échappe aux regards.

Il faut donc ne pas se fier aux apparences. Ni aux procès en cours à Harare (qui a été, au temps de la Rhodésie, un haut lieu du mercenariat) et à Malabo. Ce n’est pas dans un prétoire que l’on va étaler les affaires internationales ; les comptes vont se régler dans la coulisse. Il y a trop de beau monde mis en cause dans ce dossier pour que l’essentiel ne soit pas ailleurs.

Première figure d’exception : Simon Mann. Il est le propriétaire du Boeing 727 qui, dans la nuit du 7 au 8 mars 2004, venant d’Afrique du Sud, fait escale à Harare, capitale du Zimbabwe. Motif invoqué pour ce stop non annoncé : ennuis techniques. En fait, il s’agissait, dit-on, de charger des armes achetées à la société d’Etat Zimbabwe Defence Industry (ZDI). 70 arrestations (67 "passagers" + 3 complices qui devaient embarquer à Harare). Ils s’attendaient à une escale sans histoire. Les "services" (dont le MI6 britannique) en ont décidé autrement. "L’opération Malabo" est étouffée dans l’oeuf et le gotha du mercenariat sous les verrous ! Mann n’est pas un nouveau venu sur la scène du mercenariat. C’est même une star. Son histoire se confond avec celle d’Executive Outcomes, le meilleur bureau de placement de mercenaires sur le marché des guerres civiles et autres rebellions armées ; en quelque sorte le Manpower du mercenariat. C’est une histoire qui mérite d’être contée.

Selon un rapport établi par le renseignement militaire britannique, intitulé" UK Eyes Alpha", c’est en septembre 1993 que EXO a été officiellement créée. Son fondateur est Anthony Buckingham. Ancien commandant des SAS. Le Special Air Service (SAS) a été créé par l’Angleterre pour être le bras armé des services secrets de Sa Majesté. Il a été, par la suite, le principal vivier des "chiens de guerre" britanniques qui ont essaimé un peu partout sur le globe pendant la guerre froide et que l’on a retrouvé dans tous les "coups tordus" en Afrique noire et au Moyen-Orient. Tony va très vite s’intéresser au pétrole. Et à son exploitation. C’est lui qui va permettre à la compagnie canadienne Ranger Oil de s’implanter en Angola.

Son expérience pétrolière, en zone de guerre (ce qui est le cas de l’Angola où le régime de Luanda est confronté à l’opposition armée de l’Unita), va lui permettre de prendre conscience de la nécessité vitale, pour les compagnies, de "protéger" leurs installations : raffineries et sites d’exploration. C’est l’origine de EXO. Qui n’est pas qu’un chenil pour "chiens de guerre". Le groupe va s’imposer dans tous les domaines d’activité en amont et en aval du mercenariat : transport aérien ; sécurité des installations industrielles et minières ; protection des VIP ; déminage ; prospection pétrolière et exploitation de gisements de diamants et de mines d’or ; audit financier et comptable, etc...

Au nombre des associés de EXO on compte Simon Mann. Formé à Eton et à l’académie militaire de Sandhurst, c’est un ex-commandant des SAS, spécialiste du renseignement. Il a pas mal baroudé en Amérique centrale, au Proche et au Moyen-Orient. Il y a aussi David Steel, un ami de Tony (il aurait présidé le parti libéral anglais), Crause Steyl, spécialiste de l’aéronautique installé en Afrique du Sud, et surtout Eeben Barlow, originaire de Rhodésie du Nord qui s’installera, ensuite, en Afrique du Sud. C’est un vétéran de la guerre en Namibie et en Angola.

Barlow a combattu dans les rangs de la Pathfinder Company de la 44ème brigade parachutiste et, à la suite de sa dissolution, a intégré le 32ème bataillon comme officier. Basé à Rundu, dans la Bande de Caprivi, curiosité géopolitique à l’extrême Nord de la Namibie (qui n’est alors que le Sud-Ouest africain sous tutelle de l’Afrique du Sud), le 32ème, que l’on appelle aussi le "Buffalo Battalion", était réputé pour être la structure d’accueil du mercenariat. Regroupant six compagnies de combat et une compagnie de reconnaissance, il était composé essentiellement de soldats noirs, ex-combattants du Front national de libération de l’Angola (FNLA) de Holden Roberto (un FNLA étripé par les Cubains dans l’assaut contre Luanda fin 1975). Ils étaient encadrés par des sous-officiers et des officiers blancs sud-africains et portugais d’Angola (au 32ème, la langue de commandement était d’ailleurs le portugais). Le 32ème va s’affirmer comme l’unité de choc de la South African Defence Force (SADF) qui mènera les opérations contre la South African People Organisation (Swapo) en Namibie. C’est au contact des "étrangers" du 32ème et dans la chasse aux "terros" que Barlow fera son apprentissage.

Barlow, un Rhodésien du Nord qui a rejoint l’Afrique du Sud après l’échec de "l’indépendance" version lan Smith, est donc un ancien du 32ème bataillon, véritable "légion étrangère" sud-africaine. Il a, par la suite, participé aux activités du Civil Co-Operation Bureau (CCB) où il a été en charge des opérations de désinformation. C’est lui, notamment, qui a été à l’origine des rumeurs concernant les liens organiques entre l’ African National Congress (ANC) et l’Irish Republican Army (Ira).

Quand EXO apparaît (officiellement) sur le marché du mercenariat la situation militaire du gouvernement de Luanda est difficile. L’Unita de Jonas Savimbi contrôle deux capitales provinciales, Caxito et Ndalatando, et une part essentielle du territoire. Plus encore, elle a pris le contrôle de gisements pétroliers on-shore sur la côte atlantique, dans la province du Zaïre. L’Unita a conquis Soyo le 19 janvier 1993. Ce n’est pas une quelconque bourgade. C’est une zone de production pétrolière ; la deuxième du pays avec une production de 200.000 barils par jour. Un cinquième de la production nationale. Total, Petrofina et Texaco y sont implantées. Les installations d’ Elf se trouvent à une quarantaine de kilomètres.

Barlow a l’expérience de la protection des installations de la compagnie minière sud-africaine De Beers pour le compte de laquelle il a mené, également, des missions de renseignement. Il a des contacts avec des anciens de la South African Defence Force (SADF), mise en place par le gouvernement de Pretoria pour soutenir l’ Unita contre Luanda au lendemain de l’indépendance de l’Angola. Pour le compte de EXO, il va constituer une unité de choc de cinquante hommes. Sa mission est de reprendre le contrôle de Soyo. Mission difficile : il faut vaincre un adversaire que l’on a, autrefois, contribué à former.

Les Forças Armadas Angolanas (FAA), l’armée régulière angolaise, avec six cents hommes répartis en deux brigades, vont tout d’abord tenter un débarquement amphibie qui échouera lamentablement. EXO mènera alors une attaque surprise au sol appuyée par trois hélicoptères pilotés par des Angolais. Il faudra une semaine de combats violents pour que les FAA puissent reprendre le contrôle de Soyo. Barlow va devenir l’homme incontournable de EXO.

En juin 1993, EXO est à nouveau en contact avec les FAA. Un général (il s’agirait du général Joâo de Matos, son chef d’état-major) a contacté Barlow. Il s’agit d’entraîner les troupes des FAA afin de les rendre efficaces face à l’ Unita qui ne cesse de gagner du terrain. EXO a cinq mois pour rendre la 16ème brigade opérationnelle sur le terrain. Ironie de l’affaire, cette même 16ème brigade avait été décimée par la SADF en 1987-1988 lors des batailles de Mavinga. Mais les millions de dollars payés par les pétroliers et Luanda du passé font table rase. On parle alors de 30 millions versés par les pétroliers via Ranger ail et de 40 millions pays par Luanda (qui aurait "rallongé la sauce" en 1994 en versant, cette fois, 100 millions de dollars). Les effectifs d’EXO font un bond en avant. Plus de 500 Sud-Africains sont engagés dans la restructuration de l’armée angolaise. A plus de 80 %, des noirs. Ils ont l’expérience du combat au sein de la SADF. On parle également d’anciens guerilleros de la branche armée de l’ANC, Umkhonto we Sizwe.

Les opérations militaires, qui mettent en oeuvre des centaines de mercenaires sud-africains, se multiplient alors qu’à Lusaka, la capitale de la Zambie, les négociations se poursuivent. Elles vont aboutir, le 20 novembre 1994, à la signature du protocole de paix de... Lusaka. Après un an de négociations, la situation militaire sur le terrain a fortement évolué. L’Unita a perdu l’initiative ; elle a perdu, aussi, bien des villes. "Nous avions non seulement complètement retourné la situation qui s’annonçait désastreuse pour le gouvernement, mais en plus nous avions gagné sa confiance et celle de l’armée angolaise, déclarait alors Eeben Barlow. Ce n’est pas un mince résultat si l’on garde bien en mémoire que ce sont ces mêmes gens que nous avions combattus de 1976 à 1988, quand nous faisions partie de la South African Defence Force".

L’Unita de Jonas Savimbi va dès lors mener campagne contre la présence des mercenaires dans le camp des troupes gouvernementales. Luanda fera semblant de lâcher du lest. EXO annoncera, à partir de 1995, le retrait de son "personnel". Mais personne ne constatera son rapatriement effectif en Afrique du Sud. Il apparaîtra très rapidement que les meilleurs combattants sont incorporés dans les rangs de la Saracem, une société spécialisée dans la sécurité des sites industriels. L’Angola a été la "vitrine" d’EXO. Mais la firme sud-africaine entendait investir d’autres marchés. D’autant plus facilement que l’Angola avait permis de confronter les idées d’Eeben Barlow aux réalités du terrain. Réalité guerrière mais aussi, et surtout, réalité politique. Car le mercenariat est un métier à risques politiques majeurs. C’est une activité qui rend service à bien des chefs d’Etat ; mais personne ne veut reconnaître qu’il y recourt.

C’est en Sierra Leone que les Sud-Africains trouvent un nouveau terrain d’action. Le RUF, le Front révolutionnaire uni, dirigé par le caporal Foday Sankoh, est en rébellion contre le régime du président Valentine Strasser depuis 1991. Les forces armées gouvernementales, les RSLMF sont incapables de s’opposer aux rebelles. La force africaine d’interposition, l’Ecomog, déployée ultérieurement autour de la capitale, ne résoudra pas le problème. A la suite d’un premier contact pris avec EXO à la fin du premier trimestre 1995, un petit détachement est immédiatement envoyé sur place pour évaluer la situation militaire.

Dès le mois d’avril 1995, une équipe d’une centaine d’hommes est à pied d’oeuvre dans le pays. Un contrat sera rapidement signé : 1,225 million de dollars par mois (rémunération ramenée à 1 million). L’expérience angolaise va être rapidement mise à profit en Sierra Leone. L’hélicoptère devient l’outil incontournable. Le 16 janvier 1996, Strasser est renversé par un coup d’Etat "pacifique". On ne sait pas quel a été le rôle des mercenaires d’EXO dans cette affaire. Ahmad Tejan Kabbah prend la suite. Les mercenaires changent de patron sans que cela pose de problème.

Le 30 novembre 1996, Foday Sankoh, le chef de la rébellion, est amené à accepter un accord de cesser-le-feu. Première revendication : départ des troupes étrangères et, d’abord, des mercenaires d’EXO. Quelques-uns vont partir sur d’autres terrains d’action ; beaucoup d’autres demeurent sur place dans le cadre de la société Branch Energy, une filiale du groupe EXO spécialisée dans l’exploitation pétrolière et minière (or et diamants). En octobre 1996, Branch Energy cédera ses droits d’exploitation minière en Sierra Leone et en Angola à la compagnie canadienne Carson contre un chèque de 58 millions de dollars. On peut faire la guerre et des (bonnes) affaires !

Depuis, EXO a envoyé ses "chiens de guerre" un peu partout en Afrique (et au-delà en Papouasie-Nouvelle-Guinée). Notamment dans la région des Grands Lacs à la fin des années 1990. EXO avait la réputation d’être en relation d’affaires avec le fils du président kenyan Daniel Arap Moi et le demi-frère du président ougandais Yoweri Museveni, le major-général Caleb Akandwanaho. Elle aurait été aussi présente au Soudan. L’hebdomadaire sud-africain Sunday Independant a dénoncé l’existence de contacts entre des responsables de l’ANC (en collusion avec le MPLA, au pouvoir à Luanda) et de EXO, permettant la signature des contrats de mercenariat de 1992 à 1994.

C’est dire que le mercenariat n’a pas de frontières idéologiques, politiques, raciales, religieuses. Et que du même coup, il est difficile de savoir qui fait quoi pour le compte de qui. C’est toute la difficulté du dossier équato-guinéen. Je vais y revenir !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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